« Un chien a mordu un homme à Bagdad »
Dog Bites Man in Baghdad
Los Angeles Times (États-Unis)
[AUTEUR] Max Boot est membre du Council on Foreign Relations. Journaliste réputé dans les milieux économiques, il dirige la page éditoriale du Wall Street Journal. Il a publié The Savage Wars of Peace : Small Wars and the Rise of American Power. Il est expert du cabinet de relations publiques Benador Associates.
[RESUME] Vu le ton adopté par les médias dans la guerre en Irak, voilà comment ils présenteraient le débarquement en Normandie aujourd’hui : « Plus de 8000 militaires alliés ont été blessés dont 3000 mortellement, mais malgré tout la France reste largement sous domination nazie. Le général Eisenhower a affirmé que tout se passait selon le plan, mais certains officiers en retraite estiment qu’il y a un grand danger que l’invasion échoue ».
Aussi tragique que sont les pertes humaines en Irak, il ne faut pas perdre de vue que Saddam Hussein et son gang ont tué, durant la guerre et depuis la fin des combats, 228 soldats américains. Ce n’est donc pas le Vietnam (47 355 morts), ni même la guerre avec l’Espagne (385). En 2002, le département de la Défense états-unien a perdu 1007 hommes, dont 990 pour des raisons diverses n’ayant rien à voir avec le combat. Depuis le début de l’année, 114 officiers de police sont morts en faisant leur devoir, c’est-à-dire autant que le nombre de soldats tués en Irak depuis le premier mai, date depuis laquelle il y a eu 20 000 morts sur les routes aux États-Unis.
Bien sûr le nombre de morts en Irak est trop élevé et il faut améliorer la sécurité dans le pays, mais il ne faut pas se focaliser excessivement sur les pertes. On ne montre pas assez ce qui fonctionne en Irak. Les médias présentent toujours les drames au lieu de faire des reportages sur le retour à la normalité dans le pays, ce que j’ai pu constater moi-même en août en m’y rendant.
« Joue-la comme Cheney »
Bend it like Cheney
The Guardian (Royaume-Uni)
[AUTEUR] James J. Zogby est président et fondateur de l’Arab American Institute, lobbyiste politique démocrate et membre du Council on Foreign Relations. Il présente le programme de radio et de télévision « A Capital View » sur l’Arab Network of America qui est également retransmis au Proche-Orient. Il est éditorialiste hebdomadaire de Gulf News. Il est le frère de John Zogby, le PDG de Zogby International, la compagnie indépendante de sondage qui a réalisé la première enquête d’opinion en Irak sur la perception de l’occupation.
[RESUME] Lors de l’émission Meet The Press où Dick Cheney tentait de démontrer que les États-Unis avaient gagné la guerre en Irak, le vice-président a affirmé qu’un sondage réalisé par Zogby International (ZI) et l’American Enterprise Institute (AEI) avait fournis des résultats très positifs pour les États-Unis. Puisque les deux tiers des Irakiens rejetaient un gouvernement islamique, souhaitaient un régime sur le modèle des États-Unis et que 60 % voulaient que les États-Unis restent dans leur pays au moins un an.
En réalité, ce sondage a bien été réalisé par ZI mais l’AEI a déformé les conclusions et c’est sur le travail de l’AEI que s’appuie Cheney pour donner une fausse impression de l’attitude des Irakiens. Concernant le modèle politique pour le futur régime, 33 % des Irakiens veulent un système à l’américaine, mais 17,5 % préfèrent le système saoudien, 12 % le syrien, 7 % l’égyptien et 37,5 % ne veulent aucun des modèles proposés. De même, à la question « quand voulez-vous voir partir les États-Unis ? », 31,5 ont répondu « dans moins de six mois », 34 % ont répondu « dans un an » et 25 % ont répondu « dans deux ans ou plus ». Donc ce n’est pas 60 % des Irakiens (en fait 59 %) qui veulent que nous restions au moins un an, mais 65 % des Irakiens qui veulent que nous soyons partis dans un an ou moins.
Le vice-président oublie également de mentionner les réponses à d’autres questions qui prouvent que les Irakiens font bien plus confiance à l’Arabie saoudite et à l’ONU qu’aux États-Unis et qu’ils veulent être aidés par leur voisin, mais pas par Washington. À nouveau, l’administration Bush détourne la réalité pour la faire correspondre à ce qu’elle souhaite.
