(extrait du procès-verbal de la séance du 24 septembre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Mesdames et messieurs, nous vous avons conviés pour vous écouter et dialoguer avec vous sur la question des signes religieux à l’école. Je vous propose de donner rapidement votre point de vue sur la question, puis nous passerons au jeu des questions réponses.

Mme Aline SYLLA : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, Khalid Hamdani et moi-même vous remercions de votre invitation. Je précise que le Haut conseil à l’intégration ne s’est pas encore saisi de cette question. Nous avons, au cours des débats qui ont eu lieu avant la rédaction des différents avis que nous avons remis au Premier ministre avant l’été, abordé la question de la laïcité, et par voie de conséquence des signes religieux, mais nous l’avons écartée dans un premier temps car nous étions saisis d’autres questions, notamment de celle du droit civil des femmes issues de l’immigration. C’est la raison pour laquelle nous nous exprimerons à titre individuel.

Pour ma part, il me semble nécessaire de légiférer sur cette question. Les chefs d’établissement et les enseignants rencontrant de sérieuses difficultés, il serait bon de mettre à leur disposition une règle claire sur laquelle ils pourront se fonder. Cela ne veut pas dire qu’il convient d’exclure le dialogue, mais l’on ne peut pas nier que celui-ci, quelquefois - comme l’affaire d’Aubervilliers le montre - n’aboutit pas. Il convient donc que les représentants de la nation légifèrent afin de permettre, aux uns et aux autres, de se positionner sur la question.

Mme Fadela AMARA : M. le Président, mesdames, messieurs, pour être honnête, de nombreuses discussions ont eu lieu sur ce sujet au sein de notre mouvement mais nous n’avons pas encore pris une position claire. Notre université se tiendra les 3, 4 et 5 octobre, et je pense que nous trancherons la question à ce moment-là. Personnellement, je suis contre les signes ostentatoires et le prosélytisme au sein des établissements scolaires et du service public.

Alors faut-il légiférer ? Nous ne savons pas encore. Nous craignons en effet qu’une loi déclenche une réaction, notamment dans les cités, qui entraînerait l’apparition de plus de barbes et de burkas. Nous fondons nos craintes sur les discussions que nous avons avec ces jeunes des cités qui peuvent vivre cette loi comme une stigmatisation, une injustice. Un jeune m’a dit clairement : « La discrimination et la loi sur le port du voile feront de nous des victimes, des boucs émissaires. Mais cette fois-ci nous nous ne pourrons pas laisser passer, car ils vont toucher à quelque chose de sacré, la religion. »

M. Dominique SOPO : S’agissant de la question du port du voile à l’école, nous sommes évidemment défavorables au port de signes religieux dans les établissements scolaires, dans la mesure où un enfant qui va à l’école est avant tout un enfant de la République - et non pas un catholique, un juif ou un musulman.

Nous ne devons pas être naïfs face aux revendications des jeunes filles souhaitant porter le voile : il s’agit d’une épreuve de force, d’un test, et la République doit rester ferme sur ses principes et éviter toute concession.

Mais doit-on pour cela légiférer ? Une loi pourrait être prise pour un élément de stigmatisation. Il convient donc avant tout de réfléchir, d’un point de vue juridique, aux autres possibilités qui pourraient permettre de définir un cadre réglementaire clair pour les chefs d’établissements. La loi a un caractère solennel et, même si elle interdit l’ensemble des signes religieux, elle sera vécue comme une loi anti-musulmans.

Je me permets également d’attirer votre attention sur le fait que cette loi pourrait être instrumentalisée, non pas par des intégristes, mais par les politiques. J’ai entendu un élu de la République expliquer qu’il était favorable à la laïcité et contre le port du voile à l’école, mais qu’il se battait, en même temps aux côtés de Jean-Paul II, pour que la Constitution européenne comporte des références religieuses. La question de la laïcité peut donc être à géométrie variable, ce qui est extrêmement problématique.

Mme Monique LELOUCHE : La question qui nous est soumise ce matin a été largement débattue, et en partie tranchée, au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (MRAP). Je laisse la parole à Mouloud Aounit, notre secrétaire général.

M. Mouloud AOUNIT : Il convient de ne pas être hypocrites. On nous parle de signes religieux, mais je pense que la question principale est celle du port du foulard à l’école.

Notre position est claire et se borne à un certain nombre de principes fondamentaux. D’abord, il convient de rappeler que le rôle des enseignants est d’enseigner ; et le droit à l’éducation doit être un droit sacré - un avocat, par exemple, est là pour défendre mais il n’est pas obligé de partager l’ensemble des opinions de ses clients.

Ensuite, nous ne ferons rien qui favoriserait l’idée que nous pourrions nous transformer en sorte de « VRP » des écoles coraniques. Toute attitude qui pourrait favoriser le développement et la promotion des écoles coraniques serait un échec de la République.

En ce moment, il y a une sorte de fièvre autour du foulard que l’on peut retrouver, à la fois dans les prises de positions publiques, dans les écrits, les journaux... « Le foulard contre la République », « L’islam contre la France », etc. Or les études révèlent que si, en 1994, nous comptions 300 incidents dans l’ensemble des établissements scolaires, en 2002, il n’y en a eu que 150. Nous débattons, nous voulons légiférer sur un problème, alors que rien ne le justifie.

Par ailleurs, et c’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à une loi, il existe, sur cette question, des situations extrêmement différentes - qui ont toutes une réalité très complexe. Je suis actuellement impliqué dans l’affaire d’Aubervilliers : deux jeunes filles - en construction identitaire - désirent porter le foulard à l’école, alors que leur père est un juif, athée, défenseur de la République, et leur mère une kabyle qui ne porte pas le foulard. Ces jeunes filles ne veulent pas aller dans une école coranique et participent à tous les cours, ne refusent pas le cours d’éducation physique et de physique-chimie.

Contrairement aux idées reçues, ces jeunes filles ne sont manipulées ni par les parents, ni par les grands frères, ni par les barbus : le port du foulard s’explique par le respect de leur dignité. Et en aucun cas, elles n’ont conscience que leur action peut être considérée comme du prosélytisme.

Par ailleurs, il s’agit d’une affaire dans laquelle tous les ingrédients sont réunis pour que nous puissions trouver une solution : les jeunes filles ne refusent pas les cours, et les parents comme l’inspecteur d’académie acceptent le dialogue. Or hier, plusieurs centaines d’élèves ont refusé de se rendre en cours, et ce matin, j’apprends qu’un certain nombre de manifestations ont lieu autour de l’établissement. Nous avions trouvé un compromis avec les chefs d’établissements et le père des élèves, que certains enseignants ont refusé, et un professeur s’est même permis de dire à l’une de ces jeunes filles : « Mais pourquoi ne vas-tu pas dans une école coranique ? » C’est très grave !

Le MRAP n’est donc pas favorable à une loi, qui ne permettrait pas de régler la complexité des situations. Une réponse individualisée est à chaque fois nécessaire, afin de trouver une solution honorable qui respecte à la fois le droit à l’éducation et le droit des jeunes filles de se construire, avec une identité religieuse.

M. le Président : C’est peut-être justement parce que la loi n’est pas très claire et laisse place à une interprétation qu’il y a des cas particuliers ; de ce fait, on laisse le soin à certaines personnes de l’interpréter. N’êtes-vous pas en train de justifier une loi là où vous n’en voulez pas ? En effet, dans ce cas précis, c’est justement parce que la loi permet des interprétations que l’on débouche sur des situations tendues.

M. Jean-Michel DUCOMTE : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, la Ligue de l’enseignement dispose, me semble-t-il, compte tenu des combats qu’elle a conduits et accompagnés, d’une légitimité historique et politique, que personne ne lui conteste, à débattre sur la question de la laïcité en général, et sur le problème qui est au cœur des préoccupations de votre mission d’information.

Je me réjouis tout d’abord qu’aujourd’hui tout le monde redécouvre, dans l’espace républicain, les vertus de la laïcité. Nous eussions débattu du problème il y a quelques années, je pense que la difficulté à débattre de la vertu pacificatrice de la laïcité n’aurait concerné que certaines personnes ; aujourd’hui, l’ensemble du champ républicain est concerné par cette question. Certaines voix se font également entendre, dont la conversion à la laïcité me semble plus suspecte.

Je suis étonné par le fait que ce soit à l’occasion du port du voile islamique que la question plus générale du port de signes d’appartenance religieuse soit posée. Je n’ai pas souvenance qu’il ait été question, avant 1989, du port de la croix, au sein des établissements scolaires, ou du port d’autres signe d’appartenance...

M. le Président : Cela a été l’occasion de grands débats sous la IIIème République !

M. Jean-Michel DUCOMTE : Evidemment, et l’on pourrait reprendre le débat sur le terrain historique, car il y a des éléments extrêmement intéressants, notamment dans la loi de 1905 qui évoque le problème des signes d’appartenance.

Etonnement, donc, mais comme tous les étonnements, il permet de réfléchir et de discuter.

Ensuite, je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que sur le terrain politique, le port du voile pose question, interpelle, scandalise parce qu’il renvoie à un statut de la femme, parce qu’il révèle une capacité de pression sur l’immense majorité de la communauté musulmane. Parce que, par ailleurs, il induit une démarche stigmatisante. Sur le terrain politique, la Ligue de l’enseignement est prête à engager un débat et à condamner le port de ce voile, dès lors qu’il exprimerait ce type d’attitude. Nous ne voudrions pas que la focalisation du débat sur l’univers scolaire nous prive de la capacité de manifester notre appréciation sur la symbolique qui réside dans ce signe d’appartenance.

S’agissant du problème de la loi - la Ligue a adopté une motion sur ce sujet -, nous pensons, tout d’abord, que le danger à éviter est celui de la stigmatisation. Il ne faut pas, à travers une démarche législative qui serait principalement déterminée par la question du port du voile islamique, que nous aggravions la stigmatisation d’une communauté au sein de la République. A cet égard, la solution retenue serait pire que le mal que nous souhaitons prévenir. Par ailleurs, des textes existent qu’il importe de faire appliquer.

Ensuite, nous faisons confiance en la capacité de l’école républicaine à affranchir les futurs citoyens des contraintes assignatrices qui entravent leur liberté. Et là, M. le Président, l’histoire est porteuse de quantité de textes ; Condorcet a dit sur ce sujet des choses impérissables, et je pense que la « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry doit être lue et relue parce qu’elle comporte nombre d’indications importantes. Je pense également que la plupart des textes qui ont construit l’école publique républicaine sont fondateurs de ce socle juridique qui existe déjà.

Il serait paradoxal que vous considériez que le travail du législateur doit être l’un des éléments que l’on pose en préalable à l’engagement du débat que l’école peut mettre en œuvre et que le corps social doit avoir le courage de conduire.

Le premier paragraphe de notre motion, qui ne comporte aucun élément de secret, résume assez bien la position de la Ligue de l’enseignement : « La Ligue de l’enseignement, dont toute l’histoire est marquée par une action constante en faveur de la laïcité, considère que légiférer sur le port de signes d’appartenance religieuse est inopportun. Toute loi serait soit inutile, soit impossible. »

D’abord, loi impossible. Je suis un peu juriste - en tant qu’universitaire et avocat - et je connais assez précisément la difficulté qu’il y a à légiférer lorsqu’on est en présence d’une question qui relève du champ des libertés publiques.

M. le Président : C’est souvent la loi qui a permis aux libertés publiques de s’exprimer.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Il existe une excellente thèse, qui date d’une vingtaine d’années, de Jean-Pierre Machelon qui s’intitule « La République contre les libertés ». Il explique que la plupart des lois de la IIIème République, qui sont à l’origine de l’ensemble législatif républicain et qui concernent ces libertés, ont été, au départ, des lois d’interdiction, qui ont ensuite favorisé l’émergence des libertés.

Sous une réserve ! Que la loi ne soit pas une loi d’interdiction générale et absolue. Peut-on, par ailleurs, demander à une loi de définir des notions aussi subtiles que celles du prosélytisme et de l’ostentation. Je souhaite bien du plaisir au juriste qui devra, un jour, définir ce que recouvrent ces deux mots.

M. le Président : La loi peut être adoptée pour un lieu.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Cela ressemblera à un inventaire à la Prévert...

M. le Président : Nous réfléchissons sur le port des signes religieux à l’école. Je ne vois donc pas pourquoi - je suis également un peu juriste - on ne pourrait pas définir une interdiction par rapport à un lieu déterminé.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Par ailleurs, au regard de la convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence du Conseil d’Etat, j’ai quelques doutes sur la faisabilité juridique d’une telle loi.

Ensuite, loi inutile. Vous évoquez, M. le Président, le problème de l’incertitude législative qui déterminerait une exigence d’interprétation et, presque par rebond, amènerait à réfléchir sur la nécessité de sortir de cette logique d’interprétation. A titre personnel, cela ne me pose aucun problème. Je pense que l’avis du Conseil d’Etat de 1989 est remarquablement rédigé.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat, à partir de 1992, a été amené à statuer sur des cas particuliers. Que dit-il ? Il rappelle des principes inscrits dans la loi et la Constitution. Et au regard de ces principes, il dit de quelle façon, au cas d’espèce, on doit traiter tel ou tel problème. Je ne pense pas que l’on puisse sortir d’une logique d’interprétation.

Il y a quelque temps, avec des collègues de la Ligue de l’enseignement, nous nous sommes penchés sur la question de la loi de 1905. En lisant ce qui reste du texte, soumis à diverses modifications liées principalement au refus de l’Eglise catholique d’en faire une application sereine, nous nous sommes rendu compte que la question des signes d’appartenance était mentionnée dans le texte. Un modeste effort interprétatif reste à conduire mais l’essentiel est dit.

La loi existe ! Pouvons-nous ajouter quelque chose de plus alors que la faculté interprétative s’est développée, alors que, me semble-t-il, ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est notre capacité militante à développer les vertus pacificatrices de la laïcité ?

