La querelle des « deux France », l’une fidèle à l’Eglise catholique ultramontaine, l’autre, héritière des Lumières et laïque avec ferveur, alimentera tout le XIXème siècle. Chacune triomphera de manière alternée jusqu’à ce que le différend se résorbe aux lendemains de la loi de 1905 autour du « pacte laïque ».

Dans cette lutte, la question scolaire occupera une place primordiale en raison du développement de l’institution et de son rôle éminent dans la formation des citoyens. Creuset des consciences futures, elle cristallise, hier comme aujourd’hui, les débats qui animent la société dans son ensemble.

1.- La laïcisation de l’école publique...

Fait significatif de la confusion qui règne encore au début du XIXème siècle entre l’institution scolaire et l’Eglise, le premier des ministres de l’instruction publique, en 1824, est Monseigneur Frayssinous, lequel a parallèlement en charge le ministère des affaires ecclésiastiques. Durant la première moitié du siècle, les autorités publiques tenteront ainsi de concilier religion et liberté dans le domaine scolaire.

La loi du 28 juin 1833 sur l’instruction primaire, dite « loi Guizot » renforce l’autonomie de l’enseignement primaire, sans pour autant le dégager de la tutelle religieuse : l’instruction morale et religieuse figure en tête des matières à enseigner et les écoles primaires communales sont soumises à la surveillance d’un comité local présidé par le maire et composé de représentants des cultes et de plusieurs notables locaux.

La loi du 15 mars 1850, dite « loi Falloux », renforce encore le contrôle de l’Eglise sur l’enseignement. A chaque échelon de l’administration scolaire, sont placés des ecclésiastiques. Ainsi, l’instituteur peut être muté et démis s’il déplaît au curé. Dans le second degré, les établissements privés, dits « libres », se voient octroyer une totale indépendance, aussi bien en terme d’organisation administrative que sur le plan pédagogique.

Avec l’avènement de la IIIème République apparaît la nécessité de détacher les écoles de l’influence de l’Eglise. La formation de citoyens éclairés est considérée comme la condition indissociable de l’enracinement démocratique et il revient à Jules Ferry, ministre de l’instruction publique, presque sans discontinuité de 1879 à 1883, d’initier le dispositif scolaire souhaité par les républicains.

Dès 1879, une loi oblige chaque département à entretenir une école normale d’institutrices. Ce texte est complété, l’année suivante, par la loi Camille Sée qui crée les collèges et lycées de filles et exclut l’enseignement religieux des heures de classe mais assure, en contrepartie, la possibilité d’un enseignement religieux facultatif à l’intérieur de l’établissement par un aumônier. Cette dernière disposition est étendue aux lycées de garçons. Les Jésuites sont dispersés et les congrégations - qui se sont considérablement développées au cours du siècle - sont soumises à enregistrement devant les pouvoirs publics. Face au refus d’obtempérer de ces derniers, plusieurs dizaines d’établissements sont fermés. Dans ceux qui subsistent, rien ne change, mais Jules Ferry n’intervient pas. La méthode qui sera la sienne est ainsi initiée qui allie tout à la fois une grande fermeté et une certaine conciliation pour permettre de faire progresser le processus de laïcisation qu’un affrontement trop farouche eût immanquablement fait échouer.

a) La loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement obligatoire

Officiellement, la loi du 28 mars 1882 porte sur l’obligation de l’instruction primaire - et non sur l’obligation scolaire - pour les garçons et les filles âgés de 6 à 13 ans. Cependant, trois mesures, contenues dans les trois premiers articles concernent la laïcisation de l’enseignement :

  L’instruction morale et civique remplace l’instruction religieuse en tête des matières à enseigner (article premier).

  La vacance des écoles, un jour par semaine, doit permettre aux enfants de suivre un enseignement religieux, hors de l’enceinte scolaire [1] (article 2 devenu l’article L. 141-3 du code de l’Education).

  L’enseignement religieux devient facultatif dans les écoles privées (article 2).

  La loi Falloux concernant les ministres des cultes est abrogée (article 3).

L’application de la loi est l’objet de toutes les prudences de la part du gouvernement. Les nouveaux programmes d’instruction morale préservent une certaine orientation spiritualiste et il est admis que les « devoirs envers Dieu » pourront être évoqués à la fin des leçons, afin de ne pas heurter frontalement les fidèles de la religion majoritaire.

Une même volonté d’apaisement est adoptée en ce qui concerne le problème de la présence des crucifix dans les salles de classes. Le ministère confie aux préfets le soin d’examiner chaque cas avec attention. Les crucifix seront ôtés lorsque cela ne soulèvera pas l’hostilité des populations ; dans le cas contraire, ils demeureront en place. La circulaire précise en effet que la loi du 28 mars 1882 « n’est pas une loi de combat [mais une] de ces grandes lois organiques destinées à vivre avec le pays ».

Le pragmatisme s’exprime enfin dans la querelle des manuels scolaires. Quatre d’entre eux sont mis à l’index par le pape. Jules Ferry, plutôt que de les imposer par la force, prend contact avec les autorités religieuses et parvient, au prix de certains renoncements, à trouver un accord.

