Q - M. Dominique de Villepin, bonsoir.

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Bonsoir.

Q - Attentats et attaques anti-américaines se succèdent en Irak, au rythme d’une trentaine par jour, faisant de nombreuses victimes, dont 116 Américains depuis la fin officielle des combats. Faut-il parler d’enlisement, d’échec, pour les Américains ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Soyons justes. Il y a des progrès en Irak depuis plusieurs mois et en particulier dans le domaine de la reconstruction, de la remise en ordre des services publics - l’eau, l’électricité, l’aménagement urbain - mais c’est vrai, la sécurité se dégrade. Maintenant, depuis plusieurs semaines, on assiste à une spirale, un engrenage de violences, avec à la fois des attentats terroristes mais aussi une guérilla urbaine qui visent, bien sûr, les forces de la coalition mais aussi les Irakiens.

Q - Comment en sortir ? Vous avez dit qu’il fallait changer d’approche. Qu’est-ce que cela veut dire ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - La conviction de la France, c’est que le principal danger en Irak aujourd’hui, c’est le vide politique. Bien sûr, il y a un Conseil de gouvernement intérimaire irakien, il y a un Conseil des ministres irakien. Mais, au sommet, il y a un régime d’occupation, une administration de la coalition qui exerce la réalité du pouvoir. Il faut renforcer l’autorité irakienne en Irak. Il faut faire en sorte que les Irakiens puissent véritablement reprendre en mains leur propre destin. Tout ceci ne peut pas se faire en un jour, se décréter. Ce que l’on peut dire, c’est que les Irakiens vont exercer la souveraineté dans leur propre pays et, peu à peu, à mesure de leur propre capacité, transférer la réalité des responsabilités.

Q - C’est-à-dire que le pouvoir passe, soit transféré des Américains aux Irakiens progressivement ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Les Irakiens doivent être en charge de leurs propres affaires. Prenons l’exemple de la sécurité. Qui, mieux que les Irakiens, peut savoir comment faire face à cette insécurité grandissante ? Qui, mieux que les forces irakiennes, même s’il faudra du temps pour mieux les équiper, mieux leur permettre de se renforcer, a la connaissance du milieu, des hommes ? Ils sont respectés dans leur propre pays. Nous voulons éviter que les choses ne s’intensifient encore car on voit bien les affrontements entre les communautés et à l’intérieur de chacune d’elles ; on voit les risques, dans un pays fragile, de division du pays ; nous pourrions d’ailleurs être pris dans un engrenage très grave avec la fragilité régionale que nous connaissons. Pour cela, il faut interrompre cet engrenage et véritablement remettre la souveraineté dans les mains des Irakiens, c’est-à-dire créer un gouvernement provisoire irakien. Il y a deux façons de le faire, soit une consultation - mais je le reconnais, cela peut être long et difficile - soit un processus comme celui que nous avons connu en Afghanistan, qui permettra d’avoir une assemblée irakienne élisant un gouvernement provisoire.

Q - L’ONU vient de rappeler ses expatriés pour consultation. La Croix rouge réduit son personnel. Là encore, c’est un revers pour les Américains ? C’est une victoire pour les terroristes ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - C’est la marque d’une extrême difficulté aujourd’hui d’organiser l’Irak. C’est la marque de la difficulté de recréer un climat de sécurité. Il faut donc tout faire pour reprendre les choses, politiquement - c’est là la bonne façon de le faire - et bien sûr s’appuyer sur la compétence de chacun. L’ONU est prête à apporter son expertise et sa compétence - encore faut-il qu’il lui soit donné les moyens de le faire - la résolution 1511 constitue un premier pas. Nous l’avons tous votée, vous le savez. La communauté internationale l’a votée à l’unanimité. Mais il faut sans doute aller plus loin et ce sera l’objet des concertations et des consultations que nous ne manquerons pas d’avoir au cours des prochains jours et semaines.

