Les discriminations répétées liées à l’origine réelle ou supposée peuvent conduire les personnes qui en sont victimes, et notamment les jeunes plus sensibles à l’injustice, à rechercher une intégration de substitution dans le recours au communautarisme.

L’appartenance à une communauté c’est-à-dire à un groupe social uni par des intérêts communs qui peuvent être de nature très diverse, (religieux, mais aussi culturels ou professionnels ...) est un phénomène structurant, à la fois pour les individus et pour la collectivité, à la condition qu’il reste associé à la sphère privée. Le communautarisme tend à faire basculer ces intérêts dans la sphère publique, notamment sous la forme de revendications de droits spécifiques.

C’est parce que, l’école d’abord puis le marché du travail ensuite, ne jouent plus leur rôle de lieu d’intégration sociale, que les différences culturelles deviennent des handicaps et que la société se cloisonne.

1.- L’échec scolaire frappe lourdement les enfants issus de l’immigration

Le fractionnement social de l’espace urbain et périurbain n’est pas un phénomène nouveau. Il est aujourd’hui un facteur de profondes inégalités et de discriminations parce qu’il fait obstacle à la mobilité sociale et géographique. C’est le phénomène de ghetto qui commence à être bien cerné et qui rejaillit sur le fonctionnement de l’école.

Mme Hanifa Chérifi64, médiatrice nationale du voile, rappelant le déroulement de la première affaire de voile à Creil en 1989, a évoqué le contexte social de cet établissement scolaire, qu’elle retrouve dans quasiment toutes les affaires pour lesquelles elle intervient comme médiatrice de l’Education nationale. Le principal du collège de Creil parlait de son collège en disant que c’était une « poubelle sociale ». 60 % des élèves de cet établissement n’avaient pas réussi leur examen au BEPC. Selon Mme Chérifi on trouvait là un « concentré » de problèmes sociaux, le voile n’étant finalement qu’un des révélateurs de ces problèmes.

Dans un document de contribution au débat sur l’éducation en date du 1er octobre 2003, le Conseil national des villes (CNV) analyse certains aspects des blocages de la politique éducative. Sous l’effet de la « captivité territoriale », et de l’isolement des quartiers, les inégalités entre territoires continueraient de s’accroître. Certains établissements scolaires se trouvent ainsi « spécialisés » sur une base souvent sociale ou ethnique, renforcée par les stratégies d’évitement des familles qui en ont la possibilité. De surcroît, l’investissement en matière éducative (modernisation des infrastructures, accompagnement extrascolaire) varie fortement d’une collectivité à une autre et dépend du niveau des ressources des communes. Le CNV voit dans l’échec scolaire, qui se traduit par le départ chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification de 160 000 élèves65, une des causes de la violence à la fois physique et verbale qui a fait irruption à l’école.

Dans un récent rapport66, le Conseil d’analyse économique (CAE) démontre que l’égalité d’accès à l’éducation et à la formation est gravement remise en cause par « le système ségrégatif urbain ». Un premier constat est rappelé : les zones d’éducation prioritaires (ZEP) coïncident à 95,5 % avec les zones urbaines sensibles (ZUS) caractérisées, notamment, par un habitat dégradé, un taux de chômage et de jeunes ayant quitté le système scolaire sans diplôme élevé et une surreprésentation des familles immigrées. Le second constat est que 10 % des établissements scolaires accueillent 90 % des élèves issus de l’immigration. Ces derniers sont majoritaires dans les sections d’enseignement général et professionnel (SEGPA) et dans les filières d’enseignement professionnel du secondaire.

Selon le CAE, il en résulte de grandes déceptions, alors que les familles immigrées ont des attentes fortes vis-à-vis de l’enseignement. Ces déceptions peuvent conduire à divers types de réaction de la part des élèves : absentéisme, décrochage, perte d’estime de soi, perte de confiance dans la société, voire obsession identitaire.

La probabilité de sortir du système scolaire sans qualification est très liée à l’origine sociale et nationale des parents des élèves. Elle s’échelonne de 1,9 à 30,8 % entre les parents appartenant au corps enseignant et les parents inactifs en passant par 15,6 % pour les ouvriers non qualifiés. Elle est de 8,7 % pour les élèves français et de 15,1 % pour les élèves étrangers avec des variations importantes suivant les nationalités des familles, 14,8 % pour les familles originaires d’Algérie et 12,5 % pour celles originaires du Maroc, par exemple.