La fameuse Lettre aux instituteurs que Jules Ferry rédige à la rentrée 1883 constitue le point d’achèvement de cette méthode et reste d’une étonnante actualité. En renonçant à ce que la loi s’applique immédiatement dans toute son étendue, les pouvoirs publics permettent à celle-ci de ne pas être condamnée globalement par une fraction importante de la population.

Extraits de la circulaire adressée par M. le ministre de l’instruction publique aux instituteurs, concernant l’enseignement moral et civique le 17 novembre 1883

Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse, c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité.

En effet, Jules Ferry se veut avant tout pacificateur. Sans perdre de vue le but qu’il s’est fixé - la laïcisation de l’enseignement -, il veut parvenir à rapprocher les « deux France ». Plutôt que de s’inscrire dans une logique d’affrontement, il cherche à concilier les points de vue, en privilégiant la neutralité de l’éducation publique vis-à-vis des religions. En cela, sa démarche est très différente de l’approche qui avait prévalu jusque-là de substitution à la religion catholique d’une religion civile « républicanisée ». Pour être originale, sa conduite n’est cependant pas totalement novatrice, puisqu’elle s’inscrit dans les pas de Condorcet qui, dès la Révolution, avait envisagé les moyens de laïciser l’enseignement scolaire.

« L’éducation publique doit se borner à l’instruction »

« 3° Parce qu’une éducation publique deviendrait contraire à l’indépendance des opinions (extraits) »

« D’ailleurs, l’éducation, si on la prend dans toute son étendue, ne se borne pas seulement à l’instruction positive, à l’enseignement des vérités de fait et de calcul, mais elle embrasse toutes les opinions politiques, morales ou religieuses. Or, la liberté de ces opinions ne serait plus qu’illusoire, si la société s’emparait des générations naissantes pour leur dicter ce qu’elles doivent croire. Celui qui, en entrant dans la société, y porte des opinions que son éducation lui a données n’est plus un homme libre ; il est l’esclave de ses maîtres, et ses fers sont d’autant plus difficiles à rompre, que lui-même ne les sent pas, et qu’il croit obéir à sa raison, quand il ne fait que se soumettre à celle d’un autre. On dira peut-être qu’il ne sera pas plus réellement libre s’il reçoit ses opinions de sa famille. Mais alors ces opinions ne sont pas les mêmes pour tous les citoyens ; chacun s’aperçoit bientôt que sa croyance n’est pas la croyance universelle ; il est averti de s’en défier ; elle n’a plus, à ses yeux, le caractère d’une vérité convenue ; et son erreur, s’il y persiste, n’est plus qu’une erreur volontaire. »

Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique, 1791-1792.

b) La loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire

Cette loi, dite « Goblet », constitue la seconde étape de la laïcisation de l’école. Elle confie à un personnel exclusivement laïque l’enseignement dans les écoles publiques [2] (article 17 devenu l’article L. 141-5 du code de l’Education).

Une nouvelle fois, la loi privilégie la conciliation à l’affrontement brutal. Des délais de plusieurs années sont admis pour que les établissements se mettent au diapason de l’état nouveau du droit (article 18) et la loi rappelle la possibilité d’un enseignement privé « entièrement libre dans le choix des méthodes » qu’il applique (article 35 devenu l’article L. 442-3 du code de l’Education).

L’alliance de fermeté et de prudence des instigateurs des lois laïques a permis à celles-ci de s’appliquer. Cependant, pour que la laïcisation scolaire soit véritablement achevée, il faut encore convaincre les réticents de son bien-fondé.

L’échec du boulangisme en 1889 confirme la stabilité du régime et annonce le ralliement des catholiques à la République. En 1890, le cardinal Lavigerie lance son fameux « toast d’Alger » où il prône l’adhésion des catholiques à la forme républicaine de gouvernement. Cet appel est relayé, deux ans plus tard, par l’encyclique Au milieu des sollicitudes du pape Léon XIII. Le ralliement cependant n’est pas complet. Si le message papal enjoint aux catholiques français d’adhérer à la République, il appelle également les fidèles à « combattre par tous les moyens légaux et honnêtes [les] abus progressifs de la législation », c’est-à-dire les mesures de laïcisation. L’affaire Dreyfus ravive la division qui était en voie de résorption. Celle-ci culmine avec l’adoption de la loi du 7 juillet 1904 interdisant l’enseignement aux congrégations - qui suit l’expulsion violente des Chartreux - et la rupture des liens diplomatiques entre la France et le Saint-Siège (30 juillet 1904).

Dans les villages, deux figures se font face : le curé et l’instituteur, « hussard noir de la République ». Et si Charles Péguy voit en ce dernier « le représentant de l’humanité », pour Maurice Barrès il incarne la désagrégation de la société française qui, en rompant le lien de la tradition pour lui substituer une morale emprunte de kantisme, fondée sur la Raison, fait de l’élève un « déraciné » et le conduit directement de l’école au crime, du pupitre à l’échafaud [3].