Q - Dans cette affaire, on voit que la France et l’Europe sont un peu réduites au rôle d’observateurs. La France, en particulier, n’a-t-elle pas beaucoup perdu ? Elle se retrouve un peu isolée, lâchée par ses anciens alliés, en proie à la vindicte des Américains.

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Cela ne correspond pas à la réalité. La France a une position reconnue, respectée, tout simplement parce qu’elle est fidèle à ses principes.

Q - Mais elle est totalement écartée de ce qui se passe en Irak ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - En Irak, c’est vrai, il y a une administration de la coalition. Nous avons toujours pensé que les conditions n’étaient pas réunies pour que nous puissions nous impliquer davantage parce que, pour nous, le point de départ, est la souveraineté irakienne et nous sommes fidèles à cette règle. Nous pensons que, pour que les choses puissent véritablement reprendre, il faut partir de cette situation nouvelle. Mais nous sommes, avec la communauté internationale, dans le cadre du Conseil de sécurité, évidemment très soucieux de mobiliser cette communauté internationale, d’agir pour faire évoluer les choses et donc tous prêts à pleinement participer à la reconstruction de ce pays dès lors que les conditions seraient réunies.

Q - Ce qui n’est pas le cas encore ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Q - D’une crise à une autre, malheureusement impasse et violence dans le conflit israélo-palestinien. On a évoqué, dans le journal de 20h00, on a présenté cette initiative de Genève. En gros, les Palestiniens renonceraient au droit au retour et, en échange, exerceraient leur souveraineté sur la Cisjordanie et une partie de Jérusalem. Est-ce que la France soutient clairement cette initiative ? Est-ce que cela peut être la solution ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous appuyons tous les projets, toutes les perspectives qui pourraient être ouvertes, tous les dialogues possibles entre les Israéliens et les Palestiniens. Il faut comprendre que, depuis maintenant plusieurs mois, et très largement à l’initiative de l’Europe, une Feuille de route a été organisée, prévue. Cette Feuille de route prévoit plusieurs étapes mais elle ne traite pas des questions les plus délicates au bout du chemin. Vous avez évoqué la question du statut de Jérusalem, la question du droit au retour des Palestiniens.

Q - C’est donc un progrès par rapport à la Feuille de route ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Cela complète la Feuille de route. Cela vient marquer et éclairer l’horizon de la Feuille de route. Le vrai problème que nous avons aujourd’hui, c’est de savoir comment nous rentrons dans cette mécanique de la Feuille de route, par quels procédés nous sortons de la bataille des préalables entre Israéliens et Palestiniens. Nous pensons qu’à ce stade, et la France a fait des propositions, il faut des mécanismes, comme par exemple une conférence internationale, un comité de supervision et de contrôle qui serait élargi notamment aux Européens et à l’ensemble des autres membres du Quartet. Il faudrait peut-être une force qui se déploierait dans la région et qui puisse garantir l’avancée du processus. Cela suppose deux choses : d’abord que les Palestiniens acceptent de renoncer à la violence et au terrorisme et de faire pression sur l’ensemble des groupes concernés, ensuite que les Israéliens, résolument, fassent les gestes nécessaires comme renoncer à la colonisation et accepter de ne plus organiser des tirs sur un certain nombre de cibles palestiniennes. Il y a un certain nombre de gestes qui peuvent être faits de part et d’autre, qui peuvent créer la confiance. C’est de cela dont nous avons besoin. Cela suppose que l’engagement américain continue et cela suppose que d’autres puissent apporter leur soutien, bien sûr les pays de la région, et l’Europe. C’est ce que nous avons fait en Iran, en nous mobilisant.

Q - Et l’Europe qui est partie prenante de la Feuille de route dans cette région.

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Exactement.

Q - Quelques mots sur l’Europe, le débat autour de la Constitution. La France peut-elle et doit-elle améliorer le projet de Constitution ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous avons un projet de Constitution qui a été élaboré par la Convention avec des représentants des parlements nationaux, du Parlement européen.

