La Russie et les États-Unis

Ce mois-ci, nous célébrons une date significative dans l’histoire des liens russo-américains - le 70e anniversaire du rétablissement des relations diplomatiques entre nos pays. C’est une bonne raison d’examiner objectivement et impartialement l’expérience historique et les perspectives de la coopération de la Russie et des USA, d’autant plus que cette expérience des sept décennies est de loin non exhaustive.

L’histoire a étroitement lié les destins de nos pays et de nos peuples. En 1741 déjà, où les Russes Bering et Tchirikov ont découvert la partie nord-ouest du continent américain, avait commencé la mise en valeur de la soi-disant "Amérique russe", devenue par la suite une partie des USA actuels.

Bien que, dans leur histoire, la Russie et les USA aient emprunté les voies différentes, dans les moments cruciaux, critiques, ils étaient invariablement unis par les intérêts communs. Du temps de la guerre des colonies anglaises en Amérique du Nord pour leur indépendance (1775-1783), la position de la Russie, qui avait proclamé en 1780 la Déclaration de la neutralité armée, a réellement fait échec à la tentative de l’Angleterre d’instaurer le blocus maritime de la jeune République au-delà de l’océan. Plus tard, dans les années de la guerre civile aux USA déjà (1861-1865), la Russie, après avoir décliné la proposition de la France de l’intervention commune, avec la Grande-Bretagne, en faveur du Sud rebelle, s’est positionnée comme la seule puissance intéressée au maintien de l’intégrité des USA. Est également symbolique le fait que le servage en Russie et l’esclavage aux USA aient été abolis presque simultanément - en 1861 et en 1863.

La Russie et les USA ont été alliés dans deux guerres mondiales. La mémoire de nos peuples gardera à jamais les "convois de nord" et la fraternité au combat des deux pays, leur rôle clé dans la victoire sur l’ennemi commun de l’humanité - le nazisme. Même à l’époque de "la guerre froide", où la confrontation entre Moscou et Washington mettait parfois le monde au bord de la catastrophe nucléaire, les deux pays ont montré leur capacité, dans les moments critiques, de s’élever au-dessus des différends et faire preuve de la responsabilité commune pour la sauvegarde de la civilisation.

Une part importante de l’expérience historique conjointe de nos pays revient à leur apport décisif à la création du système contemporain de droit international, qui, voici déjà plus d’un demi-siècle, sert de base pour la garantie de la paix et de la sécurité internationales. Leurs signatures figurent au bas des Statuts de l’ONU, de l’Acte final d’Helsinki, du Traité sur la non-prolifération d’armes nucléaires et d’autres documents clé, dont l’application est aujourd’hui encore le gage de la stabilité et de la prévisibilité des relations internationales.

Dans les conditions modernes, où la page de "la guerre froide" dans nos rapports est définitivement tournée, la responsabilité commune pour le maintien de la stabilité au monde est à plus forte raison appelée à devenir le pivot des relations russo-américaines. Il existe des bases réelles à ce que la Russie et les USA, unis par les valeurs communes, atteignent un niveau sans précédent de la compréhension et du partenariat dans les affaires internationales. Telle est la principale exigence de l’ère de la mondialisation, qui met l’humanité face aux défis et menaces, dont on ne pourra avoir raison qu’ensemble.

Parmi ces menaces, la première revient au terrorisme international. De nouveau, comme il y a 60 ans, il a fallu unir les efforts de nos pays pour s’opposer à l’ennemi commun. C’est la coopération de la Russie et des USA qui est devenue le noyau de la coalition antiterroriste globale, créée après la tragédie du 11 septembre 2001.

Le cap sur le partenariat stratégique de nos pays est fixé dans la Déclaration de Moscou sur les rapports stratégiques nouveaux, signée par V.V.Poutine et G.Bush à Moscou en mai 2002. Elle constate, en particulier, que la Russie et les USA vont coopérer "pour l’avancement de la stabilité, de la sécurité, de l’opposition conjointe aux défis globaux et du règlement des conflits régionaux".