J’ai entendu parler de l’hypothèse de la rédaction d’une charte de la laïcité, qui serait davantage un texte de principe dont la portée normatrice ne serait pas nécessairement inscrite dans une loi, mais qui aurait l’immense avantage de permettre, en permanence, l’engagement d’un débat démocratique sur les exigences de la laïcité républicaine. Cela me semble plus pertinent qu’une loi, que ceux qui en seront les destinataires verront comme l’expression d’une logique stigmatisatrice.

M. le Président : Que répondez-vous aux enseignants qui nous disent que, compte tenu de la législation, de la jurisprudence, ils n’ont pas les moyens d’interdire le port du voile à l’école.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Je ne suis pas certain qu’ils disent réellement cela ; je pense qu’ils se plaignent de ne pas être soutenus.

M. le Président : Vous interprétez ! Nous les avons auditionnés, et je voudrais tenter de répondre à leur demande : celle de légiférer, avec tous les risques que cela comporte, car ils n’ont plus les moyens d’imposer la laïcité.

M. Pierre-André PERISSOL : Nous avons auditionné des chefs d’établissement, et ils nous réclament cette loi. D’abord, ils parlent du voile. Ensuite, avec le même raisonnement, ils nous parlent de l’assiduité à certains cours, du refus de passer un examen si l’examinateur est un homme, etc. Or toutes ces attitudes font exploser l’école républicaine. Ils nous demandent donc de légiférer pour interdire le voile, qui est la porte d’entrée à des revendications beaucoup plus explosives.

La semaine dernière, nous avons auditionné des personnes qui étaient favorables au port du voile dans les écoles. Elles étaient bien obligées de reconnaître qu’il y avait une augmentation du port du voile au lendemain de tensions politiques nationales ou internationales. Il ne s’agit donc pas là d’un signe religieux, mais politique.

Vous connaissez sans doute bien le milieu enseignant, mais c’est bien les professeurs qui réclament cette loi.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Il convient de sortir d’une certaine hypocrisie dans les demandes formulées et dans les réponses faites. Prenons donc l’hypothèse selon laquelle les enseignants réclament une loi : le Parlement vote un texte qui interdit le port de signes d’appartenance religieuse au sein de l’école. Cela n’empêchera pas les jeunes filles de fournir au professeur d’éducation physique un certificat médical justifiant une interdiction de la pratique du sport - c’est déjà parfois le cas, cette loi ne changera donc rien.

Autre conséquence : ces jeunes filles iront dans une autre école, qui ne sera pas républicaine. C’est cela qui me pose problème. Et la loi pourrait apparaître comme un aveu de faiblesse, comme l’expression d’une incapacité à traiter le problème de manière politique.

Il nous faut du temps, de la conviction et il convient que nous nous armions tous afin de reprendre le combat laïque là où il doit être conduit. Je ne pense pas qu’une loi puisse, malheureusement, changer l’ordre des choses ; elle aurait pour conséquence de considérer que le débat est clos - or, il commence. Par ailleurs, je ne suis pas sûr qu’elle répondrait exactement à ce que nous voulons éviter.

M. Khalid HAMDANI : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, comme vous l’a déjà dit ma collègue Mme Sylla, je m’exprimerai aujourd’hui non pas au nom du Haut conseil à l’intégration, mais en mon nom propre.

J’ai vécu et passé mon baccalauréat - j’étais scolarisé dans des écoles françaises - à Rabat, au Maroc, et j’ai une expérience des années 60, de la question de la religion et du respect par la République de la religion des uns et des autres. Je voudrais vous faire part d’une anecdote, qui vient de se passer, ici, en arrivant à l’Assemblée nationale : l’agent qui m’a reçu m’a dit : « La commission pour le foulard islamique, c’est là ! » Or il me semble que votre mission d’information est relative à la question des signes religieux à l’école. Cette réflexion est tout à fait normale et représentative de la mentalité de la grande majorité de nos concitoyens.

Je dirige un cabinet de conseil en gestion des ressources humaines, spécialisé, depuis 1997, sur la question des discriminations, dans le cadre de l’article 13 du traité d’Amsterdam. Je parle de cela car certains pensent que cette affaire est contre une population et la discrimine.

M. le Président : Nous essayons de le faire pour l’école et pour la République.

M. Khalid HAMDANI : Justement, nous rencontrons le même problème dans les entreprises : quand un chef d’entreprise peut-il - ou pas - user de son autorité pour interdire certains comportements ?

L’école est un lieu de transmission des savoirs et des valeurs : les valeurs universelles, les droits de l’homme, et les valeurs républicaines. Le risque de stigmatisation est présent, mais il convient de savoir que des débats ont lieu, y compris dans les pays musulmans. Au Maroc, par exemple, nous avons débattu du hidjab, mais à aucun moment les contenus scolaires n’ont été remis en cause.

Légiférer ou non, il est vrai qu’il s’agit d’une question complexe. Rappelons que le concept de laïcité s’est développé en France à l’ombre des baïonnettes. Cependant, une loi me semble nécessaire. En revanche, elle ne doit pas être élaborée dans la précipitation. Il convient tout d’abord de clarifier les règles, car je me suis aperçu, en fréquentant de nombreuses entreprises, que cette question n’est pas claire dans la tête de nos compatriotes. La laïcité n’a pas beaucoup de sens et de signification, y compris pour une personne possédant un bac + 5. C’est la raison pour laquelle une charte de la laïcité semble être une nécessité.

Il convient ensuite de clarifier les règlements intérieurs, de les préciser, tout comme les moyens d’information, et d’adopter des sanctions proportionnées. En résumé, il convient de faire de la pédagogie, de dialoguer, de vérifier, de manière expérimentale, ce qui pourrait se faire ici ou là. Ce temps citoyen permettrait peut-être de sortir de certains clivages, pour arriver à un consensus, un diagnostic partagé, des expériences capitalisables. Enfin, après tout cela, la loi sera incontournable. Mais une loi plus globale, qui inclurait les signes religieux, mais qui serait adossée au débat et à la charte.

M. Michel MORINEAU : M. le Président, nous réfléchissons, au sein de la commission « laïcité et islam », depuis cinq ou six ans, à la question de l’intégration de l’islam dans la société française, ou plus exactement aux problèmes de l’intégration de l’islam, au regard de la laïcité.

La tendance de notre commission est de penser que la loi est inopportune, qu’elle ne servirait pas à grand-chose. Le constat que nous faisons, au regard des travaux que nous avons menés, est celui-ci : si nous devons améliorer quelque chose, c’est bien la connaissance de la laïcité.

M. le Président : Vous ne croyez pas à la valeur pédagogique de la loi ?

M. Michel MORINEAU : Il y a, dans ce domaine, un problème de mentalité. Chacun a sa petite idée sur la question. Le mot laïcité est souvent invoqué, mais chacun met derrière ce mot sa propre conception, qui est parfois très éloignée de la philosophie politique ou des dispositifs juridiques qui la constituent. C’est la raison pour laquelle, il me semble, que le premier travail qui doit être mené, et d’abord en direction des enseignants - c’est ce que nous faisons auprès de la communauté musulmane - est d’expliquer les fondements de la philosophie politique et ce qui fait la laïcité - qui organise en France les rapports entre l’Etat et l’Eglise.

C’est à partir de cette connaissance que l’on peut alors essayer d’examiner les cas particuliers ou les problèmes précis qui se posent, et notamment autour de l’affaire du voile. Bien entendu, ce travail ne pourra se faire sans un certain examen de ce qu’est le fait religieux dans la société. C’est la raison pour laquelle je rejoins les conclusions du rapport de Régis Debray : il y a à la fois la nécessité de donner à connaître et à comprendre la laïcité tout en essayant de faire un effort pour mieux faire comprendre le fait religieux dans sa dimension anthropologique, historique, etc.

Ces deux conditions sont nécessaires à l’évolution des mentalités qui permettront sans doute d’examiner la question du voile sous un autre regard. En l’état actuel des choses, la loi et la jurisprudence permettent, au sein de l’école, de régler les questions du port du voile, quand celui-ci pose problème.

Un enseignant, qui est investi d’une mission par l’Etat, dans l’exercice de son métier, n’a pas à juger, à interpréter le signe religieux. C’est le fondement de la laïcité, et c’est ce qu’a souvent rappelé le Conseil d’Etat. La République a à juger non pas de la métaphysique, mais des problèmes concrets qui peuvent se poser : un trouble à l’ordre public, l’assiduité au cours... Nous pensons qu’en l’état actuel du droit, nous disposons de suffisamment d’éléments qui permettent, éventuellement, de prononcer une sanction et d’agir.

En conclusion, je dirai qu’il y a un travail pédagogique à mener, et qu’une loi risquerait de stigmatiser. La question est aussi une question sociale, il convient donc de prendre de la distance et d’acquérir de la sagesse pour trouver d’autres voies susceptibles d’intégrer dans la République des personnes qui ne savent pas grand-chose de la laïcité. Je rappelle que celle-ci n’a jamais été appliquée dans les départements français colonisés. Il y a tout un travail d’acculturation à mener.

Enfin, nous avions fait une proposition pour répondre à la solitude et à la difficulté des enseignants : disposer, dans les rectorats, d’une cellule constituée de représentants des renseignements généraux, de personnes qui ont une bonne connaissance de l’islam et de personnes qui ont une bonne connaissance de la laïcité afin d’aider les chefs d’établissement et les enseignants à apporter une solution aux problèmes qu’ils rencontrent, au cas par cas.

M. Driss EL-YAZAMI : M. le Président, je souhaiterais faire deux observations. La première - je suis historien et sociologue, et je travaille sur le problème de l’immigration - concerne la situation des jeunes filles d’origine maghrébine, aujourd’hui.

Malgré tout le bruit qui est fait autour du foulard et d’évidents problèmes, il convient de rappeler que les jeunes filles maghrébines ont bénéficié de la démocratisation de l’enseignement, qu’elles font une entrée massive sur le marché du travail, et qu’il existe une chute importante du taux de fécondité.

Cela veut dire, quoi qu’on en pense, que le phénomène principal aujourd’hui en France est celui de la sécularisation et de l’intégration de ces jeunes filles - y compris dans l’école - même si, en raison des problèmes de discrimination à l’embauche et des problèmes réels de l’école, il y a une véritable déperdition. Même si ce phénomène d’intégration se fait avec des problèmes identitaires - dont ce foulard peut témoigner à certains moments -, adopter une loi sur une question marginale me semble contre-productif.

Second élément, j’ai entendu un député dire que le problème se pose depuis quinze ans. Justement, il convient de prendre en compte la dimension du temps. La laïcité ne s’est pas faite du jour au lendemain ! A partir de la constitution civile du clergé, jusqu’à la loi de 1905, la laïcité s’est imposée de manière progressive - laïcisation des cimetières, les lois scolaires de 1880. La République s’est montrée, à l’égard de l’Eglise catholique et des chrétiens, très ouverte. Il a fallu la Première Guerre mondiale, la canonisation de Jeanne d’Arc, pour qu’une partie des chrétiens de France, et l’Eglise catholique en particulier, se convertisse à la laïcité.

Il est donc normal que les musulmans ne viennent que doucement à la laïcité, il faut leur laisser le temps. Nous pensons d’ailleurs que l’action du ministre de l’intérieur à l’égard du Conseil du culte musulman est positive. Il convient d’avoir un esprit d’ouverture dans la présentation de la laïcité française. Les préconisations du rapport de Régis Debray sont, de ce fait, essentielles.

M. le Président, alors que nous nous apprêtons à fêter le centenaire de la loi de 1905, il convient de retrouver l’inspiration de ces pères fondateurs, Jean Jaurès et Aristide Briand, qui étaient animés par la volonté de pacifier le débat et par la question de l’intégration sociale.

Si la loi de 1905 a été adoptée, c’est parce que les républicains de l’époque étaient hantés par l’idée d’intégrer dans la République la classe ouvrière française. Aujourd’hui, nous devons relever ce même défi qui se pose à l’égard des émigrés : défi d’égalité de droits et d’intégration sociale.

M. Michel TUBIANA : M. le président, beaucoup de choses ont été dites, je vais donc aller à l’essentiel : la jurisprudence du Conseil d’Etat nous convient - ainsi que la législation actuelle.

Je note que l’on assiste à un certain nombre de faux débats. J’ai entendu tout à l’heure que certaines jeunes filles ne souhaitaient pas avoir un examinateur homme. Mais cela tombe sous le coup du règlement intérieur du lycée, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi qui répéterait les principes qui se trouvent dans les règlements : si une élève ne veut pas suivre tous les cours, elle est exclue du lycée.

Vous nous avez dit, M. le Président, que des enseignants vous réclamaient une loi pour interdire le voile.

M. le Président : Non, je n’ai pas dit cela. Ils nous disent qu’ils n’ont pas les moyens, avec la législation actuelle et la jurisprudence du Conseil d’Etat, de s’opposer au port du voile.

M. Michel TUBIANA : Certes, mais tout à l’heure, un député a parlé du voile, de l’examinateur... Or ces deux questions ne sont pas au même niveau. Si la question du fonctionnement de l’école pose, aujourd’hui, un certain nombre de problèmes, elle est différente de la question du port du voile - et de l’absence de moyens, selon les enseignants, de résoudre ce problème. J’ai envie de répondre que la question du voile me paraît annexe à la question du suivi des enseignements, du respect des enseignants.

Que l’école connaisse des problèmes aujourd’hui, nous en sommes tous d’accord. Mais il convient de ne pas renverser le débat, de prendre les choses par le petit bout de la lorgnette.

Autre point que je souhaitais évoquer, étant moi aussi avocat de profession, je suis plus que quiconque attaché à la loi, notamment dans les pays latins. Cependant, je ne pense pas que la loi puisse tout régler. En effet, le pacte républicain dépasse largement la question de l’école.

La question de la laïcité est une question de pacte civique, de pacte social, qui va de la vie quotidienne aux institutions de la République. Et l’on ne peut pas régler la vie quotidienne des gens ni leur esprit d’une manière législative.