« Ce que la petite Basmallah " sait " »
What little Basmallah ’knows’
Jerusalem Post (Israël)
[AUTEUR] [Daniel Pipes] est membre de l’US Institute of Peace. Il est directeur du Middle East Forum et auteur de Militant Islam Reaches America. Il est collaborateur de Benador Associates et a fondé Campus Watch, une organisation dont le but est de soutenir la vision néo-conservatrice du Proche-Orient dans les universités états-uniennes. Voir à ce sujet, l’investigation du Réseau Voltaire : « Le Centre pour la politique de sécurité : les marionnettistes de Washington ». Il a récemment participé au sommet de Jerusalem.
[RESUME] Suite aux déclarations du Premier ministre malais Mahathir Mohamad affirmant que « les juifs dominent le monde par procuration. Ils ont trouvé d’autres personnes pour qu’elles se battent et meurent pour eux », Condoleezza Rice a condamné ce discours en affirmant qu’elle ne pensait pas qu’il était emblématique du monde musulman. Malheureusement, la standing ovation que le Premier ministre a reçu de la part des représentants de 57 États musulmans démontre qu’elle se trompe.
Le sentiment anti-juif dans le monde musulman existe depuis des siècles, mais il s’est développé singulièrement depuis les années 70 en raison d’une radicalisation politique accompagnée d’un choc pétrolier qui a permis à des pays comme l’Irak, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Libye de soutenir les idées anti-juives dans le monde. Morton Klein, président de la Zionist Organisation of America, affirme que désormais l’antisémitisme est enseigné dans les écoles et c’est ce que confirme la reproduction d’une interview d’une petite fille de trois ans à la télévision saoudienne prénommée Basmallah. Elle affirmait au journaliste qu’elle connaissait les juifs, et que le Coran les désignait comme des singes et des porcs.
L’antisémitisme est désormais bien ancré. Nous nous retrouvons dans le monde arabe avec une situation similaire à celle de l’Allemagne des années 30 où les insultes avaient précédé le meurtre de masse des juifs en y préparant la population. Aujourd’hui, en moyenne, un juif est assassiné tous les jours en Israël. Ailleurs les violences sont aussi persistantes. Malheureusement, comme dans les années 30, le monde condamne l’antisémitisme, mais ne voit pas l’urgence du problème.
« Antisémitisme et communautarisme : des abcès à crever »
Antisémitisme et communautarisme : des abcès à crever
Le Monde (France)
[AUTEUR] Tariq Ramadan est professeur de philosophie et d’islamologie à Fribourg et à Genève.
[RESUME] Mon article publié sur le site oumma.com concernant les « nouveaux intellectuels communautaires » a provoqué une vive polémique. Ma critique de l’attitude communautariste et pro-israélienne d’un certain nombre d’intellectuels (juifs, mais pas uniquement) a déplu. Certains, minoritaires mais très médiatisés, ont jugé mon texte « maladroit » et tombant mal à quelques semaines du Forum Social Européen (FSE). Mon propos est même soupçonné de faire le lit de la nouvelle judéophobie.
On me rappelle que contrairement aux États-Unis on ne peut pas parler en France d’« intellectuels juifs » sans risquer d’être soupçonné d’antisémitisme. Mais la France a changé et devant les dangers de replis communautaires, il devient impératif de clarifier les positions respectives. Le conflit israélo-palestinien a désormais des résonances très fortes en France, jusque dans les cités, et il faut en tenir compte.
Les intellectuels pro-israélien ont raison de dénoncer la « nouvelle judéophobie », mais leurs excès dans ce sens développent chez les juifs de France des réflexes de peur et alimentent le sentiment d’appartenance prioritaire à la « communauté juive ». Parallèlement, mais pour des raisons différentes, on assiste à une poussée du communautarisme chez les « Français d’origines immigrées » et/ou musulmans. Cela est dû à leur désignation comme « musulman » par la société et aux discriminations économiques, sociales, urbaines et éducatives.
