La France pour l’Europe

Lors du dernier Conseil européen de Bruxelles, nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord sur le Traité constitutionnel. Mais, nous ne perdons pas l’espoir de donner aux 450 millions de femmes et d’hommes de l’Union européenne un pacte constitutionnel qui scelle leur "vivre ensemble".

L’Europe, pour la France, c’est d’abord un état d’esprit, une communauté d’âmes, avant d’être une géographie. L’Europe, c’est une pensée qui, depuis les Lumières, est à la recherche du bonheur et de la justice qui a fait de l’Homme le cœur de son projet politique et qui a atteint l’objectif de paix qu’avait déjà, en son temps, fixé Victor Hugo. Cet humanisme, nous le revendiquons.

En l’an 2000, le président de la République, Jacques Chirac, avait tracé la ligne de notre projet lors de son discours devant le Bundestag.

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Nous avons fait le choix de l’élargissement en confiance. Nous avons accepté les compromis difficiles pour que des conditions justes permettent le succès de cette nouvelle géographie. La France est heureuse de ces choix. En accueillant les dix nouveaux venus, elle fera tout pour que les peuples se rapprochent autour de leur destin commun. La Communauté européenne a permis de casser tous les murs. L’Europe de l’Est n’existe plus, l’Europe est réunie autour de l’espoir incarné par la démocratie humaniste et je suis sûr que tous les Européens tireront bénéfice de l’élargissement.

La patrie de Paul Eluard n’oublie pas son poète "un cœur n’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs". Pour la France, l’élargissement est une chance, celle d’aller au devant des autres, de les écouter et de nourrir ainsi notre patrimoine culturel, socle de toutes nos ambitions. L’Europe a retenu la morale de Goethe dans Erlkönig : elle n’a pas été sourde à l’appel.

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Pour nous, l’élargissement a toujours impliqué l’approfondissement.

En effet, nous avons vécu les soubresauts de la gouvernance européenne, notamment la tentation fédérale, la dérive bureaucratique, les marathons hors du temps ou les marchandages hors limites… Je n’oublie pas non plus les succès, ceux de l’émergence du système monétaire avec Valéry Giscard d’Estaing, de la démocratie européenne avec Simone Veil ou du marché unique avec Jacques Delors. Il ne s’agit pas de dire, ici, que les Français ont fait l’Europe mais que l’Europe a su séduire des talents français depuis la période des fondateurs.

De toutes ces expériences, nous tirons la leçon qu’il faut une Constitution à l’Europe, un texte fondamental offrant à notre construction commune les garanties de l’efficacité et de la pérennité. Le travail de la Convention sur l’avenir de l’Europe est pour nous un véritable acquis européen. En dix-huit mois, la Convention a été capable de proposer, de manière consensuelle, un projet équilibré et innovant, réaliste et ambitieux. Une présidence plus stable, un ministre des Affaires étrangères de l’Union, l’extension du champ des mesures prises à la majorité qualifiée, le renforcement du contrôle démocratique et de la subsidiarité, le droit d’initiative européenne, l’insertion de la Charte des droits fondamentaux, l’affirmation de nos valeurs...

Toutes ces initiatives sont à la hauteur de l’approfondissement institutionnel qui doit accompagner le nécessaire élargissement de l’Union. En tant que chef de gouvernement, je suis très attaché à la règle de la double majorité, en effet les règles européennes avec lesquelles je devrai composer doivent disposer d’une forte légitimité pour s’imposer : avec 50 % des Etats et 60% des citoyens, dans ce projet, la légitimité européenne est indiscutable.

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L’exigence d’une Constitution pour l’Europe est historique, ce n’est pas une question de semaines. Nous croyons l’accord possible, nous y travaillons et nous comptons sur la présidence irlandaise après les avancées de la présidence italienne. Dans l’hypothèse contraire, les pays qui ont l’ambition de cette Constitution travailleront ensemble pour, dans l’action, convaincre les autres. Les groupes pionniers construiront l’avenir dans le respect de l’acquis communautaire. La relation germano-française, authentiquement dense, pourra servir de pôle d’accueil pour ceux qui souhaiteront renforcer leur coopération : par exemple le Royaume-Uni pour les questions de défense, la Pologne pour stimuler le triangle de Weimar ou l’Eurogroupe pour mieux lier stabilité et croissance au sein du Pacte de l’euro…

Nous devons en effet faire évoluer le pacte de stabilité pour qu’il puisse mieux prendre en compte les évolutions conjoncturelles. Nous avons besoin de resituer la discipline budgétaire dans un cadre de politique économique plus ambitieux.