Je voudrais attirer votre attention sur un exemple précis. Un député a dit tout à l’heure que la politique n’avait pas sa place au sein de l’école. Bien entendu, l’école doit être un lieu d’inaccessibilité d’un certain nombre de débats extérieurs et d’affrontements. Il n’empêche que l’école, c’est aussi le corps social. Les enfants se rendent à l’école avec les conditions socioprofessionnelles de leurs parents - et il appartient à l’école de la République de rétablir l’égalité des chances ; cela n’est plus vrai aujourd’hui.

Cela étant dit, vous ne pourrez légiférer sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires sans durcir les rapports dans l’ensemble du corps social. Car demain, si une loi de cette nature était votée, vous justifieriez une lettre d’un membre du Sénat, s’offusquant qu’un procureur de la République ait été filmé en Corse, chemise ouverte, avec, autour du cou la croix que sa mère lui avait donnée, et demandant au Garde des Sceaux d’exercer des poursuites.

Si l’on met le doigt dans ce type d’engrenage, vous n’arrêterez plus la machine. Car demain, si une telle loi est votée, on vous demandera « mais pourquoi vous ne les empêchez pas de porter la croix, ou l’étoile de David » !

M. le Président : Donc, laissons faire ?

M. Michel TUBIANA : Non, je n’ai pas dit cela ! Vous faites du manichéisme, M. le Président !

Je terminerai sur ce point : je pense que la vraie question n’est pas celle du port des signes religieux à l’école. Le vrai débat, c’est celui de l’intégration. M. Driss El-Yazami a parlé du temps, je voudrais pour ma part parler des discriminations.

On peut enseigner toutes les valeurs que l’on souhaite à l’école, mais lorsqu’à sa sortie, l’on est systématiquement refusé dans les entreprises parce que votre nom n’est pas de consonance berrichonne ou autre, que cette mésaventure se reproduit au quotidien, pour trouver un appartement ou dans les rapports aux autorités publiques, vous pouvez enseigner toutes les valeurs que vous voulez à l’école, vous n’avez aucune légitimité à les enseigner, tout simplement parce qu’elles sont violées chaque jour à l’extérieur.

La vraie question est donc celle de l’intégration. Et aujourd’hui, légiférer sur la question du voile, c’est une manière de ne pas vouloir intervenir sur la question de l’intégration. Si vous souhaitez connaître l’avis de la Ligue des droits de l’homme, sachez que l’on considère comme beaucoup plus pertinente et beaucoup plus urgente la mise en place d’une haute autorité contre les discriminations qu’une législation sur le port du voile à l’école.

M. le Président : Nous souhaitons légiférer non pas sur le voile, mais sur le port des signes religieux à l’école.

M. Michel TUBIANA : Mais comme le dit votre appariteur, M. le Président, il n’empêche que l’on vient assister à la commission « sur le voile » !

M. le Président : Je suis responsable de beaucoup de choses mais pas de ce que disent les appariteurs !

M. Richard SERERO : M. le Président, M. Tubiana vient, en fait, de résumer la position de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA).

La vraie question n’est pas de légiférer sur le port de signes religieux, mais celle de l’intégration, et de la législation contre les discriminations. Il est d’ailleurs symptomatique que le Président de la République ait nommé M. Stasi à la tête, à la fois de la commission sur les discriminations et de celle sur la laïcité.

De nombreux enseignants adhérents de la LICRA réclament effectivement une loi, car ils se sentent, sur le terrain, totalement désarmés. Mais ils se sentent désarmés parce qu’ils ne reçoivent pas la formation nécessaire et l’enseignement sur la juste explication - s’il y en a une - de l’esprit et de la lettre de la laïcité, de la réciprocité ou non du principe de neutralité à l’école, etc.

En revanche, nos juristes, qui ont planché sur la question, estiment qu’une loi ne devrait être que l’ultime recours. Selon nous - et nous savons tous que ce ne sont pas les signes religieux mais le voile qui est visé -, cette loi serait immanquablement exploitée par les intégristes comme une loi discriminante, une loi d’exception destinée à stigmatiser une partie de la population musulmane de ce pays.

Tous les mois, nous organisons à la LICRA des débats, réunissant des associations musulmanes qui se réclament des valeurs républicaines, de la démocratie. Elles fulminent contre l’importance qui est donnée uniquement aux instances représentatives religieuses et non pas aux musulmans « intégrés » qui ne souhaitent qu’une chose : trouver du travail et une place dans la société, à égalité de chances, être des citoyens français comme les autres, avec une liberté d’expression, une liberté de pratiquer ou non la religion qu’ils ont choisie.

La LICRA se prononce donc contre le vote d’une loi sur ce sujet. Il convient de remettre à l’ordre du jour l’enseignement des principes de la laïcité ; un long travail pédagogique est à mener.

M. El-Yazami a justement rappelé que la laïcité ne s’est pas inscrite d’un coup de baguette magique dans le paysage politique français. Nous avons cru, à un moment donné, que cela allait de soi. Aujourd’hui, certains de nos concitoyens réclament leur juste place ; nous devons réfléchir à l’élargissement ou à l’interprétation des textes de loi déjà existants, en particulier de la loi de 1905 pour l’élargir à la religion musulmane afin de la séculariser et que nos concitoyens musulmans se sentent chez eux dans ce pays.

M. le Président : La laïcité s’est imposée progressivement, mais à un moment, le législateur a cru bon de concrétiser cette évolution par une loi.

Mesdames et messieurs, je vous remercie. Nous allons maintenant passer aux questions des députés.

M. Pierre-André PERISSOL : Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il s’agit d’une question particulièrement complexe. Et je souhaiterais qu’on l’aborde sur trois plans : d’abord, sur le plan général, à partir des principes sur lesquels vous vous êtes tous exprimés ; ensuite, sur l’impact qu’aurait d’une telle loi sur une communauté - et je suis particulièrement attentif à ce qu’il n’y ait aucune stigmatisation -, enfin, sur ce qu’il se passe dans l’école.

Vous m’avez évoqué, M. Tubiana, lorsque vous avez repris mes propos s’agissant des examinateurs hommes. Je n’ai pas inventé cela, j’ai traduit ce que vivent concrètement les enseignants et les chefs d’établissement. Ils estiment que la question du voile est la porte d’entrée à d’autres problèmes, pour lesquels, dites-vous, la solution est d’exclure l’élève qui ne respecte pas le règlement. Le certificat médical qui est présenté ne concerne pas le voile ! Il interdit la piscine ou d’autres cours, mais n’est pas un certificat qui autorise le port du voile ! Le chef d’établissement est donc démuni ; le port du voile est donc bien la porte d’entrée à d’autres problèmes.

Nous ne sommes pas à l’époque de Jules Ferry et de sa lettre aux enseignants : à cette époque, il suffisait d’avoir un avis pour être entendu, aujourd’hui, les enseignants sont traînés devant les tribunaux !

Par ailleurs, la solution de l’exclusion n’est pas bonne, puisque vous les poussez, dans ce cas, à aller dans une école coranique, ce que vous souhaitez éviter ! C’est la raison pour laquelle les enseignants, compte tenu du flou qui existe autour du port du voile, sont démunis.

Ma question est donc la suivante : comment réagissez-vous par rapport aux difficultés que rencontrent les enseignants et les chefs d’établissement ?

M. Michel TUBIANA : Je ferai deux observations, et je vous prie de m’excuser de remettre en cause radicalement vos prémices.

Même sans aucun problème de port de voile dans un collège, l’on peut rencontrer des difficultés à enseigner la Shoah ; ces deux problèmes ne sont pas liés. Ce que vous ont dit un certain nombre d’enseignants à ce sujet est parfaitement inexact : il existe un grand nombre de problèmes qui sont totalement indépendants du port du voile.

Lorsque je parlais d’exclusion, j’y faisais bien évidemment référence comme sanction ultime. Avant, il y aura des dialogues à mener, des mesures à prendre. Mais voter une loi générale qui sera perçue comme étant contre ceux qui se réclament de l’islam sera totalement contre-productif.

Vous m’avez renvoyé l’argument qu’en les excluant, ces élèves iront dans une école coranique ; je vous le renvoie à nouveau : c’est exactement ce qui se passera si cette loi est votée.

Outre le fait que je ne vois pas en quoi, dès lors que tous les élèves assistent à tous les cours, le port de signes religieux peut avoir de gênant, il n’en demeure pas moins vrai que j’ai suffisamment confiance dans l’école publique pour considérer que ces gamines sont mieux dans notre école que chez elles.

Mme Aline SYLLA : Je réagirai en vous parlant de mon expérience personnelle. Mon père était musulman pratiquant et ne m’a pas découragée de faire des études - bien au contraire, il était très fier que je sois major de ma promotion à l’ENA - ; nous ne sommes donc pas tous systématiquement des victimes ! Et le Haut conseil à l’intégration est sensible à ce discours sur la victimisation.

Second point, il me semble que ce qui est commun entre la notion d’école et de loi, c’est la notion du collectif. Les enfants vont à l’école pour apprendre des règles et à vivre ensemble avec leurs différences. Je ne suis pas, a priori, favorable à ce que le Parlement légifère sur ce point, mais l’idée selon laquelle il convient d’individualiser les situations n’est pas non plus idéale : si une affaire de voile se passe au lycée Fénelon, très bien, l’on trouvera certainement une solution intelligente pour traiter ce cas avec l’unique musulman pratiquant du lycée ! En revanche, si le problème se pose à Aubervilliers, dans une classe composée à 80 % de musulmans pratiquants, l’individualisation deviendra vite la règle collective et elle ne sera pas la même !

Nous vivons dans une République qui n’est pas encore un Etat fédéral et religieux où chaque communauté prend le pas sur l’autre ; il est important qu’il y ait des règles générales et la loi est ce qui va s’imposer à tous. Bien évidemment, il y aura des interprétations et du contentieux, mais si l’on part d’un socle qui vaut pour tous, cela permettra d’éviter ce type de situations - qui, ne nous le cachons pas, sont localisées dans certaines villes et banlieues où la communauté musulmane est plus importante.

M. le Président : Vous nous dites que légiférer est une solution, que la loi a une valeur pédagogique et qu’elle doit imposer au sein de la République l’apprentissage de la tolérance, à savoir vivre ensemble ?

Mme Aline SYLLA : Tout à fait. Et l’islam peut aussi laisser la place à ce type d’interprétation. Mon père - et les autorités religieuses auxquelles il se référait - m’expliquait qu’en France nous n’étions pas sur la terre de l’islam et qu’il convenait de se comporter comme les personnes avec qui nous vivons - et cela est inscrit dans les texte religieux de l’islam sunnite. Je ne comprends donc pas pourquoi cette règle, qui était appliquée par toutes les personnes que j’ai fréquentées, ne s’applique pas partout.

Je comprends que la mission des enseignants est très difficile dans certains établissements scolaires mais, comme vient de le dire M. Périssol, il convient d’éviter de rentrer dans ce type de conflit. Je reprends mon exemple, mais même dans mon lycée de Versailles, extrêmement favorisé, certains souhaitaient ne pas faire de contrôle le samedi matin, le shabbat commençant le vendredi soir. Alors si l’on ne peut plus faire de contrôle les jours de fêtes musulmanes ou de fêtes juives, on ne s’en sort pas ! Souhaitons-nous vraiment rentrer dans ce genre de polémique ? Car selon la majorité religieuse qu’il y aura dans un lycée, les règles seront différentes ; et bientôt la question va se poser pour le baccalauréat que l’on ne pourra plus organiser à telle date... Cela me parait dangereux.

Mme Fadela AMARA : J’ai été un peu étonnée par les arguments qui ont été présentés contre l’élaboration d’une loi sur ce sujet, notamment par celui qui prétend que si une jeune fille est exclue d’un établissement scolaire public, elle se retrouvera obligatoirement dans une école coranique. Cela existe déjà ! Des jeunes filles fréquentent des écoles catholiques depuis longtemps et elles portent le voile !

Je ne suis pas avocate, mais je suis musulmane pratiquante et l’on m’a transmis certaines règles, notamment à l’école. En effet, mes parents sont d’origine algérienne et, du fait de l’existence de la loi de 1905, ils n’ont pas pu me transmettre certains principes. C’est donc l’école qui m’a transmis ces valeurs. Je suis née dans une cité, mais en aucune manière je n’ai été influencée - ni par mes parents, ni par des personnes extérieures.

Aujourd’hui, la situation est différente : des mouvements intégristes contribuent fortement à ce que les jeunes filles des cités portent le voile - ce n’est pas les parents qui l’imposent. Il ne faut pas oublier non plus le rôle du grand frère qui, depuis les années 90, se substitue au père et impose son autorité.

Mon inquiétude, s’agissant de la loi, c’est l’impact qu’elle peut avoir par rapport à la population musulmane ; elle sera mal vécue et il y aura des conséquences - renforcées par la situation internationale - dans notre pays. Lorsque j’interviens sur cette question, je préviens les jeunes que des soldats du fascisme vert travaillent dans nos cités pour installer un Etat islamique dans notre pays. Ces personnes sont en contact avec nos jeunes. Et les jeunes filles qui portent le voile n’ont pas toutes la volonté de le porter comme étendard politique pour un projet de société qui n’a rien à voir avec notre République ; beaucoup d’entre elles sont entraînées dans ce fameux travail de communication.

Je suis scandalisée lorsqu’on soutient des personnes, connues sur la place publique et que je combats sur le terrain, qui, ouvertement, déclarent que la femme doit porter le voile.

Il est clair, pour moi, que les affaires de voile à l’école vont se multiplier. Il convient de gagner du temps, de réaliser un véritable travail de dialogue et de communication afin de changer les mentalités. Je ne suis pas favorable à une loi aujourd’hui, mais je suis convaincue que l’on ne pourra pas l’éviter.

M. le Président : Je me demande si le fait de réaffirmer un principe, en interdisant de façon claire et précise le port de tout signe religieux à l’école, ne serait pas une façon d’aider ces femmes qui s’efforcent de résister aux extrémistes religieux. C’est peut-être aussi l’un des aspects de notre mission.