2.- ... annonce la séparation des Eglises et de l’État

Dans ce climat de tension, l’annonce d’un processus de séparation des Eglises et de l’État apparaît aux catholiques comme une nouvelle persécution.

Deux projets sont rédigés qui accompagnent la séparation d’une surveillance très étroite des Eglises par l’Etat.

La volonté de revanche semble l’emporter. Pourtant, en l’espace d’un an à peine, les esprits vont considérablement évoluer pour finalement aboutir à l’adoption d’une loi très différente.

a) La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’État

Un nouveau texte est élaboré sous la conduite d’Aristide Briand, rapporteur de la commission de la Chambre des députés. Ce dernier doit souvent aller à contre-courant de sa propre majorité afin d’imposer un texte acceptable par toutes les parties. Dans son esprit, la loi ne doit pas être une entrave à l’exercice des cultes mais, au contraire, doit se montrer « susceptible d’assurer la pacification des esprits » en démontrant aux Eglises qu’elles auront ainsi « la possibilité de vivre à l’abri de ce régime ».

La rédaction de l’article 4 de la loi est symptomatique de l’équilibre subtil que le législateur est parvenu à trouver. Les édifices religieux, devenus domaine public, sont laissés à la disposition des associations représentants les confessions, sous réserve que celles-ci se conforment « aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ». La contradiction est ainsi levée entre l’appropriation par l’Etat des édifices religieux et l’exercice plein et entier de la liberté de culte dans le respect de l’organisation particulière de chaque confession.

La loi de séparation des Eglises et de l’État est adoptée le 9 décembre 1905. Désormais, la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes (article premier) ; elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (article 2). C’est la fin du système des cultes reconnus mis en place par le régime concordataire, auquel se substitue le double principe de neutralité de l’État et de reconnaissance du pluralisme.

Les Eglises ont désormais un statut de droit privé. A ce titre, elles doivent subvenir à leurs besoins financiers par elles-mêmes. Toutefois, l’Etat met à leur disposition le patrimoine immobilier dont il est devenu le propriétaire (article 13) et peut, ainsi que les collectivités locales, effectuer les réparations d’entretien de ces bâtiments. Il permet également de créer des aumôneries à l’intérieur des lieux publics dans lesquels les personnes sont astreintes à l’enfermement (article 2). Enfin, il est désormais interdit d’apposer tout signe religieux sur les monuments publics (article 28).

Malgré les précautions qui entourent le dispositif, l’application de la loi rencontre des difficultés. La première concerne l’inventaire des biens ecclésiastiques considéré par certains catholiques comme sacrilège. L’attitude conciliatrice de Clemenceau, ministre de l’intérieur, permet de dénouer le conflit. De la même manière, une solution sera trouvée dans la querelle sur les associations cultuelles - jugées incompatibles avec l’organisation hiérarchique de l’Eglise catholique - avec le recours aux « associations diocésaines ». En 1921, la France et le Saint-Siège renouent des liens diplomatiques.

b) Le « pacte laïque » ou le « second seuil de la laïcité »

Avec l’adoption de la loi de 1905 se met en place ce que les historiens ont qualifié de « pacte laïque » et qui s’applique aujourd’hui en France. L’expression décrit moins une égalité entre partenaires, puisque c’est l’Etat qui, en définitive, a imposé ses règles, que l’établissement d’un mode de relation équilibré et durable entre les religions et les pouvoirs publics.

Jean Baubérot qualifie cette étape de « second seuil de la laïcité ». Celui-ci se définit par :

  Une dissociation institutionnelle : juridiquement, la religion s’apparente à une association et son influence dans la société ne dépasse pas le rôle d’intervention permis à ces structures.

  Une absence de légitimité sociale institutionnelle : les préceptes moraux issus du dogme ne sont plus ni imposés ni combattus par la puissance publique.

  La liberté de conscience et de culte qui intègre le champ des libertés publiques, sans distinction aucune, entre les cultes ni prééminence de cette liberté par rapport aux autres.

« L’Union sacrée » de 1914 entérine définitivement le rapprochement des « deux France » en colportant l’image de clercs et de laïques combattant sous le même uniforme pour la défense du pays. L’apaisement se poursuit durant l’entre-deux-guerres au prix, parfois, de quelques aménagements avec la loi de 1905.

La laïcité s’installe alors durablement dans la société française, à l’exception de la période du régime de Vichy. Son principe est désormais inscrit dans la Constitution. Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir d’État » et il est inscrit à l’article Premier de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».


Source : Assemblée nationale française

[1Cette solution a finalement été préférée à la possibilité que le catéchisme puisse être donné à l’école, en dehors des heures de classe, comme le souhaitait Jules Ferry.

[2Le principe de laïcité du personnel enseignant dans le secondaire n’a qu’une valeur coutumière consacrée par l’arrêt Abbé Bouteyre du Conseil d’Etat (10 mai 1912).

[3Cf. Maurice Barrès, Les Déracinés, 1897.