A l’approche des régionales, le débat sur le foulard est devenu, à droite comme à gauche, un moyen pour les hommes politiques de rivaliser d’efforts pour démontrer combien ils sont attachés à la République, à la laïcité ou à une certaine idée de l’identité française. Les politiques se sentent soutenus par le fait qu’une majorité de Français est favorable à la « loi contre les signes religieux » en faisant mine de ne pas voir que cette situation est le fruit d’une conjonction d’éléments nationaux et internationaux qui développent une image négative de l’islam.
On a tout dit sur le foulard et, en terre laïque, l’autorité publique s’est curieusement mise à parler aux musulmans pour leur expliquer ce qu’était le « bon islam ». C’est aux musulmans pourtant d’exprimer leur position et de rappeler que le port du foulard est un acte de foi qui doit être librement consenti. C’est pourquoi il faut refuser la contrainte d’avoir à le porter comme celle d’avoir à l’enlever. Il faut refuser les excès des pratiques des fondamentalistes musulmans dans ce domaine. Nous devons aussi nous souvenir que le Conseil d’État avait reconnu que le port du foulard n’était pas en soi contraire à la laïcité tant qu’il n’y avait pas de prosélytisme ou de trouble à l’ordre public. Pendant 14 ans, le nombre de cas conflictuels a beaucoup diminué avant que cette question ne soit relancée par des considérations politiciennes et l’instrumentalisation de la laïcité.
De nombreux musulmans se sont sentis injustement traité et ont appelé la « communauté » à se mobiliser, mais une mobilisation des seuls organisations musulmanes serait faire le jeu de ceux qui veulent isoler les citoyens de confessions musulmanes. Il faut avoir conscience des enjeux et comprendre que cette loi participe aux politiques liberticides et sécuritaires qui se substituent aux réformes sociales radicales dont la France a besoin. Le débat sur le foulard est un débat tronqué qui alimente l’exclusion et le racisme. Être contre cette loi ne signifie pas qu’on est favorable au foulard, mais qu’on reconnaît à autrui le droit de vivre librement ses convictions. De même, s’opposer à la loi ne veut pas dire qu’il faut s’associer sans discernement à tous ceux qui s’y opposent.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Le piège du communautarisme », par Tariq Ramadan, Libération, 14 janvier 2004.