Les musulmans qui se sont engagés dans le FSE ne sont pas des défenseurs du communautarisme mais, comme les juifs revendiquant leur culture juive pour mieux la dépasser et se démarquer des partisans de la politique israélienne, ce sont des personnes qui revendiquent leur religion pour accéder, sans se renier, à une citoyenneté fondée sur des valeurs communes et donc opposé au communautarisme. Ils pensent qu’ils peuvent représenter un pont entre deux rives. Il existe aujourd’hui des intellectuels juifs et musulmans qui poussent leur communauté à se définir contre les autres et il faut les critiquer. Pour l’ « autre voix juive », il s’agit de critiquer ceux qui voient de l’antisémitisme derrière toutes critiques d’Israël, pour l’ « autre voix arabe et/ou musulmane » il s’agit de respecter leurs origines et/ou leur religion en refusant l’enfermement communautariste. Le FSE doit les accueillir et refuser toute forme de racisme.
« Les motivations économiques de la politique américaine »
The Economic Motives Of American Policy
Dar Al Hayat (Royaume-Uni)
[AUTEUR] Mustafa Al Faqi est écrivain et parlementaire égyptien. Il a été vice-ministre égyptien des Affaires étrangères sur les questions arabes.
[RESUME] La situation économique des États-Unis est, et sera toujours, le principal facteur dans le choix de ses politiques et de leurs orientations. Ainsi, la guerre menée en Irak par les États-Unis était avant tout liée à des raisons économiques fondée sur les objectifs de différentes grandes entreprises soutenant l’administration Bush. Les armes de destruction massive et les liens non prouvés avec Al-Qaïda n’étaient que des prétextes.
L’Irak, avec son pétrole, son eau et sa position géographique a attisé l’appétit de différents lobbys industriels. L’industrie de l’armement encourage les opérations militaires des États-Unis dans le monde car cela lui offre de nouveaux contrats et lui permet de tester de nouvelles armes. L’industrie pétrolière souhaite sécuriser et contrôler les puits de pétrole du Golfe. Enfin, l’industrie pharmaceutique, à l’influence moins connue, a de plus en plus de poids dans l’administration américaine, mais aussi dans les autres niveaux de la politique internationale.
Ces compagnies ont la mainmise sur les deux grands partis états-uniens et ont de plus en plus de poids dans le choix des nominations dans les administrations. Les États-Unis sont un pays où l’argent et le pouvoir sont inséparables. Seuls les gens riches et puissants contrôlent la scène américaine. Cela amène la vie politique américaine à être pleine de contradictions sans fin.
« Faites ce que les États-Unis disent, pas ce qu’ils font »
Do as the US says, not as it does
The Guardian (Royaume-Uni)
[AUTEUR] Joseph Stiglitz est professeur d’économie et de finance à l’Université de Columbia et Prix Nobel d’économie 2001. Il a été président du collectif de conseillers économiques de Bill Clinton et vice-président de la Banque mondiale.
[RESUME] Aujourd’hui, beaucoup de marchés émergeant comme le Mexique ou l’Indonésie se voient demander de faire des réformes douloureuses dont ils devraient théoriquement tirer des bénéfices. Ces pays s’entendent dire ce qu’ils doivent faire et leurs gouvernements doivent en rendre compte. Il faut généralement équilibrer le budget, contrôler l’inflation et, dans certains cas, comme le Mexique avec son secteur électrique, ouvrir ses marchés à la concurrence.
Ayant été impliqué dans la définition des politiques économiques aux États-Unis, je suis toujours frappé de voir l’écart entre les politiques demandées aux pays en voie de développement et les politiques pratiquées par les États-Unis, les pays riches ou les pays en voie de développement ayant réussis. Aux États-Unis, tout le monde admet que le budget soit déficitaire en cas de récession et beaucoup d’innovations techniques et d’équipement ont été financés par l’État. On demande à de nombreux pays de privatiser leur système social, mais les services publics fonctionnent dans ce domaine. De même, beaucoup des recettes du succès économique des États-Unis passent par des financements de l’État alors que l’application de certaines mesures libérales, comme la dérégulation par Reagan des sociétés d’investissement et de crédits immobiliers, ont entraîné des faillites bancaires et des récessions.