Mme Monique LELOUCHE : Je souhaiterais parler de façon pratique et concrète, ayant une solide connaissance du terrain scolaire pour avoir enseigné longtemps. Je souscris à nombre de propos qui ont été tenus sur l’école, mais il est une dimension de l’école qui a été totalement occultée : sa fonction éducative. Bien entendu, je crois à la vertu de la loi qu’il n’est pas question de remettre en question, mais il n’empêche que le rapport pédagogique avec les jeunes reste fondé sur le dialogue. Il n’y a pas, dans ce domaine, de confiance sans dialogue et je doute fort qu’une loi ait une vertu pédagogique, son aspect répressif risquant, ce que l’on peut déplorer, de prendre aux yeux des jeunes, le pas sur son aspect éducatif.

En revanche, un dialogue instauré au sein des établissements scolaires entre toutes les parties prenantes, non seulement les jeunes, mais aussi les conseillers d’éducation, les enseignants, sans oublier les parents, pourrait aboutir à une forme de médiation qui me paraît être la solution d’avenir pour régler les questions cuisantes qui se posent dans le système scolaire et par rapport auxquelles le voile n’a qu’une importance mineure.

Le plus simple, selon moi, consisterait d’une part à rédiger une charte, d’autre part, sachant qu’il est actuellement très long et très compliqué de faire appel aux médiateurs, à développer des instances de médiation à l’échelon du rectorat.

Par ailleurs, cette démarche doit s’accompagner d’un enseignement du fait religieux, ce qui suppose de former les enseignants à traiter, au sein de l’école laïque, les questions ayant trait à la religion. Il est fondamental qu’une telle formation figure au programme des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Il ne suffit pas que les enseignants prennent position par rapport au foulard, il faut aussi qu’ils soient rompus à l’analyse des questions qu’il sous-tend. Nous devons donc élargir le cadre de notre débat et ne pas nous focaliser sur l’opportunité de légiférer.

Dire aux jeunes que tout le monde doit obéir à la loi ne suffira pas à les convaincre. Il serait plus intéressant, du point de vue éducatif, de les persuader de l’intérêt de la discussion et de la médiation, pour qu’ils s’y sentent parties prenantes et qu’ils adhèrent aux valeurs de la République. Une telle démarche ne peut être entreprise que dans un climat de confiance en l’éducation scolaire !

M. Khalid HAMDANI : Je rejoins la position qui vient d’être développée. Pour ce qui me concerne, je suis favorable à l’élaboration d’une charte, à la clarification des règles et des règlements intérieurs, à une graduation du système des sanctions, à l’amélioration de la formation, au débat, à la pédagogie et, à terme, à l’élaboration d’une loi.

Il m’apparaît indispensable de légiférer et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce que, sur le terrain, nous nous trouvons dans une situation de lutte, pour ne pas dire de quasi-guerre, entre deux systèmes de valeurs, deux visions du monde dont l’une est démocratique - la nôtre - et l’autre, totalitaire : nous devons être clairs sur cette question ! Par exemple, lorsqu’un imam me dit explicitement, à moi qui ai eu la chance d’apprendre, même si c’est sur le tard, l’arabe classique à l’Institut des langues orientales, que le cerveau d’une femme est inférieur, et qu’il étaye cette affirmation, j’affirme que nous n’avons pas la même vision du monde.

Deuxièmement, le multiculturalisme, dont l’apologie fait des ravages, a trouvé de bons défenseurs, notamment parmi les intellectuels et dans la quasi-totalité du monde médiatique. J’ai, par exemple, suivi des débats hallucinants, en Hollande, au nom de la discrimination, sur la question de l’excision ! S’il remet en cause un certain nombre de valeurs universelles, autant tout arrêter ! De tels discours ont un impact sur la « communauté », ou plus exactement sur les personnes relevant peu ou prou de l’islam, culturel, cultuel, imaginaire ou fantasmatique. Mais au nom de qui parlent leurs auteurs et qui le leur a demandé ? Je suis désolé, mais quand je rencontre, sur le terrain, des pères de famille - ils exercent généralement des professions ayant trait au commerce - je constate qu’ils s’en tiennent à la position « gagnant-gagnant », très libérale. Leur attente peut se résumer de la façon suivante : l’école en face dispense à mes enfants l’enseignement fondamental, si, en plus, elle met en place un système drastique contre les discriminations, je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas une petite concession... Cela a toujours fonctionné comme cela et dans l’imaginaire maghrébin, il est gravé dans le marbre qu’au terme de 130 ans de colonisation pour l’Algérie, de 54 ans pour le Maroc - pour ne pas même parler de la Tunisie -, on n’a pas dénombré plus de 120 bacheliers ce qui fait bien peu !

Il faut donc dire clairement que les parents, au nom de qui beaucoup s’expriment, sont favorables à un système scolaire qui assure la réussite à leurs enfants et qui mène une lutte très drastique contre les discriminations. L’intégration est une affaire à part. Elle relève des engagements européens de la France dans un contexte très anglo-saxon, où l’on établit une différence entre le fait et le droit, entre le droit réel et le droit formel et où l’article 13 du traité d’Amsterdam et les directives communautaires, dont la directive 2000-42 CE du 25 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement sans distinction de race ou d’origine, imposent à la France un certain nombre de règles. A cet égard, il convient de préciser que la directive 2002-73-CE du 23 septembre 2002 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail, crée une autorité indépendante, comme le candidat Chirac avait proposé de le faire dans son programme, et que le Président de la République poursuit les objectifs arrêtés et respecte les engagements communautaires pris en la matière. Il convient d’éviter d’amalgamer les choses car cela n’aurait pas d’autre effet que d’offrir aux adversaires de tous ceux qui, comme nous, défendent le modèle républicain et les valeurs démocratiques, des arguments pour noyer le poisson !

M. le Président : Je retiens donc que vous êtes partisan de voter une loi.

M. Jean-Michel DUCOMTE : J’ai entendu un certain nombre de propos intéressants, mais, sur la base de constats et de préoccupations similaires, on peut aboutir à des conclusions un peu différentes. En effet, il me semble que ce qui doit guider notre réflexion, c’est essentiellement une exigence d’efficacité. Il ne s’agit pas de débattre pour débattre, mais de mesurer la pertinence des solutions envisagées.

Que l’islam en France ait aujourd’hui une dimension politique est une évidence pour tout le monde, d’où cette question paradoxale : pourquoi, dans ce cas, limiter à l’école l’interdiction du port du voile ? Pourquoi ne pas aller au-delà et pourquoi réduire le problème au champ de l’école où les cas sont moins nombreux et où ils peuvent, en grande partie, être traités par le schéma éducatif ?

Si j’énonce ce paradoxe, c’est parce que j’ai eu l’occasion d’en débattre avec un parlementaire de l’Assemblée nationale qui souhaitait étendre l’interdiction, non pas du port de signes d’appartenance religieuse, mais du voile islamique, à l’ensemble de l’espace public ce qui est une façon un peu étonnante d’aborder le problème.

Aujourd’hui, le dispositif existant est-il insuffisant et une loi serait-elle de nature à le renforcer ? A partir du moment où un certain nombre de cas existent, le dispositif est évidemment insuffisant, mais je n’ai pas connaissance d’un système juridique dont la perfection soit absolue et, en l’état actuel des choses, je qualifierai la jurisprudence dégagée par le Conseil d’Etat, au travers de l’appréciation des mesures prises par les chefs d’établissement, de « rassurante ». En effet, sur la base de principes clairs pour tout le monde, elle indique que les comportements adoptés au sein d’un lieu comme l’école méritent une appréciation individuelle. C’est un principe général du droit dans un espace républicain. Cela ne veut évidemment pas dire que l’on admet une logique communautariste : il ne s’agit pas de savoir si les communautés seraient, dans leurs comportements, inadmissibles, mais si les attitudes et les comportements individuels peuvent, ou non, être considérés comme respectueux de la loi républicaine, susceptibles de sanctions et, éventuellement, si les sanctions à prononcer sont proportionnées aux attitudes adoptées.

Qu’ajouterait la loi ? Pas grand-chose dès lors qu’elle courrait, par ailleurs, le risque d’être considérée comme inconstitutionnelle ou non conforme aux principes de la Convention européenne des droits de l’homme Elle ajouterait l’idée selon laquelle ce qui est aujourd’hui présenté par tout le monde comme une attitude méritant débat est interdit par principe, alors même que devraient être interdits les comportements portant atteinte au contenu du message éducatif, portant atteinte à l’assiduité, portant atteinte à ce qui est la fonction principale de l’école.

Si l’on doit interdire le voile et laisser subsister les certificats médicaux, je préfèrerais qu’une solution soit trouvée pour faire disparaître les certificats médicaux et créer les conditions pour réduire et faire disparaître les hypothèses de port du voile tout en faisant principalement attention au respect des exigences de l’obligation scolaire.

M. le Président : Rien dans la charia n’impose le port du voile. Le port du voile ne fait pas partie des cinq piliers de l’islam. Or, porter le voile, c’est vouloir partir en guerre contre autre chose, c’est-à-dire partir en guerre contre les valeurs d’intégration de la République.

M. Jean-Michel DUCOMTE : A partir de là, toute religion est aliénante dans son message !

M. Dominique SOPO : Je voudrais revenir sur la question de savoir où il faut interdire le voile et sur la proposition d’étendre l’interdiction au-delà de l’école.

Je commencerai par rappeler que l’espace privé existe et que nous n’allons pas légiférer sur la vie quotidienne des gens, ne serait-ce que parce que nous n’allons pas aller chez eux pour voir s’ils portent, ou ne portent pas le voile. Le problème ne se pose donc pas !

En revanche, il est tout de même normal que l’école qui est le creuset de la République soit régie par des règles claires et offre un cadre d’éducation sans prosélytisme, ni promotion d’une vision communautaire. En effet, la question du voile, contrairement à ce que j’ai pu entendre, n’est pas une question mineure. Ce n’est pas parce qu’il n’y a que 150, voire 400 jeunes filles à porter aujourd’hui le voile qu’il faut minimiser son importance : il faut différencier l’aspect numérique de l’aspect symbolique que peut, aujourd’hui, revêtir ce problème en France.

Il est bon de souligner qu’il existe une différence par rapport à la première affaire de voile que la France a connue, il y a dix ou quinze ans, dans la mesure où, aujourd’hui, le port du voile répond à une vision politique beaucoup plus affirmée. Cette dernière recouvre des tendances communautaristes assises sur des réseaux intégristes et, même si je suis d’accord pour admettre que certaines jeunes filles voilées ne subissent aucune pression et font le choix du foulard pour affirmer une volonté identitaire, je considère que nous ne devons pas, non plus, faire preuve de naïveté !

D’ailleurs, au-delà même du combat communautariste, l’enjeu n’est pas mince, car, si l’école qui est le cadre même de la laïcité transige sur le voile, elle devra ensuite céder sur tout et c’est en quoi le combat est extrêmement symbolique.

En outre, comme l’a rappelé Mme Amara, il en va quand même du statut des femmes : nous ne pouvons pas faire comme si le port du voile n’était pas contraire à leur dignité. De ce point de vue, la République doit jouer un rôle de protection.

Pour conclure, comme il a été souligné à plusieurs reprises qu’il convenait de trouver des solutions individuelles, je tiens à rappeler que certaines règles valent pour tout le monde : on s’arrête au feu rouge et on ne négocie pas avec la voiture qui vient en face ou avec le piéton qui traverse ! Néanmoins, une discussion peut être engagée par les enseignants, s’ils ont reçu la formation nécessaire et s’ils disposent d’un cadre juridique clair par rapport au port du voile ou des signes religieux. Je suis persuadé qu’ils auront à cœur de dialoguer et de convaincre, car ce sont des professionnels de la pédagogie et je les vois mal arriver avec la volonté affirmée de prononcer une exclusion. Pour autant, je rejette le terme de « médiation » que j’interprète comme une maladresse de langage. Dans la mesure où il sous-entend la nécessité d’arriver à un compromis, il ne peut pas s’appliquer à une situation qui exige de ne pas transiger : au terme du dialogue, il faut que la règle soit comprise et acceptée !

M. Mouloud AOUNIT : A ce stade du débat, je souhaiterais appeler votre attention sur un point qui me perturbe : la façon que vous avez, les uns et les autres, de relier la question du foulard à la problématique des musulmans ce qui ne donne du problème qu’une lisibilité extrêmement étroite qui s’inspire et s’appuie sur des peurs. La France compte cinq millions de musulmans et je ne pense que ces cinq millions de musulmans, dont certains ne se sont pas convertis hier à l’islam, soient tous en train d’ourdir un complot contre la République.

Il est donc très important de ne pas occulter une réalité que je retrouve, que cela plaise ou non, dans un certain nombre d’interventions : malheureusement, ce débat est pollué par un contexte environnemental où, hélas, l’islamophobie n’est pas absente. Certains propos qui ont été tenus aujourd’hui montrent que, non seulement il a pu affecter certains, mais aussi qu’il faut prendre garde à ce que certains discours ne viennent pas le nourrir.

L’intervenant précédent vient de poser la question de savoir si l’affaire était, ou non, mineure. Si l’on veut prendre un bulldozer pour écraser une mouche, alors, oui, il faut avancer sur le terrain de la logique qu’il vient de développer

A ce propos, je souhaiterais rappeler de quoi nous parlons et pourquoi nous parlons. N’oublions jamais que nous parlons d’une sphère qui est l’éducation et que nous faisons le pari que le système éducatif qui m’a formé sera capable de tenir compte des apports de l’école sans s’arrêter à des considérations liées à ce que les gamines peuvent porter sur leur tête !