La proportion des jeunes de 15-24 ans non diplômés est particulièrement élevée au sein des ZUS, elle est de 35 % en moyenne pour atteindre 66 % dans les ZUS de Boulogne et de Calais.

2.- Les discriminations et la perte du sentiment d’appartenance à la République

Plusieurs observateurs signalent l’émergence d’un islam des quartiers, fondé sur une culture des cités dont la religion serait une des composantes. Ce phénomène concerne aussi des jeunes, surtout des garçons, issus de familles d’origine française qui se convertissent à l’islam, celui-ci représentant un exutoire à leur mal de vivre.

Ces informations sont corroborées par une note communiquée à la mission par le directeur central des renseignements généraux qui fait état de l’expansion du phénomène des conversions à l’islam des jeunes dans le département de l’Essonne, où il y aurait aujourd’hui entre 1 000 et 2 000 convertis. D’après cette note, la propension de ces nouveaux convertis à intégrer des réseaux extrémistes, et notamment des groupuscules salafites, n’est pas négligeable.

Cette démarche correspond plus souvent à la recherche d’une famille d’appartenance qu’à une véritable attirance spirituelle. De surcroît et paradoxalement, la médiatisation négative de l’islam, associée, sans réflexion, à la révolte des pauvres dans le monde, séduit des jeunes en voie de marginalisation.

La pratique identitaire de la religion musulmane est ainsi le fruit de frustrations sociales et économiques et, pour les jeunes issus de l’immigration, de discriminations inacceptables.

On s’aperçoit vite que ce type de positionnement qui revendique le port du voile pour les filles est plus proche de l’idéologie que de la religion. Par exemple, les manifestations d’antisémitisme qui accompagnent trop souvent, notamment en milieu scolaire, les revendications identitaires de certains jeunes musulmans n’ont pas grand-chose à voir avec la pratique religieuse.

M. Mohamed Arkoun, professeur spécialiste d’islamologie, entendu par la mission67, n’a pas hésité à parler d’idéologie à propos des sermons dispensés dans les mosquées : « Ces sermons vont davantage dans le sens du combat idéologique - nécessité historique - de tous les musulmans dans le monde et non pas d’une formation théologique qui ouvrirait les croyants à une compréhension ouverte et cohérente de ce qu’est la croyance religieuse dans une société moderne et laïque ».

Ce sentiment d’exclusion est aggravé par le fait que les discriminations touchent également les jeunes d’origine maghrébine qui ont réussi leurs études.

L’intégration des jeunes français d’origine maghrébine est en difficulté et le taux de chômage, à diplôme égal, est anormalement plus élevé parmi eux, ce qui nourrit évidement beaucoup de frustrations. En mars 2000, une étude du ministère de l’emploi révélait que le taux de chômage des actifs les plus diplômés se situait à 5 % chez les français d’origine, à 11 % chez les français de parents étrangers et à 20 % chez les étrangers d’origine maghrébine.

On peut citer à ce propos M. Michel Tubiana68, président de la Ligue des droits de l’homme : « On peut enseigner toutes les valeurs que l’on souhaite à l’école, mais lorsqu’à sa sortie, l’on est systématiquement refusé dans les entreprises parce que votre nom n’est pas de consonance berrichonne ou autre, que cette mésaventure se reproduit au quotidien, pour trouver un appartement ou dans les rapports aux autorités publiques, vous pouvez enseigner toutes les valeurs que vous voulez à l’école, vous n’avez aucune légitimité à les enseigner, tout simplement parce qu’elles sont violées chaque jour à l’extérieur ». Selon lui la vraie question est donc celle de l’intégration.

Mme Aline Sylla2, membre du Haut conseil à l’intégration, a fait allusion au monde difficile de l’entreprise « où l’on se prend la discrimination en pleine face (...) plus ce choc est tardif, plus il est mal ressenti : on le voit avec les jeunes diplômés qui, au prix de grands efforts, sont parvenus à entrer dans le système et qui se heurtent à la discrimination quand ils se mettent à chercher du travail ». 


Source : Assemblée nationale française