Permettez-moi de vous dire tout d’abord à quel point je suis heureux d’être ici à Abou Dabi, dans un pays ami dont j’ai pu apprécier la proximité avec la France et où j’ai pu mesurer que l’hospitalité arabe n’était pas un vain mot.

J’ai été reçu par Cheikh Khalifa Bin Zayed, Prince héritier d’Abou Dabi, à qui j’ai remis un message du président pour Cheikh Zayed, par Cheikh Mohamed Bin Zayed, vice-Prince héritier et chef d’état-major des armées, ainsi que par Cheikh Hamdan Bin Zayed, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères.

Il était naturel de faire d’Abou Dabi la première étape d’un déplacement qui me conduira dans cinq pays du Golfe : la Fédération des Emirats arabes unis, le Sultanat d’Oman, l’Etat du Koweït, l’Etat du Qatar et le Royaume du Bahreïn.

Cette région a vécu l’an passé une période difficile avec l’irruption de la crise, puis de la guerre en Irak dont les soubresauts se font encore sentir. La Fédération des Emirats arabes unis, sous la sage conduite de Cheikh Zayed, a su adopter une position juste et préserver la stabilité de ce pays.

Dans ce contexte régional troublé, j’ai souhaité effectuer ce voyage pour resserrer encore davantage les liens d’amitié qui nous unissent à la Fédération des Emirats arabes unis, afin de poursuivre notre concertation et de nous préparer ensemble aux échéances à venir en Irak comme dans la région.

J’ai pu mesurer la justesse des vues de mes interlocuteurs émiriens et constater nos analyses communes. J’ai pu vérifier l’excellence de nos relations bilatérales, basées sur l’amitié, la solidarité, la confiance et le respect mutuel.

Sur la question irakienne, nous pouvons distinguer deux grandes phases : la première qui nous conduit jusqu’au 30 juin, où la Coalition, en liaison avec le Conseil de gouvernement intérimaire, a la responsabilité principale du processus politique. Dans cette première phase, il importe que tous les Irakiens participent à la transition, et que le transfert de responsabilités soit engagé.

Dans ce contexte, les Nations unies ont un rôle à jouer, notamment à travers les réunions organisées par le Secrétaire général des Nations unies, la désignation d’un envoyé spécial, et la mission de M. Ross Mountain.

La seconde phase débutera à compter du 30 juin 2004, date à laquelle l’Irak aura recouvré sa pleine souveraineté. Il appartiendra alors aux Nations unies de conduire le processus. Elles doivent se préparer dès à présent à assurer le succès des différentes étapes jusqu’aux élections générales prévues à la fin 2005.

Nous devrons conforter le processus de souveraineté afin de le rendre le plus efficace et légitime possible. Une conférence internationale sur l’Irak pourrait permettre de légitimer la transition et consacrer la pleine réintégration de l’Irak dans son environnement régional et international. Nous devrons également favoriser la réinsertion de l’Irak dans son environnement régional : cela implique en particulier de réfléchir à une nouvelle architecture de sécurité dans cette région du monde.

Nous avons bien sûr évoqué avec les autorités émiriennes la situation au Proche-Orient, qui demeure préoccupante. Nous ne pouvons pas, c’est le sentiment de la France, accepter l’impasse actuelle. Nous devons réfléchir à la manière d’avancer : en arrêtant le cycle des violences ; en retrouvant la voie de la négociation par la mise en œuvre de la Feuille de route, notamment par l’adoption le plus rapidement possible d’un cessez-le-feu ; en conduisant parallèlement Israël, comme les mouvements palestiniens, à s’engager sur la voie de la paix par des mesures concrètes.

La France et l’Union européenne, en liaison avec leurs partenaires du "Quartet", les Nations unies, la Russie et en particulier les Etats-Unis, entendent assumer leurs responsabilités en poursuivant la concertation, en continuant d’apporter une assistance économique aux Palestiniens, en mettant en œuvre, dès que possible, un mécanisme de supervision de l’application de la Feuille de route. Enfin, en travaillant, en Europe et dans le monde arabe, pour aller plus loin sur le chemin de la paix. La France a suggéré plusieurs pistes, vous le savez : une conférence internationale, une présence internationale déployée sur le terrain.

Nous avons fait, avec les autorités émiriennes, le constat commun de l’excellence de nos relations bilatérales que nous souhaitons approfondir dans tous les domaines. La France est prête à apporter son concours, chaque fois qu’elle sera sollicitée, au formidable élan de développement qui souffle dans cette région, et, en fonction des besoins exprimés par les Emirats arabes unis, les aider à répondre aux défis du monde d’aujourd’hui.

Je me félicite du bon développement de nos échanges dans les domaines de l’économie, de la coopération culturelle, scientifique, technique, dans le domaine de la défense. Nous avons une raison supplémentaire de nous réjouir, car les Emirats arabes unis et la France sont en effet entrés dans une phase de coopération dans le domaine de la construction navale. Un contrat de sous-traitance pour la construction de quatre patrouilleurs de type Baynounah, et la prise de deux options, a été signé fin décembre entre CMN et ADSB. J’espère que des entreprises françaises pourront participer à l’équipement de ces bâtiments.

Notre coopération n’est pas limitée au domaine commercial ou militaire. Elle s’exerce aussi, de plus en plus, en dehors de cette sphère, dans le domaine culturel. Je salue au passage l’initiative Euro-Golfe qui verra, sous l’égide de l’Institut d’études politiques de Paris et de bien d’autres universités de la région, la création d’un réseau de chercheurs et d’universitaires qui permettra des échanges dans le domaine des sciences humaines et l’approfondissement des connaissances et la perception, la connaissance que nous avons les uns des autres.