Par ailleurs, j’aimerais vous rapporter les propos de deux jeunes, l’un de 15 ans, l’autre de 17 ans, que j’ai interrogés à la sortie de la mosquée de La Courneuve. Quand je leur ai demandé pourquoi ils allaient à la mosquée, le plus grand m’a déclaré en me regardant dans les yeux : « Je vais à la mosquée parce que j’existe ! » Cette réponse illustre la nécessité de prendre en compte ce qui la justifie et toute mesure qui consisterait à s’attaquer très concrètement à un symptôme, y compris par le biais d’une loi, en occultant tout ce qui a été dit par rapport à l’exclusion, présenterait le risque de passer à côté du sujet.

Je développerai encore un argument. D’ici à quelques jours, nous allons fêter le vingtième anniversaire de la marche des « Beurs » qui correspond à mes premiers pas dans l’action militante. Ces gens qui ont manifesté, traversé toute la France et qui ont été accueillis par 100 000 personnes, scandaient deux slogans « Contre le racisme » et « Pour l’égalité ». Ils ont frappé à la porte de la République, mais, malheureusement ou heureusement pour eux - et je parle en tant que laïque - les organisateurs de cette marche se sont, pour la plupart, convertis à l’islam. Cela signifie, que nous le voulions ou pas, qu’il serait vain de limiter notre sujet au port du voile ou à l’opportunité de légiférer, car nous ne pourrons pas faire l’économie de véritables mesures pour permettre aux gens de trouver une identification.

Enfin, il faut dire nettement, bien que notre débat soit, à mon avis, trop passionné pour traiter aujourd’hui le sujet, que la loi peut répondre à certaines attentes. Avez-vous, cependant, pensé, en proposant de l’élaborer, à ce que sera la France d’ici à dix ans, sachant que des gamines auront été contraintes à ne fréquenter que des écoles coraniques ? Pensez-y, alors même que l’on nous dit qu’il faut lutter contre les vecteurs du communautarisme ! En rédigeant une loi, on fait le pari que les gens l’appliqueront ou s’en iront : dans le cas qui nous intéresse, on peut engager des paris sur le départ de certains, mais aussi sur l’état de notre société d’ici à dix ans.

Je reste, pour ma part, persuadé qu’un chemin peut s’offrir à nous. Il passe par le dialogue qui peut conduire les gens à évoluer sans concessions, et par ce droit sacré à se construire de l’individu dont il ne faut pas oublier, lorsqu’il s’agit d’un mineur, qu’il est en quête d’identité : de grâce, ne considérons pas des gamines de 16 ans comme des adultes et ne portons pas sur elles seulement un regard d’adulte !

Mme Patricia ADAM : J’ai l’impression que, plus nous avançons, plus les choses se compliquent et que nous menons deux débats. Contrairement à certains qui prétendent qu’il n’y a pas besoin d’une loi, je crois en la loi, j’estime qu’elle établit des règles. Or, s’il y a bien une demande réitérée de la part des jeunes que nous rencontrons, qu’ils soient ou non issus de l’immigration, c’est que la loi fixe des repères que nombre d’entre eux ont perdus. En tant que députée et citoyenne, je crois aux vertus pédagogiques de la loi. Nous savons d’ailleurs, puisque nous sommes aussi parents, que, si l’on discute avec un jeune enfant, en invoquant la loi, l’enfant comprend le propos et s’y réfère. C’est un point important !

Il est vrai que nous débattons du port de signes religieux dans le cadre de l’école, mais vous me permettrez d’ajouter que ma circonscription du Finistère, même si les problèmes n’y sont pas aussi aigus qu’ils peuvent l’être en région parisienne ou dans les banlieues des grandes villes, connaît également des difficultés. Des mouvements intégristes religieux, présents dans certains quartiers de Brest, génèrent des situations difficilement compréhensibles, y compris dans une terre de religion comme la Bretagne où le débat sur la laïcité reste encore très prégnant pour une société très catholique et c’est à dessein que j’établis le rapport ...

Personnellement, je crois à la vertu de l’affirmation de la laïcité, mais je pense que l’action des mouvements intégristes s’étend au-delà de la sphère scolaire : dans ma circonscription, c’est d’ailleurs l’espace public qui est le plus touché. Ce constat renvoie, certes, à un autre débat, mais cela me pose question et j’en viens à penser que la promulgation d’une loi sur l’école, qui s’appliquerait dans l’enceinte de l’école, affirmerait un certain nombre de principes et de règles en matière de laïcité et préciserait les valeurs qui doivent être celles de l’école laïque.

Quand nous écoutons les enseignants, mais aussi les travailleurs sociaux qui travaillent dans les quartiers, nous sentons qu’ils sont aujourd’hui totalement déstabilisés et dans l’incapacité d’intervenir. Ils se posent des questions, notamment par rapport au statut de la femme : je ne reprendrai pas les déclarations des deux jeunes femmes ici présentes, car elles se sont exprimées, sur ce point, bien mieux que je ne pourrais le faire moi-même ! Je suis particulièrement sensible à leurs propos - excusez-moi, messieurs - parce que je suis aussi une féministe, parce que j’ai défendu un certain nombre de principes et parce que j’estime que l’on ne peut pas séparer ce qui se passe aujourd’hui dans le cadre de l’école du statut de la femme et de lois antérieures qui ont également eu le mérite d’imposer un certain nombre de principes. Je pense notamment à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse ou à celle, plus récente, sur la parité. Sans elles, nous les femmes, ne serions pas arrivées là où nous sommes aujourd’hui.

J’ai conscience que mon propos dépasse le cadre de la mission, mais le statut de la femme et ces questions du voile à l’école sont indissociables.

M. Jean-Pierre BRARD : M. le Président, il est clair, depuis le début de nos auditions qu’il n’y pas, dans ce débat, de place pour le clivage gauche-droite.

M. le Président : C’est bien pourquoi j’ai présenté les députés sans préciser leur appartenance politique !

M. Jean-Pierre BRARD : C’était tout à fait pertinent puisque nous cherchons, ensemble, des façons de répondre à des problèmes nouveaux qui se posent dans notre société : pour nous, il s’agit de défendre les « bijoux de famille » qui fondent notre état républicain et laïque, ce qui, à mes yeux, est très important !

On parle beaucoup de la loi sur le port du voile. Même si les médias reprennent largement cette formule, je regrette de devoir dire que le port du voile n’est pas seul en cause : le développement du port de la kippa constitue un vrai problème même s’il est perçu différemment, la communauté juive, pour des motifs théologiques, ne faisant pas preuve d’un prosélytisme dévorant. Bien que les problèmes ne relèvent pas du même registre, leurs manifestations extérieures sont pourtant tout à fait comparables et je pense que ce serait biaiser le débat que de parler de façon unilatérale du voile. De ce point de vue, la peur n’évite pas le danger. Il existe une situation de fait et nous devons réfléchir avec sérénité aux solutions à y apporter.

Pour en revenir aux statistiques, je précise à l’adresse de M. Aounit que, lorsque, à deux jours d’intervalle, nous auditionnons d’une part un recteur qui nous dit qu’il ne recense quasiment pas de cas et, d’autre part, l’un de ses principaux de collège qui, lui, les compte par dizaines, cela signifie que les affaires ne remontent plus. Pourquoi ne remontent-elles plus ? Parce que les tribunaux administratifs désavouent les enseignants. Comme à la Samaritaine, on trouve de tout dans la jurisprudence du Conseil d’Etat ! Selon moi, l’arrêt Kherouaa est excellent, à ceci près que d’autres arrêts disent exactement le contraire !

Vous parlez de la nécessité de débattre : je crois au débat - si ce n’est pas le cas dans cette maison, autant faire autre chose ! - et je considère, comme probablement nous tous ici, qu’il n’est possible d’avoir recours à la coercition pour faire respecter la règle commune qu’après avoir épuisé le dialogue. Seuls les raccourcis dans l’expression peuvent laisser penser autre chose ! Toutefois, j’ai entendu, ce matin à la radio, le cas suivant : une jeune fille se présente voilée à l’école, un professeur discute en vain avec elle. Comment croyez-vous que s’est soldée l’affaire ? Par un pugilat au sein de l’équipe pédagogique de l’établissement. Dans ce cas particulier, on me demande d’intervenir : pensez si le moment est bien choisi...Ce n’est plus tenable, toutes nos auditions sont très convaincantes sur ce point !

Puisque l’on parle beaucoup de respect de la dignité, je rappellerai que la dignité n’est pas qu’une affaire personnelle. Cette notion sous-tend aussi le respect que l’on doit à la dignité des autres qui ne veulent pas être identifiés en fonction de leurs convictions religieuses et je ne vois pas au nom de quoi un enseignant devrait connaître celles d’un élève. Moi qui suis enseignant de formation, je trouve cela horriblement choquant ! Quand, par exemple, mon enseignement porte sur la Shoah, je n’ai pas à tenir compte de la confession de l’élève qui me fait face et cela qu’il soit juif, musulman, chrétien ou athée !

J’en arrive à ma question : ne pensez-vous pas qu’en ne traitant que le problème des signes religieux, nous faisons, en quelque sorte, fausse route ? Dans la mesure où il faut trouver un socle commun gauche-droite, un socle républicain qui dépasse les clivages, je me demande en fin de compte s’il ne faudrait pas rédiger un énoncé de principes, qu’il réponde au nom de charte ou autre, qui pourrait, par la suite, être décliné avec des dispositions législatives et réglementaires selon les situations. Dans ma ville, nous essayons de développer des expériences en la matière ce qui est très compliqué, mais je reste très attaché à trois points.

Premièrement, ce texte devrait comporter une disposition sur tous les insignes, dont je serais partisan qu’elle soit étendue à l’ensemble des services publics puisque l’on a même vu un syndicat qui ne prône pourtant pas la religion, défendre, dans les conditions que vous connaissez, une personne employée à l’inspection du travail.

Deuxièmement, s’agissant du libre exercice des cultes, le texte devrait permettre de régler le problème de la discrimination qui s’exerce à l’égard de l’islam pour des raisons historiques dont le colonialisme - j’ignore d’ailleurs s’il faut en parler au passé, mais cela pourrait faire l’objet d’un autre débat - et le fait que l’islam est arrivé dans notre pays après le catholicisme. A mon sens, il n’y aura de droit à une libre pratique des cultes que si l’on règle équitablement le problème du financement des lieux de culte, en interdisant évidemment les financements de l’étranger. Il existe des solutions simples, dont j’ai discuté avec le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, qui consistent à financer de tels lieux par le biais de prêts à long terme, comme cela se fait pour le logement social. En la matière, il est vrai que la communauté catholique a quelques longueurs d’avance pour des raisons historiques.

M. Mouloud AOUNIT : De nombreuses églises appartiennent aux municipalités.

M. Jean-Pierre BRARD : Hélas, précisément à cause de la résistance opposée par l’église qui s’est refusée à appliquer la loi de 1905 et qui s’est retrouvée expropriée de fait. J’ignore quels étaient les conseillers du Monseigneur Lustiger de l’époque, mais l’idée était brillante !

En outre, il est fondamental de financer les lieux de culte, car, en raison du contexte de l’affrontement avec l’église catholique, même s’il a été suivi d’un apaisement dans les années 1923 et 1924, la loi de 1905, loi d’ouverture et de tolérance, a été perçue historiquement comme une loi anticléricale, ce qui a généré une attitude destructrice par rapport à l’histoire du fait religieux.

Troisièmement, j’estime, même si nous entrons là dans l’ordre réglementaire, voire dans les programmes de l’Education nationale, qu’il faut également prendre des dispositions pour assurer à tous les enseignants une formation sur le fait religieux et le droit des femmes, de façon à ce que chacun soit en mesure de régler les problèmes. La question dont nous traitons touche à des registres très différents et c’est pourquoi j’aimerais avoir votre avis sur cette proposition de texte déclinable sur le plan et législatif et réglementaire.

M. le Président : Pour prolonger le propos de M. Brard, je me demande, si en l’état actuel des choses, le fait de ne pas légiférer ne sera pas interprété comme une faiblesse ou un renoncement.

Mme Martine DAVID : Je voudrais simplement souligner qu’à aucun moment, je n’ai entendu, dans les interventions de nos invités de ce matin, évoquer le respect de l’individu, le respect de l’élève : cela me choque profondément ! J’ai beaucoup entendu parler du droit à porter le voile, du droit à exprimer ses croyances religieuses, droit que je reconnais, moi qui suis laïque, mais jamais du droit, de la liberté de l’élève qui, au sein de l’école, côtoie quotidiennement celui qui porte le voile. Comment interprétez-vous et résolvez-vous cette situation ? C’est une simple question que je n’entends pas développer davantage, mais qui est quand même au cœur de notre débat.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je viens de rejoindre cette mission où je succède à Arnaud Montebourg et je serai par conséquent très modeste.

Je voulais tout d’abord m’adresser à M. Ducomte, qui a dit que, s’agissant des signes religieux, tout était prévu dans la loi de 1905, et qu’il n’y avait donc pas besoin de légiférer, notamment en ce qui concerne l’école. Or, je viens de parcourir de nouveau la loi de 1905, et, sauf erreur de ma part, hormis l’article 28 qui précise qu’il est interdit d’élever ou d’imposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices religieux, je n’ai pas vu de disposition concernant l’école. En conséquence, l’argument qui consisterait à dire qu’il n’y a pas lieu de légiférer sur le port de signes religieux à l’école car la loi de 1905 y pourvoit, ne me semble pas pertinent, mais le sujet mériterait sans doute une expertise plus approfondie...

Nous sommes probablement tous d’accord, ici, pour admettre que le problème majeur est sans doute celui de l’intégration et force est de reconnaître que, ni les uns, ni les autres - et le parti socialiste auquel j’appartiens a eu des responsabilités gouvernementales au cours des vingt dernières années - n’avons totalement réussi dans ce domaine. En même temps, nous n’avons pas, non plus, complètement échoué, puisque, sur la durée, par rapport à la sécularisation des jeunes filles d’origine maghrébines qu’évoquait précédemment l’un de nos invités, les choses évoluent dans le bon sens.