Q - Beaucoup de gens disent que ce n’est pas suffisant. Il faut l’améliorer dans les questions économiques, les questions de l’emploi, le social, etc.

DOMINIQUE DE VILLEPIN - La très large majorité des Etats de l’Europe, des Vingt-cinq, a dit que c’est un bon projet. C’est la conviction de la France. C’est un bon projet. Bien sûr, on peut préciser certains points, on peut en compléter d’autres - et je pense à des sujets comme la gouvernance économique ou la gouvernance sociale -, on peut préciser un certain nombre de mécanismes institutionnels comme le rôle du ministre des Affaires étrangères européen ou celui d’une présidence du Conseil. Ce sont là des figures nouvelles dans le paysage institutionnel. On peut donc clarifier, améliorer ce texte mais certainement pas le défaire, le "détricoter", comme cela peut être la tentation de quelques Etats. Le travail qui est fait aujourd’hui dans les réunions des ministres des Affaires étrangères, dans les réunions des chefs d’Etat et de gouvernement, c’est de voir comment on peut essayer d’avancer sans défaire. Nous souhaitons bien sûr que ce texte puisse être adopté d’ici la fin de l’année, en décembre, à Rome.

Q - Et se posera la question de l’approbation. Tous les partis politiques français demandent un référendum car c’est une question très importante qui engage l’avenir de la France. Vous y êtes favorable ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - C’est évidemment une question très importante. Une Constitution européenne, c’est un pacte entre les Etats, un pacte entre les peuples, et c’est une règle de vie commune, qui va nous permettre d’avoir une vie démocratique plus intense et cela va être très fructueux.

Q - Faut-il un référendum ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Tout dépendra du contexte dans lequel nous serons amenés à débattre de cette question. La clé, c’est qu’il y ait un grand débat dans tous les Etats européens et bien sûr en France. Nous avons le choix entre une procédure de ratification parlementaire ou la consultation populaire. Il ne faut pas que ce débat soit détourné de son objet. Si les circonstances permettent ce grand débat européen, va pour le référendum. Sinon, il faudra réfléchir et c’est bien sûr le choix qu’aura à faire le président de la République.

Q - Puisque l’on parle de l’Europe, est-ce que la France n’est pas affaiblie par ses déficits. On a entendu aujourd’hui le ministre suédois critiquer la France, le ministre hollandais dire que l’Europe était menacée d’une sévère crise parce que la France et l’Allemagne ne respectent pas le Pacte de stabilité.

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous avons un certain nombre de contraintes et d’objectifs qu’il faut intégrer. Première des contraintes, c’est celle de la bonne gestion. Nous devons bien gérer nos affaires économiques et financières. Pour cela, il faut respecter le code de conduite que l’Europe s’est fixé.

Q - Que la France ne fait pas justement ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous le faisons, mais nous voulons aussi préserver les capacités de reprise de croissance dans notre pays. C’est un impératif. Il faut que la croissance puisse revenir.

Q - Et pour cela, les autres pays doivent le comprendre ?

DOMINIQUE DE VILLEPIN - Les autres pays le comprennent. Mais pour cela, il faut faire deux choses. Il faut accélérer le processus de rationalisation de nos outils de production et de réforme. C’est ce que le gouvernement a engagé : la réforme des retraites, la réforme de la santé, l’ensemble des réformes qui doivent permettre de remettre le travail au cœur de notre activité, au cœur de l’économie. Il faut parallèlement multiplier des initiatives de croissance qui permettront à nos économies de repartir. C’est ce que nous avons proposé avec la présidence italienne et avec l’Allemagne dans un certain nombre de domaines et en particulier dans le domaine des infrastructures - par exemple les routes entre l’Italie et la France, l’Espagne et la France - cela doit permettre de créer de nouveaux emplois, des perspectives importantes pour nos économies./.

Source : ministère français des Affaires étrangères