Les pays en voie de développement ne doivent pas suivre un modèle qui n’a jamais existé nulle part. Ils devraient plutôt s’inspirer du modèle de développement des États-Unis durant leur entrée dans l’ère industrielle, qui a également fonctionné avec les pays de l’Asie du Sud-Est.
« Le nouveau débat agricole »
Le nouveau débat agricole
Libération (France)
[AUTEURS] Daniel Cohn-Bendit est député européen et coprésident du groupe des Verts eu Parlement européen. Hannes Lorenzen est président de l’ONG European AgriCultural Convention.
[RESUME] Malgré l’échec du sommet de l’OMC à Cancun, il faut parvenir à des accords multilatéraux sur le commerce, plus équitable que les accords bilatéraux. L’échec des discussions tient autant à la difficulté d’obtenir un accord à 146 qu’au profond désaccord sur l’objet des négociations entre les participants. L’Union européenne et les États-Unis avaient fait taire leurs différends pour soutenir l’élargissement de la palette des négociations avant tout accord sur l’agriculture alors que les pays en voie de développement, menés par le G22, voulaient que les deux géants commerciaux acceptent de mettre fin à leurs pratiques commerciales déloyales en matière agricole.
Cet échec est regrettable car il n’a pas permis de prolonger la « clause de paix » qui empêche actuellement les membres de l’OMC de mener des guerres commerciales. L’administration Bush veut en outre désormais se concentrer sur les accords bilatéraux et s’attaquer aux « pratiques commerciales déloyales », au premier rang desquelles on trouvera sans doute le principe de précaution de l’Union européenne concernant les OGM. SI l’Union européenne veut soutenir les négociations multilatérales, elle va donc devoir répondre au G22 qui souhaite la fin des subventions agricoles.
L’UE devrait en fait remplir les conditions du commerce équitable en soutenant les stratégies de sécurité alimentaire de pays en développement en les autorisant à ne fournir qu’un accès limité à leur marché intérieur. Dans le même temps, l’Union européenne devrait inclure dans ses mesures de protection extérieure des critères environnementaux, sociaux et concernant le bien-être des animaux pour décourager le dumping écologique et favoriser ces politiques dans les pays en voie de développement. Il faut aussi que l’ONU se renforce face à l’OMC.
« Une ou deux Europe »
Une ou deux Europe
Le Figaro (France)
[AUTEUR] Ancien Premier ministre français (1993-1995) et candidat à l’élection présidentielle, Edouard Balladur est président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.
[RESUME] Aujourd’hui, apparaît enfin une réalité que j’avais énoncé en 1994 : il n’y aura pas une mais plusieurs Europe, à la composition, à l’organisation et aux compétences variables. Désormais, tout le monde en convient, l’Union européenne ne peut pas comporter un schéma unique de développement. Il faut l’admettre et prendre des décisions en fonction de cette situation.
Tout d’abord, malgré ses défauts, il faut approuver le projet de constitution européenne qui est soumis à la conférence intergouvernementale car ce texte crée le meilleur équilibre possible entre les décisions d’ordre intergouvernemental pris à l’unanimité et celles d’ordre communautaire adoptées à la majorité qualifiée. Si trop de modifications au texte devaient être adoptées, autant admettre l’échec et revenir au Traité de Nice dont les blocages seront vite évidents et entraîneront la rédaction d’un nouveau texte. S’il est accepté par la conférence intergouvernementale, il faudra alors l’adopter rapidement. Je ne suis pas favorable à un référendum, trop de considérations étrangères au débat venant souvent se mêler aux décisions de vote.
Le texte prévoît que contrairement aux questions économiques et commerciales, les règles de l’unanimité doivent demeurer sur les questions de politiques étrangères et de défense. L’Union européenne aura beaucoup de mal à exister politiquement sur le plan mondial si les 25 pays ne sont pas d’accords et il est vraisemblable qu’ils ne le seront pas. Il faut donc organiser une Europe plus restreinte à l’intérieure de l’Union européenne, essentiellement l’Europe de l’Ouest, qui pourra se doter des moyens d’agir. Il faut une initiative franco-allemande, voire mieux : une initiative franco-anglo-allemande, qui jettera les bases d’une union politique. Dans le même temps, nous devrons faire des accords de partenariat plus étroits avec les pays voisins de l’Union européenne.
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter