Question : M.Lavrov, quels résultats, à votre avis, a apporté l’année 2003 aux Nations Unies et à la mission russe au siège de l’ONU ?
Réponse : 2003 a été l’année des événements dramatiques autour de l’Irak. Ils ont, sans doute, influé sur l’interprétation des futures actions de l’ONU et des positions des États concernant les moyens de lutte contre les nouvelles menaces, qu’il s’agisse du terrorisme, des armes de destruction massive et de leur éventuelle prolifération ou de la criminalité organisée. Tous les pays développés ont évalué leur attitude vis-à-vis des événements et ont envisagé des méthodes d’assurer la stabilité, la sécurité et de réaliser d’autres tâches prévues par la Charte de l’ONU en fonction de l’évolution de la situation autour de l’Irak avant, pendant et après la guerre.
Le fait que la plupart des membres de l’ONU se sont prononcés résolument pour des mesures collectives à prendre dans le cadre des Nations Unies pour trouver des réponses communes aux menaces globales qui pèsent sur la paix et la sécurité est le résultat essentiel de la 58e session de l’Assemblée générale. Presque tous les chefs d’État et de gouvernement et les ministres des Affaires étrangères qui ont été si nombreux à participer à la discussion politique générale à la 58e session ont appuyé cette idée. Cette volonté de la plupart des États du monde a été exprimée dans une résolution sur la réponse aux menaces et aux défis mondiaux qui a été approuvée sur l’initiative de la Russie. L’adoption de cette résolution est un grand succès de la politique extérieure russe.
Le président russe Vladimir Poutine a été le premier à formuler la résolution devant les participants à la session. Une quinzaine de pays dont les grandes puissances régionales (Chine, Inde, Brésil, Égypte, Afrique du Sud, Japon, Australie), ainsi que la plupart des membres de la CEI ont collaboré avec la Russie dans la rédaction du texte. Les auteurs de la résolution réaffirment l’importance de mettre en place une stratégie globale de lutte collective contre les nouvelles menaces sur la base du droit international et de la Charte de l’ONU et appuient la décision du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan de créer un groupe de haut niveau chargé d’élaborer des recommandations sur les réponses collectives aux problèmes modernes. Evgueni Primakov représentera la Russie au sein du groupe. A mon avis, la résolution est une réponse claire et nette à la question de savoir s’il faut faire des démarches unilatérales ou agir de concert dans le monde.
L’évolution de la crise irakienne a démontré, à maintes reprises, la capacité des Nations Unies de respecter la Charte de l’ONU. Le Conseil de Sécurité n’a pas soutenu les hostilités lancées en violation du droit international. Je considère qu’il a ainsi préservé son autorité et renforcé la réputation de l’ONU. Lorsque les États-Unis et la Grande-Bretagne ont proposé d’adopter une résolution sur un gouvernement en Irak d’après guerre, le Conseil de Sécurité n’a pas signé aveuglément ce qui lui était soumis, mais a essayé d’assurer un équilibre des intérêts. La discussion a débouché sur la signature d’une série de résolutions importantes tenant compte des positions de la Russie, de la France, de la Chine, de l’Allemagne, de la plupart des autres membres du Conseil de Sécurité, y compris du Mexique, du Chili et de la Syrie. Cela a permis de parvenir à un consensus. Ces résolutions contiennent notre appel à rétablir d’urgence la souveraineté irakienne et à donner la possibilité au peuple irakien de faire usage de son droit inaliénable de gérer les ressources naturelles du pays. Les résolutions soulignent l’importance de mettre fin à l’occupation immédiatement après la création d’un gouvernement légitime irakien. Elles insistent sur la transparence de l’enquête sur le sort des programmes irakiens concernant les armes de destruction massive et de la réalisation des programmes économiques de la reconstruction de l’Irak d’après-guerre. Ainsi les Nations Unies y ont été utiles et les pays qui ont lancé unilatéralement la guerre contre l’Irak, sont revenus à l’organisation comprenant qu’ils ne s’en passeront pas.
L’ONU n’est pas encore totalement prête à participer à la reconstruction de l’Irak, principalement en raison du danger potentiel pour la sécurité du personnel international. Mais nous estimons que les Nations peuvent déjà s’engager dans l’élaboration des paramètres de la reconstruction politique de l’Irak. La position active russe a grandement contribué à la création du Groupe consultatif sur l’Irak par le secrétaire général Kofi Annan. Le groupe réunit tous les pays voisins de l’Irak, l’Égypte, les cinq membres permanents et les cinq membres non permanents du Conseil de Sécurité qui ont déjà eu une rencontre et sont en train d’en préparer un autre avec l’éventuelle participation des Irakiens. A notre avis, ce groupe peut servir de noyau pour une conférence internationale sur l’Irak préconisée par la Russie. Nous sommes persuadés que plus tôt les Nations Unies s’engagent à l’élaboration des paramètres du règlement politique de la situation en Irak, moins il y aura d’erreurs en Irak.