Par ailleurs, il ne faut pas faire une confusion entre les religions et les églises en tant qu’institutions. Nos ancêtres républicains, lorsqu’ils ont légiféré en 1905, dans le contexte historique que l’on sait, voulaient, non pas mettre à mal le fait religieux catholique, mais l’église dans la mesure où la hiérarchie catholique française était plutôt antirépublicaine. Sans refaire l’histoire - on la connaît ! - on peut dire qu’il y avait là, déjà, à l’époque, même si le terme est plus récent, une forme « d’intégrisme » que l’on retrouve aujourd’hui dans les courants intégristes contemporains et notamment, car il ne faut pas se le cacher, dans ceux qui se réclament de l’islam. A partir de là, il est possible de bien cerner le problème, même s’il faut éviter les amalgames et surtout ne pas penser de la question que nous tentons de résoudre tous ensemble qu’elle pourrait se résumer au seul port du voile.

Enfin, je voudrais faire appel à l’étymologie, pour signaler que mot « laïcité » est dérivé du grec laîkos qui désigne ce qui appartient au peuple. La laïcité, au XXIème siècle pourrait donc consister - et c’est pourquoi j’estime qu’il faut une loi - à considérer que l’important est de vivre ensemble et que, de ce point de vue, l’école a un rôle essentiel à jouer. Dans une société dont les membres ont du mal à vivre ensemble et qui traverse une crise profonde, l’école sert un peu de rempart. Si ce rempart venait à s’écrouler, ce serait, pour la République, pour notre démocratie et pour la société, une véritable catastrophe !

Comme cela a été souligné, l’éducation s’inscrit aussi dans le rôle de l’école et tout particulièrement l’apprentissage de la citoyenneté. Il s’agit donc de permettre à tous nos enfants, quelles que soient leurs origines cultuelles et culturelles, de cohabiter demain, d’être citoyens et de vivre la République. C’est pourquoi je considère qu’il faut légiférer, étant entendu que ce sera nécessaire, mais pas suffisant.

Le problème de l’intégration reste posé, d’où une question qui s’adresse à M. Aounit qui est partisan, non pas d’élaborer une loi, mais de développer la médiation. Il a évoqué le cas d’Aubervilliers et précisé que la négociation avait échoué : quel était le compromis proposé ? Puisque cette affaire est d’actualité, j’aimerais qu’il nous précise et qu’il nous explique comment il aurait réglé le cas.

Mme Martine AURILLAC : Plus nous avançons dans nos travaux et plus les choses deviennent complexes et j’aurais un peu tendance à penser, comme mon collègue Jean-Pierre Brard, que le voile n’est finalement que la partie visible de l’iceberg et que la question dépasse très largement le problème de l’école.

J’observe, au fur et à mesure de nos auditions, que tout le monde tombe finalement d’accord sur un certain nombre de réalités : les difficultés tant quantitatives que qualitatives, rencontrées par les enseignants et que l’on connaît pour les vivre dans nos quartiers, y compris dans les quartiers privilégiés ; la nécessité de défendre l’enseignement, l’éducation et l’école qui doit être un exemple de laïcité et de tolérance ; l’importance de lutter contre les dérives islamiques, car l’islam qui est une religion, tend aussi à devenir un mode d’organisation de la société ce qui n’est pas tolérable en France ; l’impérieuse obligation de défendre le statut et la liberté de la femme

Ce constat appelle deux remarques de ma part.

Premièrement, je suis très sensible aux propos tenus par certains d’entre vous sur l’importance de la dimension temporelle. Ils confortent l’idée que nous partageons à peu près tous, selon laquelle l’intégration est l’essentiel, ce vers quoi nous devons tendre. Il est clair que, pour y parvenir, il faudra du temps, de même qu’il faut du temps pour expliquer tout ce que nous venons de dire au sujet de l’islam ou des valeurs républicaines. Les Français ont parcouru tout un chemin sur lequel d’autres, et notamment les musulmans, doivent peut-être encore avancer.

Il reste à choisir entre une charte et une loi. Une charte est sans doute aussi difficile à élaborer qu’une loi. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de marquer des repères et s’il nous faut élaborer une loi, je crois qu’elle ne doit pas être promulguée immédiatement. Pour ma part, je propose qu’elle soit intégrée dans la loi d’orientation plus générale pour qu’elle apparaisse sous forme de prescriptions dans un ensemble plus vaste.

M. René DOSIERE : N’ayant pu assister aux interventions liminaires de nos invités, mon propos s’inscrira dans le prolongement des interventions que je viens d’entendre. Je comprends tout l’intérêt de la notion de temps qu’a évoquée Mme Aurillac et c’est le point sur lequel je souhaiterais entendre la réaction de nos interlocuteurs.

Bien entendu, il convient de prendre un certain nombre de dispositions. C’est compliqué et je ne rentrerai donc pas dans cette discussion.

Je me demande, en revanche, après avoir entendu tout ce qui a été dit sur le statut de la femme, si le problème du port du voile ne se règlera pas définitivement avec le temps. Je ne prétends naturellement pas qu’il faille laisser faire les choses et attendre, mais je tiens à rappeler que la religion catholique n’a pas toujours accordé à la femme une grande place dans la société. On peut dire mutatis mutandis qu’au début du siècle, le catholicisme, par rapport à la place sociale de la femme, adoptait une position aussi rigide que l’islam. Il est donc permis de se poser la question de savoir si nous pouvons espérer voir s’épanouir sous l’action du temps, naturellement conjuguée avec certaines dispositions, une véritable intégration ou si nous sommes face à un système religieux dont l’évolution ne peut être du même type que celle du catholicisme.

Mme Aline SYLLA : Pour répondre à cette dernière question, je ferai observer qu’à la fin du siècle dernier, la France était une nation majoritairement catholique où toutes les femmes étaient logées à la même enseigne. Aujourd’hui, la situation est fort différente et les jeunes issus de l’immigration, qui ont une chance de mener une vie normale, de jouir d’une liberté normale, d’un statut normal et d’avoir accès à une profession, sont uniquement ceux qui ont eu la chance d’avoir des parents et des enseignants qui les ont aidés à s’intégrer. Les autres, qui ont « un petit métro de retard », devront encore attendre pour prétendre y parvenir !

Nous vivons au sein d’une société où, les femmes ayant acquis un certain nombre de droits et d’obligations, il est plus difficile que lorsque les droits des femmes évoluaient pour chacune à peu près au même rythme, d’admettre que celles qui ont pris du retard doivent attendre bien patiemment qu’il se comble.

Vous me permettrez, par ailleurs, de revenir sur la question du service public. J’exerce mes responsabilités dans un établissement public de 1 900 personnes et je vous avoue nourrir quelques inquiétudes. Tout le monde sait, en effet, qu’un jour une candidate au poste d’agent de surveillance au musée du Louvre va porter un voile. Sachant que nous sommes désormais responsables du recrutement direct des agents de cette catégorie et que nous avons la responsabilité d’un service public qui doit être neutre, qu’allons-nous faire ?

M. Jean-Pierre BLAZY : Les textes sont clairs concernant le service public !

Mme Aline SYLLA : Si les textes sont clairs, la position de nos syndicats l’est moins et nous allons tous nous trouver confrontés à ce type de difficultés. C’est aussi la raison pour laquelle je pense qu’intervenir à l’école est décisif. J’ai, en effet, tendance à penser que la probabilité qu’une femme porte le voile au moment d’entrer dans la vie professionnelle sera moindre si elle n’a pas été contrainte de le faire de 4 à 25 ans et si le port du voile n’a pas été toléré à l’école, au terme de compromis qui sont appelés à différer d’une ville à l’autre, d’un lycée à l’autre et d’un enseignant à l’autre.

Quand un certain nombre de comportements sont tolérés, c’est lorsque l’on se heurte soit au monde « difficile de l’entreprise », pour reprendre l’excellente formule de Khalid Hamdani, soit au service public où il y a pléthore de candidats pour un nombre de places extrêmement limité, que l’on se prend la discrimination en pleine face ! Quand on vit dans un système, c’est seulement le jour où l’on est conduit à sortir de sa communauté que l’on découvre que le monde fonctionne différemment et que l’on peut ne pas être accepté par les autres. Or, plus ce choc est tardif, plus il est mal ressenti : on le voit avec les jeunes diplômés qui, au prix de grands efforts, sont parvenus à entrer dans le système et qui se heurtent à la discrimination quand ils se mettent à chercher du travail ! L’école est l’élément clé pour éviter précisément que le problème ne se pose dans le service public et dans les entreprises.

Mme Fadela AMARA : Je voudrais juste revenir sur un point : le problème du port du foulard, contrairement à ce qui a été dit, n’est pas lié à celui de l’intégration. Je suis née en 1964, en France, et je fais partie de ces filles que l’on a appelées « les beurettes ». Mon père a immigré en 1955. Les enfants de ma génération, comme Mouloud, se sont engagés dans le mouvement « beur » pour obtenir l’égalité des droits.

Cela signifie que ce que nous avons vécu par rapport au processus d’émancipation n’a strictement rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui où des éléments nouveaux amènent certaines filles à porter le voile, qu’elles soient, ou non, soumises à des pressions, car il est vrai que certaines le font en accord avec des convictions qui sont tout à fait respectables aussi longtemps qu’elles s’expriment dans le domaine privé. La situation est donc très différente.

Actuellement, les dérives des ghettos, par exemple, sont un véritable terreau qui nourrit toutes les formes d’intégrisme, qui renforce ce sentiment d’injustice et d’exclusion perçu dans les cités et qui empêche une partie de la jeunesse de s’inscrire notamment dans ce que l’on appelle « le sentiment d’appartenance à la nation ».

C’est à ces jeunes que je recommande de faire extrêmement attention à ne pas tomber dans les mouvements intégristes. Pourtant, certains n’y échappent pas - on en a l’exemple de Zacarias Moussaoui qui vivait à Narbonne et qui est accusé d’avoir participé aux attentats du 11 septembre -, j’ajoute qu’il s’agit souvent de gamins qui ne sont nullement en déshérence, qui sont structurés mentalement et qui ont des bac + 5, voire + 10.

Je veux cependant bien admettre que se pose un problème de discrimination : c’est une réalité qui provoque un vrai sentiment d’injustice chez les jeunes de nos cités. Quand je parle de discrimination, j’entends aussi la discrimination sociale, car même si ce sont le plus souvent les jeunes issus de l’immigration qui souffrent de ce phénomène, d’autres en pâtissent tout autant du seul fait d’habiter dans un quartier qui a mauvaise réputation.

Si je conseille de gagner du temps, c’est parce que, vivant encore dans la cité, je sais qu’il est préférable de légiférer un peu plus tard, après avoir, étape par étape, instauré le dialogue et la discussion. J’ignore sous quelle forme les textes doivent être élaborés, mais je pense, de toute façon, que leur rédaction doit être repoussée pour une raison bien claire : les militants républicains laïcs ne sont pas majoritaires dans les cités. Contrairement à ce qui a pu être dit ici, des mouvances intégristes y sont implantées et font un véritable travail de sape. Elles ne sont pas uniquement d’obédience musulmane, mais aussi d’obédience juive, catholique pour ne pas parler de certains groupes politiques qui en sont devenus les alliés objectifs...

M. Jean-Pierre BLAZY : A qui faites-vous allusion ?

Mme Fadela AMARA : Aux membres de l’extrême droite. Ils sont devenus, dans la cité, les alliés objectifs des mouvances intégristes contre lesquelles nous sommes en train de nous battre et nous les retrouvons face à nous, sur le terrain. C’est un problème, car nous savons quel statut ils réservent aux femmes dans leur programme politique. Ce sont là des forces qui convergent presque « naturellement ».

Ce qui, moi, m’inquiète, c’est l’impact de cette situation sur le statut de la femme C’est par réaction à la violence qui sévit dans nos quartiers que certaines filles portent le voile qui devient un voile que je qualifierai « de protection ». D’autres portent le voile dans la sphère privée, par conviction religieuse, ce qui est respectable. En revanche, les femmes soldats du « fascisme vert », ainsi désigné par référence à la couleur de l’islam, qui sont minoritaires mais qui existent, suivent des stages de communication, sont prises en charge par de véritables organisations, et se livrent à un sérieux travail de sape.

La situation des filles qui, comme nous, descendent dans les cités pour engager le débat sur ces questions, devient de plus en plus difficile ! Je vous pose donc la question : si la République n’est pas capable de me protéger, qui va-t-elle protéger ?

Il faut faire très attention. Je rappelle, pour éviter d’être accusée de stigmatiser les choses que je m’appelle Fadela, que je suis musulmane pratiquante, et je dis nettement que ces gens-là « ont tout faux » ! Il faut parvenir à gagner du temps avant de légiférer pour donner la possibilité à des gens comme nous d’instaurer le dialogue en vue de faire admettre qu’à un moment donné, la règle commune, notamment dans les établissements scolaires et les services publics, s’applique à tous. Je ne vois pas pourquoi on réserverait un traitement différent à certaines religions et notamment à l’islam !

Pour conclure, je soulignerai, car il faut que les choses soient très claires, que la question du port du voile n’a jamais été tranchée, non plus, au sein de la communauté musulmane, depuis la mort du prophète. C’est d’ailleurs pourquoi cela me fait un peu sourire d’entendre discuter du voile comme d’un signe religieux. Même s’il peut avoir pour certains une connotation religieuse, il représente avant tout, pour moi, un outil d’oppression qui s’exerce, comme par hasard, sur les femmes. Cette histoire de recommandation, d’incitation à porter, ou non, le voile n’a jamais été tranchée dans la communauté musulmane. Elle fait d’ailleurs l’objet de grandes luttes qui sont menées à l’extérieur par toutes les femmes dans les pays arabes et en particulier dans les pays musulmans.

Selon moi, il va donc falloir, le moment venu, légiférer pour que la règle commune s’applique à tous dans les établissements scolaires et le service public : sur ce point, nous devons être très clairs !