C’est pourquoi je souhaite qu’un pacte rénové valorise davantage les réformes fondamentales qui - telle celle des retraites - améliorent la viabilité de long terme de nos finances publiques ; je souhaite qu’il valorise également davantage les dépenses de préparation de l’avenir - tout particulièrement les dépenses de recherche.

Je souhaite aussi que les voix autorisées de l’Europe fasse entendre notre message contre l’instabilité des taux de change entre le dollar et l’euro. Cette instabilité n’est bonne pour personne. Nous devons trouver ensemble les moyens d’assurer des parités plus compatibles avec la réalité économique.

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Dans ce contexte, la France est exigeante envers elle-même. Elle s’est mise en mouvement pour apporter à l’Europe sa part de croissance. Pour cela, mon gouvernement a engagé de nombreuses réformes structurelles qui, en modernisant la France, servent sa cause européenne : financement des retraites, organisation décentralisée de la République, lutte contre l’insécurité, nouveau droit à la formation professionnelle, développement des entreprises (aide à la création, allégement des charges, assouplissement des réglementations, …), baisse de la fiscalité… En 2004, nous mènerons la mobilisation pour l’emploi, la réforme de l’assurance maladie, le financement de la dépendance, la révision de la loi d’orientation pour l’école, un renforcement de la valeur de la laïcité dans la République… réformes parmi d’autres. Les efforts rassemblés dans l’agenda 2006 de mon gouvernement s’inscrivent dans la dynamique qui est menée dans plusieurs autres pays de l’Union et qui doit être accompagnée, renforcée par l’Union européenne elle-même. La France ne souhaite ni abandonner son modèle social aux logiques de la financiarisation de l’économie, ni abandonner ses agriculteurs aux incertitudes qui sont levées grâce aux décisions de 2003 sur la nouvelle Politique agricole commune… Pour ces raisons, la France souhaite un cadre constitutionnel stable pour que les décisions de l’Europe soient à la fois attentives et légitimes.

J’ai discuté, cher lecteur, de tous ces sujets, avec le chef de votre gouvernement.

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Vaclav Havel a raison de dire que "la mission de l’Europe aujourd’hui est de retrouver sa conscience et sa responsabilité, responsabilité non seulement à l’égard de sa propre architecture politique, mais aussi envers le monde dans son ensemble".

La responsabilité propre, c’est de mettre l’Europe au service des Européens. C’est pour les Européens que nous soutenons le projet Iter pour l’énergie du XXIème siècle, c’est pour les Européens que nous voulons construire un espace de croissance durable nécessaire pour l’emploi et le progrès social, contre la désindustrialisation qui menace notre continent. C’est dans cet esprit aussi que nous voulons promouvoir les réseaux de communication entre Européens.

La responsabilité à l’égard du monde, c’est de construire des relations euro-américaines nouvelles, fondées sur une capacité de dialogue d’égal à égal et sur la volonté de formuler des ambitions communes pour l’organisation du monde.

La responsabilité internationale, c’est aussi de développer une vision humanisée de la mondialisation, qui fait de la diversité culturelle, de la démocratie et de l’aide au développement et du combat contre les épidémies des priorités de l’Union… Il faut également que l’Europe s’implique pour protéger notre planète dans le projet d’Organisation mondiale de l’Environnement, comme l’a souhaité Jacques Chirac, président de la République, dans le prolongement des accords de Kyoto.

Là est notre projet : faire que l’Europe à 25 soit assez forte pour faire partager dans le monde son esprit de justice, son humanisme.

Aujourd’hui, j’ai confiance en l’Europe et je veux dire que l’Europe peut avoir confiance en la France./.

Source : services du Premier ministre français