Question : Comment évaluez-vous le rôle de l’ONU dans le règlement de la crise afghane ?
Réponse : Nous avons déployé des efforts énergiques pour qu’on n’oublie pas l’Afghanistan à cause de l’Irak. Nous avons enregistré des progrès tangibles, mais il faut achever la procédure de convocation de Loya Jirga et l’ONU doit y jouer un rôle de coordinatrice. Par ailleurs, il faut prendre des mesures pour assurer la stabilité dans le pays où les anciens talibans et les partisans d’Al-Qaïda ont redoublé d’activités. Notre position reste immuable : ceux qui ont été souillés par la coopération avec les leaders talibans et ont de fait combattu contre les intérêts de leur peuple, ne doivent pas faire partie des nouvelles autorités afghanes. L’Organisation des Nations Unies opère en Afghanistan en qualité de coordinatrice et de participante clé au processus politique avec l’appui total du Conseil de Sécurité et elle doit garder ce rôle.
Question : Peut-on parler à présent des progrès quelconques dans le processus de règlement au Proche-Orient ?
Réponse : Directement dans la région, on n’a certes pas réussi à faire grand-chose. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas épargné nos efforts pour contribuer, par l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies, à créer une atmosphère propice à la reprise des négociations directes entre Palestiniens et Israéliens et ce, afin de régler le conflit sur la base de la "feuille de route". Le fait même qu’au cours de cette session de l’Assemblée Générale de l’ONU, il y avait un peu moins de résolutions à rhétorique de confrontation a été constaté par bien des personnes. Cela a permis dans une certaine mesure d’obtenir une accalmie relative dans les rapports entre Palestiniens et Israéliens à la fin même de l’année qui s’en va. Somme toute, l’adoption par consensus et à l’initiative de la Russie d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui approuve la "feuille de route" est devenue sans doute le principal événement concernant les problèmes du Proche-Orient au sein même de l’Organisation des Nations Unies. Ce faisant, le Conseil de sécurité de l’ONU a conféré à la "feuille de route" un statut juridique international. Comme résultat, ce document a revêtu un caractère parfaitement nouveau. Il est aussi très important que bien que la résolution en question ait fait l’objet de multiples manœuvres diplomatiques, et que les Israéliens se soient employés à la faire rejeter, depuis son adoption, tant Palestiniens qu’Israéliens ont réaffirmé par la bouche même de leurs leaders respectifs que la "feuille de route" n’avait tout simplement pas d’alternative. Par conséquent, là également, l’Organisation des Nations Unies a apporté une contribution de poids aux efforts déployés en vue de désamorcer l’actuelle crise profonde dans les relations entre la Palestine et Israël.
A titre général, l’année 2003 a sans doute battu tous les records pour le nombre des initiatives russes, approuvées à l’ONU, encore qu’il ne s’agisse pas là de simples déclarations, mais des initiatives tout à fait concrètes, voire pratiques. J’ai déjà évoqué notre initiative concernant les menaces et les défis globaux, initiative qui est d’ores et déjà passé dans le domaine des faits pratiques avec la mise en place du Groupe de haut niveau pour rechercher des réponses collectives aux défis et menaces en question. En matière de désarmement, je ne retiendrai que la résolution sur la sécurité informationnelle, document dont l’initiative revient également à la Russie. Ladite résolution est passée, elle aussi, dans le domaine des actions concrètes : un groupe d’experts gouvernementaux est en train d’être créé au sein même de l’Organisation des Nations Unies pour ne pas admettre que les know-how les plus récents en matière d’information et de communication soient utilisés pour créer des menaces à la sécurité.
Un nombre record de délégués à cette Assemblée générale a voté pour l’initiative russo-chinoise sur la non-militarisation de l’Espace. Somme toute, toutes les résolutions adoptées sur la problématique du désarmement ont confirmé l’aspiration de la majorité écrasante des États pour ne pas relâcher leur attention à tous les aspects du désarmement multilatéral et de la non-prolifération. Pour ce qui est de la non-prolifération, je tiens à signaler que toujours à l’initiative de la Russie, dans le cadre du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, bien qu’au niveau des consultations informelles, un travail a d’ores et déjà démarré pour mettre au point un nouveau projet de résolution sur l’inadmissibilité de l’accès des armes de destruction massive et de leurs vecteurs pour les soi-disant "sujets n’appartenant pas à l’État", et en premier lieu pour criminels et terroristes de toute nature. J’espère qu’une telle résolution sera finalement concertée et approuvée, comme il se doit, ce qui va constituer un pas très important dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et dans l’élévation continue du rôle du Conseil de sécurité de l’ONU dans toutes ces questions. Par ailleurs, je tiens à indiquer que cela ne lèse en rien la compétence ni les droits des mécanismes déjà opérationnels en matière de non-prolifération, tels que l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA), l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC) et la Convention sur les armes biologiques. Tous ces mécanismes, ainsi que tous les traités et les conventions qui s’y rapportent gardent toute leur force, et le Conseil de sécurité de l’ONU ne va guère s’ingérer dans leur travail ni se substituer à ceux-ci. Il s’agit, en l’occurrence, de faire en sorte que le Conseil de sécurité de l’ONU, fort de son prestige international, ferme tout simplement des brèches éventuelles dans le régime de non-prolifération concernant essentiellement certains États.
