Le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin.

Le Conseil européen de Bruxelles, réuni ce week-end se doit se prononcer sur le projet de Traité constitutionnel de l’Union européenne. Parmi les nombreux sujets de divergence (répartition du droit de vote, droit de veto, défense, élargissement de la Commission, etc.), les chefs d’État et de gouvernement devront trancher la question de la référence à Dieu et du rôle des Églises.

Sur ce point, la délégation française est supposée d’une grande rigidité dogmatique. L’histoire de ce pays a en effet été profondément marquée par les guerres de religions, puis la Révolution. La liberté individuelle a été acquise d’abord contre Rome, avec le gallicanisme catholique, puis contre l’Église catholique elle-même. L’État monarchique, puis républicain, s’est fait le garant de la liberté de conscience. Cependant par nature, l’État tend toujours à imposer sa raison et à nier les libertés individuelles. De cette historie particulière, il résulte une idéologie équivoque, la laïcité. Pour les uns, elle est l’institutionnalisation de la tolérance de la philosophie des Lumières, pour d’autres, elle est un facteur de cohésion sociale par élimination des particularismes.

La France s’est donc vivement opposée à l’invocation de Dieu dans la Charte des droits fondamentaux, puis dans le projet de Traité constitutionnel. Mais en se fixant sur une formulation symbolique, le débat s’est égaré. Le gouvernement de Lionel Jospin a accepté une référence à un « héritage spirituel » comme une concession. Or, précisément cette formulation est beaucoup plus grave parce qu’elle implique une définition particulière de l’Union européenne.

Seules l’Allemagne et la Grèce invoquent Dieu dans leur Constitution, tandis que la France fait référence à l’Être suprême dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen placée en annexe de sa Constitution. Le problème n’est donc pas dans une référence à la transcendance, mais dans la revendication de cette transcendance par des Églises et leur prétention à en tirer une autorité sur l’Union.

Une telle question ne se pose que depuis que l’Europe aspire à son indépendance. Initialement constituée à l’initiative du département d’État des États-Unis, la CECA (lointain ancêtre de l’actuelle Union) avait été planifiée par le plan Marshall. Washington entendait stabiliser l’Europe occidentale face à l’Union soviétique et acceptait pour cela de financer la reconstruction à condition que les Européens s’unissent. Cette volonté américaine coïncidait avec celle d’Européens soucieux de se réconcilier et de prévenir de nouvelles guerres. Mais avec l’effondrement de l’URSS, ces intérêts divergèrent. Désormais, l’Europe est écartelée entre atlantistes et indépendantistes. La construction institutionnelle doit donc pour se poursuivre redéfinir ses objectifs.

L’Union européenne est-elle fondée sur un contrat social entre Peuples souverains, sur un contrat social entre individus citoyens, sur une histoire commune ou encore sur des valeurs communes ? Fuyant ses responsabilités les plus élémentaires, la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing, s’est efforcée de ne jamais en discuter et d’entretenir, le plus longtemps possible, un flou artistique.

Quoi qu’il en soit, le projet de Traité a implicitement évacué certaines options : en son article 51, il accorde des droits politiques et fiscaux particuliers aux Églises et aux Loges maçonniques. Étrangement cette violation concrète de la laïcité n’a pas suscité de réactions publiques, hormis une pétition de 250 eurodéputés et une tribune libre de leur porte-parole, Maurizio Turco, que nous avons publié en juillet et que nous reproduisons dans ce numéro. Il s’y indignait de ces pratiques discriminatoires. Les eurodéputés s’étaient simultanément adressés au Premier ministre français qu’ils imaginaient en champion de la laïcité. Dans une réponse aussi laconique qu’ahurissante (voir notre document), Jean-Pierre Raffarin indique que cette affaire, inscrite à l’ordre du jour du sommet de Bruxelles des 13 et 14 décembre, est en fait déjà close depuis longtemps.

Doit-on comprendre que l’avenir du Traité constitutionnel est déjà scellé, que la délégation française ne se déplace pas pour négocier, mais pour enteriner un choix déterminé depuis longtemps ? Ou doit-on comprendre que la délégation française est prête à brader ses principes ?