Voilà, je suis prêt à répondre maintenant à vos questions.

Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez le sentiment que la position de la France a souffert d’une extension de l’influence américaine après la guerre en Irak et est-ce que l’on peut dire que votre tournée dans la région est une tentative de contenir cette influence américaine grandissante peut-être au détriment du rôle de la France ?

R - Ecoutez non, je n’ai pas du tout le sentiment que l’influence américaine se soit étendue le moins du monde au détriment de la présence française. Je crois que les relations que la France entretient avec cette région sont des relations anciennes, des relations de confiance, d’estime et d’amitié. Je crois que, dans ce contexte là, nous devons bien sûr développer, renforcer, conforter le dialogue que nous avons, à un moment stratégique pour l’ensemble de la région. Chacun voit bien à quel point ce qui se passe aujourd’hui est essentiel, vital. Nous devons donc tous participer pleinement, dans le sens de la stabilité et de la sécurité de cette région. C’est bien le souci de la France et je crois pouvoir dire que le dialogue que nous engageons avec l’ensemble des Etats de cette région est un dialogue très ancien et très confiant. Donc, de ce point de vue, cela ne correspond évidemment à aucune inquiétude de la part de la France, mais bien au contraire au souci de continuer à développer et à intensifier ces relations. Mais nous ne sommes nullement dans une relation de concurrence.

Q - Monsieur le Ministre, des problèmes sont apparus dernièrement avec les pays musulmans à cause de la loi que va adopter la France sur l’interdiction du voile aux musulmans en France. Est-ce que cela aura des conséquences sur les relations de la France avec les pays arabes et musulmans et particulièrement avec les pays d’origine des Français musulmans ?

R - Ecoutez, pour vous dire les choses franchement, je ne le crois pas. Je crois pouvoir dire que la position de la France est dans l’ensemble bien comprise, mais nous voulons, bien sûr, éviter tout malentendu, toute incompréhension. C’est pour cela que je suis heureux que vous me donniez l’occasion d’expliquer la position de la France.

La France, vous le savez, est le pays de la démocratie, le pays des Droits de l’Homme. Nous avons engagé depuis maintenant plusieurs mois un dialogue très profond, très approfondi avec la communauté musulmane et nous avons créé dans notre pays un Conseil français du Culte musulman, qui permet à l’Islam de France d’organiser ses relations avec l’Etat.

L’Islam a, bien sûr, toute sa place en France et il y est respecté et c’est bien pour assurer le respect des religions et des croyances que l’Etat doit être neutre. C’est la tradition française, une tradition de laïcité qui a pour but de favoriser l’intégration et l’égalité des chances, qui passe en France par la neutralité de l’espace public.

La loi que nous préparons en France s’inscrit donc dans une tradition historique très ancienne. Il est faux de dire qu’elle vise l’Islam et le port du voile en particulier. Je veux insister en particulier sur le fait qu’il n’y aura pas d’interdiction générale du port du voile. L’interdiction sera limitée aux écoles et pour les agents publics lors de l’exercice de leurs fonctions. Les écoles concernées sont les écoles publiques. Les établissements privés, confessionnels ne seront pas concernés par la loi, pas plus que les universités, les lieux publics et encore moins l’espace privé. Vous voyez donc qu’il s’agit bien de faire en sorte que ce principe de laïcité s’applique dans nos écoles publiques, c’est une tradition de la France et c’est le souci que ce principe de laïcité, de neutralité puisse être respecté.

Q - (Sur la libération de deux journalistes français aujourd’hui au Pakistan.)

R - Ecoutez, je me réjouis de la décision de la Haute Cour de Karachi qui va permettre aux deux journalistes français, MM. Marc Epstein et Jean-Paul Guilloteau, de rejoindre rapidement la France. Ce jugement met ainsi un terme à une affaire qui a mobilisé la diplomatie française depuis le premier jour. A ce titre, nous avons été en contact permanent avec les autorités pakistanaises et j’ai eu l’occasion d’évoquer ce dossier à plusieurs reprises avec mon homologue. Je voudrais ici même remercier les autorités pakistanaises pour l’aide qu’elles nous ont apportée dans le plein respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire pakistanais.

Q - Nous avons pris connaissance de la décision qui a été prise la semaine dernière concernant les Kurdes en Irak, est-ce que cela pourrait avoir des conséquences et quelle est la position de la France à ce sujet ?

R - Tout doit être fait bien sûr pour que l’ensemble des communautés puisse vivre ensemble harmonieusement en Irak. L’accord du 15 novembre a prévu un certain nombre d’étapes pour le développement du processus politique en Irak jusqu’au 30 juin, et en particulier, l’adoption d’une loi constitutionnelle, la formation d’une Assemblée consultative et la formation d’un gouvernement provisoire.

Après le 30 juin, il faudra définir une constitution. Il faudra qu’elle soit adoptée par référendum, c’est ce qui a été prévu et des élections générales sont prévues avant la fin 2005. Il est très important pour la France que ce soit les Irakiens eux-mêmes qui puissent adopter et définir la règle constitutionnelle qui sera amenée à régir les relations à l’intérieur de l’Irak. C’est pour cela que nous avons, depuis le premier jour, insisté pour que les Irakiens puissent être en charge de leur destin le plus rapidement possible et plaidé pour que le retour de la souveraineté puisse s’effectuer. Ce sera fait le 30 juin et il est important donc que le gouvernement provisoire, les assemblées qui seront formées pour définir le schéma constitutionnel, puissent le faire en toute indépendance.

Je vous remercie.

Source : ministère français des Affaires étrangères