M. Jean-Pierre BLAZY : Oui, mais quand, puisque vous dites qu’il est trop tôt ?

Mme Fadela AMARA : Pardonnez-moi, mais ce n’est pas, monsieur, ma faute si les politiques, de gauche comme de droite, ont fait n’importe quoi avec les cités quand ils étaient au pouvoir ! Je suis très attachée à la République. J’accepte donc de faire un gros travail d’équipe, mais il ne faudrait quand même pas qu’il se retourne contre ses auteurs et contre la République.

Si l’on parle du voile, c’est dans le cadre des cités - on ne va pas se pencher sur le cas de la Saoudienne qui porte le voile dans un hôtel du 16ème arrondissement - et il est très difficile de n’agir que sur un paramètre. Il est vrai que la question du voile fait naître un sentiment d’injustice et traduit un repli communautaire. Je suis née dans la cité et je ne crois pas aux discours de victimisation et de misérabilisme. Tout cela, y compris le terme « intégration », m’ennuie. Je suis profondément républicaine et laïque et je refuse que l’on stigmatise une catégorie de la population. Cela étant, je refuse également que, sous le prétexte de ne pas stigmatiser tel ou tel, pour des raisons x ou y, nous en arrivions à une situation extrêmement délicate, où nous nous retrouverions, comme par hasard, enfermés en priorité ! Quand on aborde la question du voile, il faut aussi évoquer celle des ghettos, de la violence dans les cités et donc intervenir sur différents paramètres.

Je trouve aussi extrêmement inquiétant que des hommes et des femmes politiques qui exercent des responsabilités, se situent dans l’acceptation, ce qui conforte l’action de ceux qui ne cherchent qu’à tester la République. Plus nous céderons, plus nous reculerons et plus nous perdrons sur le front de la bataille en faveur de la République. J’en veux pour exemple la question des horaires de piscine qui, aujourd’hui, sont aménagés. En l’occurrence, il ne s’agit pas de gamines qui fréquentent l’école, mais je rappelle qu’en additionnant un point, un autre point, et encore un point, on obtient vite une ligne droite ! Dans ces conditions, il ne faudra pas s’étonner si, à un moment donné, nous nous retrouvons dans une situation extrêmement difficile et délicate.

M. Michel MORINEAU : Au fil des interventions, je me suis posé deux questions que je vais vous soumettre en y ajoutant une remarque.

La première question est relative à la difficulté de légiférer. La loi de 1905 relève du registre des lois de liberté publique et, à travers elle, c’est finalement la liberté de conscience qui est assurée et la liberté de culte qui est garantie. Comment une loi peut-elle interdire ou sanctionner le port du signe religieux à l’école sans porter atteinte à la liberté de conscience dans la mesure où cette dernière suppose la possibilité d’exprimer publiquement son appartenance ? Je vois là un danger : en voulant légiférer, n’allons-nous pas nous trouver en contradiction avec ce qui constitue l’un des fondements de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Comment allons-nous articuler l’interdiction du signe religieux avec le respect de la liberté de conscience ?

Ma seconde question a trait à l’article 2 de la loi de 1905 qui énonce très clairement dans son deuxième alinéa qu’il existe la possibilité d’organiser, avec l’aide de la puissance publique, des aumôneries. Nous n’avons pas encore trop de cas d’aumôneries musulmanes au sein de l’école publique, mais si cette loi interdisant le port de signes religieux devait voir le jour, comment contourner la difficulté pour qu’elle n’engage pas également l’interdiction des aumôneries ?

J’en arrive à ma remarque. On a, ici, beaucoup parlé des mouvements intégristes, fascisme vert ou autres, qui existent, mais dont j’ignore l’importance en pourcentage. Cependant, il faut également prendre en considération le fait que, dans la communauté musulmane, au travers de la commission laïcité-islam, de très nombreux musulmans sont aujourd’hui en train de travailler - je peux en témoigner - sur la façon d’introduire l’islam dans la modernité démocratique occidentale. Il faut donc aussi faire confiance à ce mouvement profond qui n’est pas encore médiatisé, mais qui existe, car la question se pose pour beaucoup de musulmans de savoir comment ils peuvent être à l’aise et dans leur foi et dans les institutions de la République.

Mme Fadela AMARA : Je serais curieuse de connaître la liste des participants !

M. Michel MORINEAU : Je peux personnellement témoigner que ce travail s’accomplit. D’ailleurs une publication récente a fait référence à ces réformateurs de l’islam. Il faudrait peut-être tenter de s’appuyer sur ces travaux qui pourraient contrebalancer les emprises des intégristes, mais, en la matière, le temps joue un rôle essentiel. Je rappelle qu’il a fallu, pour que l’église catholique reconnaisse la laïcité comme étant la condition juridique de la liberté de l’acte de foi, attendre 1947, elle a mis soixante-dix ans, entre la loi de 1905 et le rapport Dagens, en passant par les étapes de 1924 et de 1947, pour clore le débat.

Je pense qu’il faudra moins de temps aux musulmans pour y parvenir, pour la simple raison que la sécularisation progresse dans la société. En conséquence, faisons en sorte d’aider ceux qui sont favorables à cette sécularisation de l’islam, de faire avancer plus rapidement l’islam, sachant que cela prendra quand même un certain temps et c’est en quoi la réflexion de M. Brard me semble intéressante à creuser. Je considère, en effet, que partir d’un cadre susceptible d’être décliné par voie plutôt réglementaire que législative peut constituer une réponse aux problèmes posés, notamment par les enseignants qui se sentent désarmés, ce qui renvoie à cette question : pourquoi se sentent-ils désarmés, est-ce en raison de l’imprécision du système juridique actuellement en vigueur ou en raison de la méconnaissance qu’ils en ont ?

M. Driss EL YAZAMI : Je trouve que Mme Aurillac et M. Brard ont bien résumé le débat. Quel que soit notre point de vue sur l’opportunité de légiférer, nous voyons bien que le débat sur le port du voile à l’école pose un problème plus global et à étages multiples : la question des droits des femmes et de l’égalité des sexes, la place de l’islam en France, la diversité de cet islam, la capacité qui est la nôtre à vivre ensemble un pluralisme religieux qui va toujours croissant.

Face à cette situation, soit nous légiférons dans l’urgence, soit nous prenons le temps de réfléchir. Je pense que le centenaire de la loi de 1905, nous offre une occasion en or d’ouvrir le plus largement possible, dans ce pays, un débat sur la laïcité et sur la capacité de la laïcité française, en l’état ou modifiée, à gérer un pluralisme religieux qui devient de plus en plus évident, non seulement en France, mais dans tous les autres pays européens.

Vous me permettrez, de ce point de vue, de formuler deux petites observations.

Premièrement, je viens d’entendre qu’un certain nombre de discours d’imams poussent à la haine et contribuent à la dévalorisation de la femme. La loi de 1905 permet, en l’état, de punir de tels discours et des condamnations ont d’ailleurs été prononcées. Je veux dire par là qu’aujourd’hui, la République a des possibilités d’intervention : il s’agit simplement d’avoir la volonté politique d’agir.

Deuxièmement, même si nous ne disposons pas du temps suffisant, nous venons de discuter du terme « intégrisme ». Quand on parle d’intégrisme, s’agit-il de menées subversives éventuelles, auquel cas il faut les sanctionner, de recherches conduites par certains courants musulmans comme les a décrites à l’instant Michel Morineau, auquel cas, il faut les encourager, ou d’une action légitime démocratique à partir d’un référentiel religieux, auquel cas, la démocratie chrétienne ayant finalement bien existé dans ce pays, nous n’y sommes pas opposés ?

Je veux dire par là que nous devons porter un regard sur notre histoire, qui nous permette d’appréhender les réalités nouvelles. Nous sommes dans un pays qui a accordé le droit de vote aux femmes en 1946, ce à quoi s’opposaient même des républicains aussi convaincus que nous le sommes aujourd’hui, considérant que les femmes étaient les suppôts de l’église catholique.

En conséquence, ou nous pensons qu’il y a une essence musulmane définitivement réfractaire à la réforme, et il faut sévir, ou nous pensons que l’islam est, à l’instar de toute autre religion, capable de subir l’influence de l’histoire, de l’environnement, des rapports de force, et il faut alors, comme je le propose, élargir le débat et y inclure, bien évidemment, les enseignants.

M. Mouloud AOUNIT : Je me réjouis de l’épaisseur que prend cette discussion, mais il est vrai que le problème que vous avez posé, recouvre cette question fondamentale, qui, un jour ou l’autre, devra être réglée : la place de l’islam, deuxième religion de France, dans un pays laïc, marqué par une tradition judéo-chrétienne. C’est un défi !

Je constate, par ailleurs, que c’est au moment où l’on voit de plus en plus d’immigrés, mais surtout de Français, se convertir à l’islam, qu’une sorte de crispation surgit à leur endroit. C’est cette image d’une appartenance à la France et à l’islam qui suscite un certain nombre de réactions.

Je m’inscris en faux contre certains propos car je ne supporte décidément pas que l’on parle du « fascisme vert ». Le fascisme, c’est du fascisme ! Pourquoi serait-il vert, rouge ou brun ? Le fascisme doit être combattu en tant que tel. Pourquoi cette association de termes ? Je vous renvoie à mes précédents propos quand je faisais allusion à certaines dérives sémantiques dont je déclarais qu’elles étaient révélatrices de quelque chose. Selon moi, ce « quelque chose » est une idée qui se distille sournoisement dans notre société qui la véhicule dans une partie non négligeable de l’opinion publique, selon laquelle l’islam comploterait contre la République et ses institutions.

Il y a donc un débat de fond et ce n’est pas un hasard si nous nous efforçons, même si c’est compliqué, de conduire une réflexion sur cette question de l’islamophobie. Il est clair que ne sommes pas là pour défendre l’islam, mais nous estimons qu’il y a un problème de rupture du principe d’égalité et qu’il n’appartient pas aux musulmans de se battre là-dessus.

Je voudrais, maintenant, pour lever une ambiguïté, établir une distinction entre les adultes et les mineurs. En ce qui concerne la question de l’école, nous avons à faire à des mineurs qui, nous en sommes d’accord, ont besoin d’être protégés et face auxquels nous pouvons user d’une arme supplémentaire : la pédagogie et la force de l’éducation. En revanche, tout comme vous, je refuse d’être jugé par quelqu’un portant une kippa ou un foulard : je ne le supporterais pas ! J’établis donc une distinction entre, d’une part, la gestion d’une problématique mettant en cause des adultes dans un espace particulier et, d’autre part, la nécessaire protection que l’on doit à une personne mineure et donc en phase de construction identitaire.

Je voudrais ajouter que la pire des choses serait de ne pas faire preuve d’intelligence dans l’appréhension de sujets aussi complexes. Il est vrai que je ne suis pas dupe. Je sais parfaitement que certaines personnes se livrent à des manipulations, mais mon expérience de terrain - j’habite et je travaille en Seine-Saint-Denis et je connais les jeunes dont nous parlons - me permet d’affirmer que les raisons de porter le foulard sont multiples. Certaines jeunes filles sont en quête d’identité, d’autres sont manipulées, d’autres encore recherchent une protection contre l’environnement extérieur ou se couvrent par pudeur. Cette multitude de motivations explique que la jeune fille mineure soit prise dans la logique du foulard et la réponse apportée au problème doit donc être appropriée et adaptée aux différentes situations.

Je terminerai en répondant à la question qui m’a été posée sur l’affaire d’Aubervilliers qui illustre bien la complexité du problème. Voilà une affaire où les parents des intéressées sont laïcs, où il n’y a apparemment pas de manipulations, et où n’entrent en jeu ni barbus, ni forces obscures. J’ai eu l’occasion de discuter avec les élèves concernées et la discussion progressait quand sont intervenus les médias à l’appel d’un certain nombre d’enseignants qui refusaient l’accord conclu entre le père et le proviseur. Les différents acteurs étaient, certes, crispés, mais en trouvant un espace pour le dialogue où chacun doit faire un pas, la tenue vestimentaire de ces filles pouvait faire l’objet d’une négociation par rapport aux exigences liées à un certain nombre de règles en vigueur dans le cadre de l’établissement scolaire. L’accord était acquis !

M. Jean-Pierre BLAZY : Lequel ?

M. Mouloud AOUNIT : Celui qui consistait à se mettre autour d’une table pour débattre, par exemple, des conditions dans lesquelles les jeunes filles accepteraient d’assister aux cours de gymnastique.

Il faut savoir que nous sommes partis d’une situation où personne ne voulait parler et où chacun était crispé sur sa position : le père qui entendait porter plainte, les enseignants qui ne voulaient rien céder sur la laïcité et le pauvre proviseur qui recevait des coups de partout. Face à cette situation, les gamines, qui sont profondément engagées dans la lutte contre l’intolérance, se sont senties victimes d’une discrimination et se sont fermées à leur tour. Du coup, la meilleure des choses était d’éviter d’en rester à ce statu quo. Le fait de réussir, au terme d’un long débat, à trouver les conditions pour que chacun se sente prêt à s’asseoir autour d’une table et à faire un effort, représentait déjà une avancée. Il y a quarante-huit heures, j’étais encore avec le recteur, le père et le responsable de l’établissement. Nous sommes sortis de cette rencontre, qui a duré deux heures, avec cette volonté d’aboutir, moyennant un effort de la part des gamines, dans le cadre du respect d’un certain nombre de règles d’éducation. J’ai été stupéfait en apprenant ce qui s’était passé entre cette rencontre du soir et la décision prise le lendemain matin.

Il est toujours facile de casser une négociation : il suffit de mettre la barre tellement haute qu’on en vient à la rupture. Ce qui s’est produit ne correspond pas à l’accord qui avait été trouvé et j’ai, personnellement, l’impression que l’on a, suite à une intervention extérieure, fait en sorte que le cas d’Aubervilliers soit perçu comme un signal.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais quelles étaient les modalités de l’accord ?

