Allocution prononcée à l’occasion du dîner d’État offert en son honneur par S. Exc. Zine El Abidine Ben Ali, président de la République tunisienne

Monsieur le Président de la République,
cher Ami,
Madame,

Permettez-moi d’abord de vous remercier, Monsieur le Président, de m’avoir offert l’occasion de revenir à Tunis. Je garde au fond du cœur le souvenir précieux de mon séjour dans votre pays, il y a maintenant huit ans. Mon épouse, les personnalités qui m’accompagnent et moi-même vivons de nouveau, à votre invitation et au milieu de nos amis tunisiens, des moments intenses.

Huit ans après, ce sont la même émotion, le même plaisir, le même accueil si chaleureux. Et à travers vos paroles, Monsieur le Président, je ressens à nouveau cette amitié exceptionnelle qui imprègne la relation entre nos deux pays et aussi celle, plus personnelle, qui nous lie depuis longtemps l’un à l’autre.

Laissez-moi aussi, très simplement, vous dire ma grande joie de célébrer ce soir cette amitié, dans ce palais de Carthage, et d’être reçu de nouveau par vous. Vous, l’ami de la France, qui représentez, depuis tant d’années, la Tunisie moderne, fidèle à ses traditions et engagée de toutes ses forces dans son partenariat avec l’Europe.

Cette ville de Carthage, haut lieu de notre histoire commune, nous rappelle cet héritage remarquable dont votre pays, placé au carrefour d’influences prestigieuses, n’a cessé, avec cœur et avec talent, de cultiver la trace et de faire vivre l’esprit. Ces cultures multiples et diverses, la Tunisie les a mariées et intégrées pour construire une nation ouverte sur le monde. Sur votre sol, l’âme et le génie de la Méditerranée s’incarnent de la façon la plus harmonieuse.

 

Du plus loin qu’il nous souvienne, nos destins se rencontrent et se mêlent. Dès 1577, le Roi Henri III établissait à Tunis le premier consulat français au Maghreb. Depuis, que de richesses, de moments d’épreuves aussi, dans les développements politiques et humains de nos relations !

Nous avons vécu ensemble, dans la fraternité des armes, les deux guerres mondiales. Cette année, nous commémorons le 60e anniversaire de la campagne de Tunisie. Le général de Gaulle évoque dans ces termes ces instants d’intense émotion où il fut reçu dans la Tunis libérée -et je le cite : " Le dimanche 27 juin, au milieu du déferlement populaire, après la revue des troupes, je gagnai l’esplanade Gambetta et m’adressai à la multitude (...) Je déclarai que rien, maintenant, n’importait davantage que de resserrer l’union de la France et de la Tunisie. Une fois de plus, ce noble royaume s’associa à notre pays par son concours à l’effort de guerre et la valeur de ses soldats ".

Treize ans plus tard, les accords d’autonomie, signés ici même, à Carthage, rendaient à la Tunisie la maîtrise de son destin, en même temps qu’ils nous appelaient à aller de l’avant ensemble. C’était le vœu de Pierre Mendès-France lorsqu’il livrait dans ces murs, dès 1954, sa conviction qu’" une intime coopération ne pourrait manquer de se confirmer entre Tunisiens et Français, réunis par tant de profondes affinités et de si réelles sympathies ".

Monsieur le Président de la République, Cher Ami,

Ici, et en cette occasion, je veux rendre un hommage solennel à votre prédécesseur, le Président Habib BOURGUIBA, cette grande figure du monde contemporain. Alors que le Proche-Orient s’enlise dans les conflits, comment ne pas évoquer le courage et la vision de celui qui, dès 1965, appelait les Etats arabes à ouvrir les voies de la paix ? Alors que beaucoup de pays, dans cette partie du monde, s’interrogent sur la façon de conjuguer religion et modernité, respect des traditions et ouverture au monde, comment ne pas rappeler cet acte d’une audace inouïe que constitua la promulgation, à l’aube de l’Indépendance, d’un code du statut personnel particulièrement moderne et avancé ? La Tunisie montrait le chemin en reconnaissant aux femmes une très large égalité de droits qui leur permettait de conjuguer les forces au service du pays.

Laissez-moi enfin vous rendre, Monsieur le Président, un hommage particulier,. La Tunisie, sous votre égide, s’inscrit de plain-pied dans la modernité en tirant pleinement parti des richesses qui fondent le progrès, ce que l’on a appelé le " miracle tunisien " depuis plus de quinze ans maintenant :

 les ressources de l’esprit tout d’abord. En donnant la priorité à l’éducation, à la formation universitaire et à la recherche, vous avez témoigné de la confiance que vous placez dans la jeunesse tunisienne et vous lui avez, en quelque sorte, confié ainsi les clés de son avenir ;

 la libre entreprise, ensuite, qui permet que s’épanouisse aujourd’hui l’esprit d’initiative et que s’expriment son goût d’entreprendre et ses dons pour les échanges qui, depuis ses plus lointaines origines, sont les dons naturels de votre peuple ;

 l’exigence de solidarité enfin, dont je sais, Monsieur le Président, qu’elle vous est particulièrement chère et vous en avez témoigné tout au long de vos années de responsabilité. Parce que la prospérité, les succès économiques n’ont de sens, m’avez-vous dit, il y a bien longtemps, que s’ils sont au service de tous.

La Tunisie a entrepris sa modernisation sans complexe et sans renier ses traditions. Je veux saluer la réussite de votre action, Monsieur le Président, au service des Tunisiens. En désamorçant la frustration et le sentiment d’injustice, elle constitue le meilleur antidote aux poisons de notre temps que sont le fanatisme et l’extrémisme où qu’ils soient et d’où ils viennent.