En ce qui nous concerne, nous tenons à ce que chaque État adopte sur son territoire national des mesures tout à fait concrètes et contrôlables pour garantir le stockage sécurisé des armes de destruction massive, mais aussi des composantes pouvant avoir une double vocation et être utilisées pour une fabrication clandestine de munitions "farcies" de matériaux fissiles, chimiques ou biologiques. On ne peut guère admettre que les armes de destruction massive ou n’importe quelles composantes de leur fabrication et de leurs vecteurs tombent entre les mains des terroristes ou d’autres "sujets étrangers à l’État". C’est en cela justement que nous percevons la tâche majeure qui se pose au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, car, pour le moment, cette question n’est toujours pas close dans l’ensemble des ententes internationales sur le problème de la non-prolifération.
Nous avons également réussi à ne pas admettre de relâchement de l’attention pour la lutte contre le terrorisme, bien que, dois-je le reconnaÑÄtre, la guerre en Irak n’y ait pas du tout contribué. Quoi qu’il en soit, nous n’avons permis aucun ralentissement dans les activités du Comité antiterroriste du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Bien plus, ledit Comité a même rendu ses efforts plus concrets et pratiques, en se mettant à travailler avec ces pays qui ne répondent pas encore à tous les critères des résolutions appropriées du Conseil de sécurité de l’ONU sur la lutte contre le terrorisme.
La 58-ème session de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies a d’ailleurs avalisé encore une initiative sur cette thématique précise. La Russie y a notamment formulé une série de propositions tout à fait concrètes, appelées à défendre les droits de l’Homme face au terrorisme. Nous leur avons même donné un titre imagé - le "Code de défense des droits de l’Homme face au terrorisme". Toutes les dispositions de notre document ont trouvé leur expression dans la résolution que l’Assemblée Générale a adoptée sous la rubrique "Droits de l’Homme et terrorisme".
Question : Comment évaluez-vous le déroulement et les perspectives des opérations de maintien de la paix que l’Organisation des Nations Unies est en train d’effectuer à présent dans différentes parties du monde ?
Réponse : Les conflits qui font toujours rage en Afrique ont déjà provoqué une croissance vertigineuse de la demande pour les opérations onusiennes de maintien de la paix. Quoi qu’il en soit, les pays qui, par tradition, ont fourni et fournissent toujours des contingents pour lesdites opérations de l’ONU manquent de plus en plus d’effectifs pour répondre à ces besoins. En outre, l’aspect financier n’y est pas, non plus, à négliger. Si l’on approuve à présent encore une ou même deux opérations d’envergure en Afrique, et notamment, au Soudan, parallèlement aux opérations déjà en cours de réalisation au Liberia, en République démocratique du Congo (RDC) et en Sierra Leone, l’année qui vient battra sans doute tous les records en matière d’opérations onusiennes de maintien de la paix. Par conséquent, les dépenses en augmenteraient, elles aussi, de manière record. C’est pourquoi, l’Organisation des Nations Unies doit rechercher des solutions tout aussi pragmatiques qu’adéquates aux problèmes liés à sa mission de maintien de la paix. Elle devra, entre autres, initier plus énergiquement les organisations régionales aux efforts conjoints de prévention des conflits éventuels. Or, cela se produit d’ores et déjà : en Afrique, par exemple, l’Organisation des Nations Unies est aidée par la Communauté économique des États de l’Afrique occidentale (ECOVAS) et d’autres structures sous-régionales, alors qu’au sein de la Communauté des États indépendants (CEI), une opération de maintien de la paix est en cours en Géorgie, opération avalisée par l’ONU.
Nous nous félicitons du fait qu’au cours de l’année qui s’en va, se sont consolidés les liens entre l’Organisation des Nations Unies, d’une part, et les groupements d’intégration sur toute l’étendue de la Communauté des États indépendants, de l’autre. En 2003, pour la première fois, ont été invités à une rencontre régulière du Secrétaire général de l’ONU avec les chefs des organisations régionales les représentants de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et de l’Organisation de coopération de Shanghai. Mieux, au cours de cette même Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, la Communauté économique eurasiatique (CEEA) y a reçu un statut d’observateur, et les Statuts de l’Organisation du Traité de sécurité collective ont été enregistrés à l’Organisation des Nations Unies. L’OTSC envisage, elle aussi, de solliciter, l’année prochaine, un statut d’observateur auprès de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies. La CEI, l’OTSC et l’OCS commencent à coopérer très énergiquement avec le Comité antiterroriste du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est une nouvelle tendance prometteuse que nous appuyons par tous les moyens.
Source : ministère fédéral russe des Affaires étrangères
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