Regardons, cependant, la vérité en face : l’application de la tâche posée par les présidents se trouve encore au tout début. Ainsi, la mise en pratique du potentiel de la coopération économique est loin d’être intégralement réalisé. Certes, c’est bien que nous discutions maintenant plus souvent à propos de la livraison du poulet ou des produits des aciéries sur nos marchés réciproques, qu’à propos des missiles et ogives. C’est bien que les perspectives de l’approfondissement de la coopération économique aient point sur les pistes comme le dialogue énergétique et les nouvelles technologies. Néanmoins, la Russie n’est toujours pas été formellement mise hors des effets de l’amendement Jackson-Vanick. Qui plus est, le Congrès des USA cherche à lier de nouveau la liquidation de cet anachronisme avec la solution des problèmes qui n’ont rien à y voir.

Tout cela met avec toute l’évidence à l’ordre du jour la tâche de la formation du mécanisme appelé à enlever ces problèmes, mener la décision de nos présidents au résultat pratique. Ce problème a été examiné au cours du sommet des 26-27 septembre dernier à Camp David. Le sommet a montré la maturité accrue des relations des deux pays, confirmé la dynamique positive de leur développement. Les présidents ont chargé les administrations des deux pays de plusieurs missions concrètes pour faire avancer notre partenariat sur les pistes prioritaires, dont l’exécution sera contrôlée en permanence.

Le partenaire stratégique veut dire la possibilité de parler réciproquement, ouvertement et sans équivoques des problèmes existants, mener la discussion et les débats sur les problèmes les plus épineux de l’ordre du jour russo-américain, surmonter les différends et trouver des issues mutuellement acceptables sans nuire aux relations bilatérales. Il est d’autant plus facile de mener ces discussions que l’on est plus près de la compréhension du fait que, sur la majorité des problèmes clé contemporains, Moscou et Washington ne divergent pas sur les buts stratégiques, mais sur les moyens et les méthodes de leur réalisation.

Ainsi, nous avons formellement déclaré que nous ne croyons pas justifiée la frappe unilatérale des USA contre l’Irak. Avec, pour résultat, la scission de la communauté internationale, cette action a affaibli la coalition antiterroriste globale. Cependant, nous partageons avec les USA, avec les autres membres de la communauté internationale, le but commun du rétablissement de la souveraineté de l’Irak en tant qu’état démocratique libre, qui ne menace pas ses voisins. Cette unité des approches s’est incarnée dans la résolution 1511, adoptée par le Conseil de Sécurité de l’ONU, qui, en particulier, prévoit une extension substantielle de l’implication de l’ONU au règlement politique en Irak.

Nous continuons de coopérer activement avec les USA sur les problèmes de la stabilité stratégique, entièrement d’actualité à l’époque moderne. Nous pays ont consenti à la conclusion du Traité sur la réduction des arsenaux stratégiques offensifs. Ce Traité a, dans un certain degré, rempli les lacunes du système international du contrôle des armements, bien que, pour le mettre en pratique, un grand travail compliqué nous attende.

Nous croyons, aussi bien que les USA, d’une importance de principe de ne pas admettre la prolifération d’armes d’extermination massive et des moyens de leur acheminement. Ce problème touche les intérêts vitaux de la sécurité de nos pays, menace la stabilité internationale en général. On est surtout préoccupé du danger de l’apparition des AEM entre mains des terroristes. La Russie est persuadée que l’on ne peut résoudre ce problème de manière fiable que sur la base du renforcement de la légitimité internationale en la personne du droit international et du rôle central de l’ONU dans les affaires internationales.

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Dans les années de la guerre civile de 1861-1865, où l’existence même des USA en tant que pays uni était en question, le chancelier A.M.Gortchakov écrivait à l’envoyé russe à Washington E.A. Stekl : "Les USA sont dans nos yeux un élément substantiel de l’équilibre politique international. Le Souverain et la Russie entière vouent à cette nation un intérêt des plus amicaux, puisque les deux pays, situés aux deux bouts du monde, ont été appelés, dans la période précédente de leur développement, à la solidarité naturelle des intérêts et des sympathies, ce qu’ils ont déjà réciproquement prouvé".

Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une nouvelle époque dans l’histoire des relations internationales. Sur le fond de nouveaux menaces et défis, deviennent du passé les notions traditionnelles comme l’équilibre des forces, la rivalité, la lutte pour les domaines d’influence. Dans ces conditions, le temps est venu pour tous les états, indépendamment de leur poids politique, économique ou bien militaire, de comprendre que la réalisation de leurs intérêts individuels est impossible sans la mise en pratique des intérêts collectifs de toute la communauté internationale. Toute l’expérience historique des relations russo-américaines y correspond entièrement.