En agissant de la sorte, vous avez fait reculer la pauvreté, vous avez fait reculer l’exclusion, ouvrant ainsi la voie au renforcement de l’Etat de droit et à la consolidation de la démocratie. Car, comme la modernisation, l’aspiration démocratique est de tous les lieux et de tous les temps.

Je suis sûr que la Tunisie poursuivra ses progrès dans cette voie, grâce à ses forces vives, à ses intellectuels, à ses ingénieurs, à ses entrepreneurs. Ils font la fierté de votre pays. Ils voient loin et partagent un sens des responsabilités nationales qui fonde cette stabilité sans laquelle une vie politique, sereine et dynamique à la fois, ne serait pas possible, et je vous cite encore une fois, Monsieur le Président.

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Monsieur le Président, notre dialogue, régulier, dense et confiant, se fonde sur une vision largement partagée de la société internationale et sur un même désir de travailler ensemble à la solution des crises qui déchirent le monde.

Sur ce socle d’entente et d’affinités, nous avons construit une alliance étroite, au service de nos deux peuples. La France a l’ambition de rester le premier partenaire de la Tunisie dans tous les domaines. Le développement de nos échanges économiques et commerciaux témoigne de notre confiance dans l’avenir de votre pays. Par ailleurs, la France veillera à ce que la Tunisie, inscrite dans la zone de solidarité prioritaire, demeure au premier rang de son dispositif de coopération. Faut-il rappeler enfin que la force de notre relation repose aussi sur l’enracinement francophone de la Tunisie, fruit d’un choix assumé, dès le 19ème siècle, par le Premier Ministre KHEIREDDINE ? Elle repose sur les valeurs universelles que nous avons en partage, sur une perception commune des rapports entre les Etats, fondée sur une certaine idée du droit, de la dignité et du respect des peuples.

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Monsieur le Président, Cher Ami, les défis et les épreuves de notre temps nous engagent à agir au service de la paix. Face à la tentation d’un monde unipolaire, nous devons convaincre, plaider sans relâche en faveur d’une relation équilibrée et solidaire entre les grands ensembles régionaux. Je pense ici, naturellement, à l’Union du Maghreb arabe et à la poursuite de la construction euro-méditerranéenne. Là encore, notre partenariat se doit d’être exemplaire. En effet, la Tunisie au Maghreb, et la France en Europe, joueront d’autant mieux leur rôle qu’elles s’épauleront mutuellement.

Vous avez montré le chemin au Maghreb, en marquant votre volonté d’ancrage à l’Europe, en signant les premiers, dès 1995, un accord d’association avec l’Union européenne. La Tunisie s’est aussi engagée sans réserve dans le processus de Barcelone. Votre foi dans ce partenariat entre les deux rives de la Méditerranée vous a conduits à prendre l’initiative du premier Sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement du dialogue 5+5. Vous avez su placer ainsi la Tunisie au cœur même d’une réflexion des pays de la Méditerranée occidentale sur leur avenir commun. Car, comme les Européens, vous savez que le rapprochement, la coopération, l’union seront, pour les pays du Maghreb arabe, le moyen d’être demain plus forts, plus prospères, et de peser de tout leur poids dans les affaires du monde.

Monsieur le Président, laissez-moi rappeler notre convergence d’analyses sur les crises de la région. Votre soutien au projet d’une paix juste et durable au Proche-Orient, votre souci d’éviter à l’Iraq un conflit meurtrier, puis votre appel à un transfert accéléré du pouvoir aux Iraquiens eux-mêmes, votre préoccupation constante envers l’Afrique : tous ces engagements de la Tunisie sur la scène internationale témoignent de vos efforts et de vos ambitions au service de la paix. La voix de la Tunisie est celle de la sagesse et de la raison, de la mesure et du dialogue, de la dignité et du respect. La France salue la contribution de la Tunisie à la recherche d’une nouvelle stabilité régionale et souhaite lui apporter tout son soutien dans sa démarche.

Je veux également saluer le concours actif de votre pays à la lutte contre le terrorisme. Au lendemain des tragédies du 11 septembre, un front s’est levé. Ce combat, la Tunisie, qui a elle-même payé un lourd tribut au terrorisme, y prend toute sa part. Ce soir, je pense naturellement aux victimes de l’attentat de Djerba, le 11 avril 2002, mais aussi à tous les autres innocents, victimes de cette violence lâche que nous sommes résolus à combattre et à éradiquer.

Monsieur le Président, je souhaite par cette visite réaffirmer le caractère prioritaire de l’engagement de la France aux côtés du Maghreb, aux côtés de la Tunisie. Je suis confiant dans l’avenir de nos relations, confiant dans notre capacité à être unis, solidaires, partenaires, pour construire notre destin méditerranéen de demain.

Le moment est venu de lever mon verre, après vous, Monsieur le Président. Je le lève en votre honneur, Monsieur le Président, en l’honneur d’un chef d’Etat respecté. En votre honneur aussi, Madame, et en vous présentant mes très respectueux hommages. En l’honneur des hautes personnalités tunisiennes et françaises qui nous entourent. En l’honneur de la Tunisie et de son grand peuple, auquel je souhaite réussite, bonheur et prospérité. Je bois à l’amitié et au partenariat entre la Tunisie et la France.

Vive la France, vive la Tunisie ! Et vive l’amitié franco-tunisienne !