M. Mouloud AOUNIT : Les filles réclamaient d’avoir le cou, les oreilles et la tête cachés. La négociation portait sur le fait de savoir jusqu’où nous acceptions d’aller, si elles ne pouvaient pas porter un foulard plus discret, mais toujours dans la perspective que certaines obligations ne pouvaient pas donner lieu à discussion : l’assiduité aux cours, le choix des enseignants, le respect de certaines règles relatives à la sécurité ou autres. Ces points étaient acquis et c’est au moment où nous allions nous retrouver autour de la table que la barre a été mise trop haut et que tout a explosé.

M. Jean-Pierre BLAZY : Qu’entendez-vous quand vous dites que « la barre a été mise trop haut » ?

M. Mouloud AOUNIT : Quand on veut dialoguer avec quelqu’un, des pas doivent être faits mais tout dépend où l’on met la barre. Quand on se borne à dire : « Vous m’enlevez tout cela ! », il n’y a plus de dialogue possible !`

M. le Président : C’est là où tout le problème se pose et je ne cache pas que ce que je viens d’entendre m’inquiète beaucoup !

M. Mouloud AOUNIT : Il faut faire le pari de la durée.

M. le Président : N’y a-t-il pas aussi un peu de lâcheté à engager un tel pari ?

M. Mouloud AOUNIT : Cela peut être une étape.

M. le Président : Chacun est, ici, libre de s’exprimer, mais permettez-moi de vous dire que ce que je viens d’entendre à propos de cette affaire me renverse. Je suis, non seulement effaré, mais extrêmement inquiet !

M. Mouloud AOUNIT : Ce qui a mis le feu dans cette affaire, c’est l’appel d’enseignants irresponsables à la presse !

M. le Président : C’est là un autre sujet !

M. Jean-Pierre BLAZY : Pourquoi qualifiez-vous ces enseignants d’irresponsables ?

Mme Monique LELOUCHE : Pour clarifier les choses, je rappelle que nous défendons la négociation, ce que beaucoup d’entre vous n’approuvent pas. A partir de là, il faut savoir ce que l’on appelle une négociation. Une négociation ne peut pas se limiter à donner le choix entre l’exclusion et le retrait immédiat du foulard. Dans une négociation, chacun doit faire un effort pour débloquer la situation.

M. le Président : Et nous allons négocier dans tous les cas particuliers ?

Mme Monique LELOUCHE : Il n’y en pas tellement !

M. le Président : Je n’ai pas votre expérience, mais j’écoute ce que l’on me dit et je ne peux que constater l’énorme décalage qui existe entre les informations qui remontent à l’inspecteur d’académie et la réalité du terrain que vivent les professeurs.

M. Michel TUBIANA : La vraie question qui se pose derrière tout cela, et qu’il faudra bien que, les uns et les autres, vous exprimiez très clairement, est celle du refus de tout signe et particulièrement du voile à l’école. Assumez cette interdiction en disant que vous ne voulez voir qu’une tête puisque c’est votre souhait et cessez de tourner autour du pot !

M. le Président : Pour ce qui me concerne, je l’assume totalement. Cela étant, il y a la loi et sans anticiper sur les conclusions de nos travaux, je pense que nous sommes arrivés à un moment où ne pas légiférer relèverait d’une certaine lâcheté. La différence entre un député et le juge d’instruction que j’ai été, c’est que le second pose les questions et que le premier y répond : c’est beaucoup plus facile d’être juge d’instruction !

M. Driss EL YAZAMI : A supposer que toutes les femmes qui portent le foulard veuillent subvertir la République, comment allez-vous régler la question des hommes, celle des barbus, par exemple ?

M. le Président : Je considère que l’école est un lieu qui doit être préservé de toute interférence religieuse ou politique.

M. Khalid HAMDANI : Pour avoir fait, dans les années 80, un peu d’anthropologie, je dirai qu’il ne faut surtout pas construire des interlocuteurs imaginaires. C’est avec beaucoup d’amitié que je vous précise qu’il est écrit dans un verset du Coran - sourate 33, n°59 - excellemment traduit par Jacques Berque : « Ô prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes de croyants de rabattre sur elles leurs grands voiles. Elles en seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées. »

Mme Fadela AMARA : Mais il y a deux versets !

M. Khalid HAMDANI : Laissez-moi terminer ! On construit des interlocuteurs en considérant les gens qui portent le voile, en France, comme des puristes de l’interprétation de l’exégèse du Coran. Or, le caractère obligatoire ou facultatif du voile a donné lieu à un débat historique dont les termes sont très simples : dans l’islam la question du port du voile...

M. le Président : Il ne nous appartient pas, monsieur, d’entrer dans l’interprétation du Coran !

M. Michel TUBIANA : Vous avez raison !

M. Jean-Pierre BRARD : Pas plus que dans celles de l’Ancien et du Nouveau testament !

M. le Président : Absolument !

M. Khalid HAMDANI : Je voulais juste dire que même les musulmans n’ont pas tranché cette question du voile. Le problème qui nous intéresse est celui du libre choix d’une citoyenne et de la protection de l’enfance. Autrement dit, comment assurer la liberté de choix d’une adolescente ou d’une enfant, y compris et surtout face à l’endoctrinement qui inculque des valeurs antidémocratiques ou totalitaires ? La question du voile va se décliner, en France, sur des registres qui relèvent pour le coup d’un catalogue à la Prévert et qui vont de la protection contre le désir nécessairement brutal et animal des hommes, jusqu’à la pudeur uniquement réservée aux femmes, en passant par la quête d’identité, les symboles de rébellion, le retour aux sources, la protection de l’honneur de la tribu, l’intériorisation de l’image négative du corps féminin, sans oublier le combat politique ou la mode. Ce qui est important, pour nous, c’est de ne pas transiger avec la question de l’égalité de l’homme et de la femme !

M. le Président : C’est pourquoi l’intervention de M. Aounit m’a profondément troublé !

M. Khalid HAMDANI : En revanche, je suis favorable, comme de nombreux intervenants, à ce que l’on gère la période de transition par le dialogue le plus large possible en marquant clairement que nous avons pour objectif de légiférer, faute de quoi nous reviendrons sur l’égalité des hommes et des femmes.

M. le Président : Mais qui va déterminer quand doit prendre fin la période de transition ? Tout cela revient à remettre à plus tard l’affirmation d’un certain nombre de principes et c’est en quoi je trouve l’attitude un peu lâche.

M. Jean-Pierre BLAZY : Nous pourrions, en effet, considérer que nous sommes entrés dans une période de transition depuis déjà quinze ans. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous trouvons dans cette situation et qu’il nous faudrait en sortir.

Pour ma part, je souhaiterais revenir sur le cas d’Aubervilliers. Puisque vous privilégiez, M. Aounit, la négociation au cas par cas et puisque vous estimez que l’arrêt du Conseil d’Etat est la meilleure des choses, je vous renvoie à la décision du Conseil d’Etat du 10 mars 1995, décision dite « Aoukili », par laquelle il confirme l’exclusion de deux élèves d’un lycée ayant refusé d’enlever leur voile en cours de gymnastique. Puisqu’il y a déjà une décision du Conseil d’Etat sur un cas précis, n’encouragez donc pas, dans celui d’Aubervilliers où l’on pourrait se référer à la jurisprudence, des négociations ou des compromis qui ne font qu’enflammer les esprits ! L’affaire est en train, en effet, de prendre des proportions qui deviennent difficiles à maîtriser, surtout dans le contexte actuel et au moment où se déroulent les travaux de la Commission Stasi et de notre mission d’information.

M. Michel TUBIANA : Je voudrais juste ajouter deux remarques un peu crues, mais également un peu fermes.

Premièrement, je souhaiterais que les itinéraires individuels des uns et des autres ne rentrent pas en ligne de compte dans ces débats pour la raison simple que Rockefeller ne résume ni l’Amérique, ni le rêve américain.

En dehors de la question de la charte qui me paraît poser le problème de la hiérarchie des normes, dans la mesure où le fait de tirer une loi à partir d’une charte revient à dire que la charte a une valeur constitutionnelle, vous pouvez effectivement légiférer sur le sujet. Vous pouvez lancer comme message à ces populations que la question qui se pose est celle des signes religieux, à l’école, aujourd’hui, mais, en tant que législateurs, vous ne ferez que réduire un peu plus la crédibilité du politique auprès de populations qui ont de grandes attentes. C’est tout que vous obtiendrez en répondant de la sorte à ceux qui sont en situation de désinsertion sociale, et de déshérence à l’égard du politique.

A ce propos, je soulignerai un petit point qui en dit long : à Toulouse, les « motivés », qui présentaient pourtant des listes directement issues des quartiers, n’ont pas attiré un électeur de plus, ni suscité une inscription supplémentaire sur les listes électorales.

Posez-vous la question de savoir quelle est la signification du signe que vous lancez. Si, effectivement, à ceux qui disent : « transports publics, travail, missions de l’école, non-discrimination », vous répondez : « voile », vous accroîtrez considérablement le discrédit des hommes politiques : j’en suis intimement convaincu !

M. Dominique SOPO : S’agissant de la position de M. Aounit, je dirai que l’on en voit vite les limites. On peut, en effet, dialoguer et discuter, et je répète que les enseignants auront à cœur de le faire, mais il arrive un moment où il faut une règle. On ne peut pas engager une discussion sans se réserver, pour la fin, un filet de rattrapage en cas d’échec.

Pour être caricatural, si quelqu’un souhaite porter le voile et que l’on s’inscrit dans une logique de négociation, la négociation ne peut se solder que par une acceptation. A l’instar de la tactique des syndicats quand ils négocient avec le gouvernement, il suffit de pousser la surenchère pour parvenir à ses fins ! Les négociations, dans la mesure où elles conduisent à transiger sur certains points, ne constituent pas, selon moi, une solution.

Selon M. Tubiana, nous devons dire clairement que nous sommes opposés au port de signes religieux et particulièrement au port du voile. Oui, nous avons dit assez clairement que nous étions contre le port de signes religieux à l’école et nous disons, sans aller jusqu’à manifester une hostilité particulière au voile, qu’il pose, en tout cas, une question que nous ne pouvons pas ignorer, qui est celle de la protection de la femme et de son statut. A cet égard, je vois dans l’interdiction du voile, à la différence de M. Tubiana qui n’y voyait qu’un signe négatif, un signe politique adressé à des femmes qui, dans un certain climat, subissent une pression, d’ailleurs pas forcément matérialisée par l’obligation de porter le voile, mais qui ne leur laisse, en fait, pas d’autre choix.

Par ailleurs, et je rejoins là la position de M. Tubiana, nous ne pouvons pas nous limiter, s’agissant des populations immigrées, à la question du voile et de la coercition. Si j’ai montré quelques réticences à élaborer une loi, c’est parce je pense qu’elle pourrait être interprétée comme une stigmatisation de la population musulmane.

Pour l’éviter, la République doit tenir un discours plus global par rapport aux discriminations. De ce point de vue, je dois dire, puisque le terme d’intégration a donné lieu à débats, qu’il ne faudrait pas que les représentants de la République donnent l’impression de créer eux-mêmes une distance là où il n’y en a pas.

Je suis peut-être noir, mais je suis intégré, je me sens aussi Français que n’importe qui et je pense qu’il en est de même pour Aline, Fadela ou Mouloud. Il ne faut pas poser le problème de l’intégration dans les mêmes termes que si les gens n’étaient pas intégrés.

Il y a six millions de musulmans en France, dont l’immense majorité sont français et se sentent français. Au-delà, se pose un problème d’intégration économique du fait de la discrimination qui est faite au niveau du travail et de l’emploi, mais, dans leur immense majorité, les musulmans, non seulement vivent dans le cadre de la laïcité, mais se sentent avant tout français. C’est cette caractéristique qu’il faut mettre en avant et conforter pour que, si l’on envoie un message concernant le port des signes religieux, il ne puisse pas être interprété comme un acte de défiance par rapport à une communauté.

M. le Président : Vous avez raison de poser le problème du point de vue de la façon dont peut être interprété le fait de légiférer.

En réalité, nous sommes tous d’accord sur le fait que nous pouvons parfaitement légiférer. Sur le fond, sur la laïcité, ou sur le rôle de l’école, nos sensibilités sont les mêmes. Là où les opinions divergent c’est sur l’opportunité de légiférer, les uns pensant qu’il faut le faire et envoyer un signe très fort, les autres conseillant de ne pas le faire au motif que la loi pourrait être mal perçue.

Mme Fadela AMARA : Je ne reprendrai pas les propos de Dominique Sopo qui correspondent exactement à ce que je souhaitais dire, mais je confirme, tout en sachant que cela peut choquer, qu’il faut faire extrêmement attention. Je ne vous cache pas que j’en veux terriblement à certaines femmes et à certains hommes politiques dont les décisions accompagnent les formes de communautarisme, l’installation des mouvances intégristes ou autres, et contribuent à faire reculer le statut des femmes. Les revendications concernant les horaires de piscine ne sont pas anodines, car les habitants des cités ont parfaitement compris que la religion doit rester du domaine privé. Cela me semble d’autant plus évident que c’est un des sujets dont nous discutons tous les jours, y compris avec les parents qui d’ailleurs ne doivent pas être mis en cause car ils ne sont pas à l’origine du problème...

Il faut, le moment venu, pouvoir intervenir sur l’ensemble des paramètres pour gagner la bataille de la République. Le fort taux d’abstention aux élections ne touche pas, contrairement à ce qui a été dit, particulièrement les musulmans, mais l’ensemble de la jeunesse. Une grande vigilance s’impose car je suis persuadée que ce n’est que dans le cadre de notre République laïque que nous parviendrons à cohabiter dans le respect mutuel. Si notre vigilance baisse notamment par rapport aux différentes façons dont peut s’implanter le communautarisme avec toutes ses dérives, nous courrons un grand risque. Des tentatives existent, il faut y faire très attention, comme il faut faire très attention aux décisions qui peuvent être prises par les uns et les autres, y compris par les membres de certains groupes politiques. Pour ce qui me concerne, je tirerai la sonnette d’alarme chaque fois que cela m’apparaîtra nécessaire !

M. le Président : Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre participation.


Source : Assemblée nationale française