L’analyse de Mme Chérifi1 est notamment très claire sur ce point « Le voile en Arabie Saoudite, en Iran ou aujourd’hui dans les pays d’Europe, est une référence exclusive aux courants fondamentalistes. C’est la version fondamentaliste du Coran. »

M. Dominique Borne85, doyen de l’inspection générale de l’éducation nationale fait la même analyse lorsqu’il constate que l’extension du port du voile est parallèle aux crises internationales qui touchent l’islam.

Mme Bétoule Fekkar-Lambiotte86, membre du comité de conservation du patrimoine cultuel, estime que le voile est le symptôme d’une maladie de l’islam qui voudrait garder son authenticité au nom de « la pureté des commencements ».

M. Abdelwahab Meddeb1, professeur d’université, auteur de l’ouvrage « Les maladies de l’islam », également entendu par la mission considère que nous assistons à l’émergence d’un « voile idéologique ». « Le voile devient le même de Djakarta à Paris en passant par New-York et Londres. Le voile devient un signe idéologique et de propagande politique »

Mme Fadela Amara87, présidente de la fédération « Maison des potes » n’hésite pas à parler « des soldats du fascisme vert [qui] travaillent dans nos cités pour installer un Etat islamique dans notre pays. Ces personnes sont en contact avec nos jeunes. Et les jeunes filles qui portent le voile n’ont pas toutes la volonté de le porter comme étendard politique pour un projet de société qui n’a rien à voir avec notre République ; beaucoup d’entre elles sont entraînées dans ce fameux travail de communication. »

1.- Les associations intégristes occupent l’espace laissé vacant dans les cités

L’intégrisme consiste à instrumentaliser une religion pour asseoir un pouvoir politique.

Selon Mme Hanifa Chérifi88, le phénomène du voile n’est rien d’autre que la conséquence du travail de prosélytisme des islamistes dans les quartiers, dans un contexte social très défavorisé. Elle ajoute : « Contrairement à la thèse souvent entendue, le voile n’est pas le signe d’une appartenance religieuse musulmane. C’est le signe de l’appartenance à l’islam fondamentaliste. Le port du hidjab peut être subi ou assumé volontairement par les femmes, cela ne change rien à la nature de ce voile. Si certaines jeunes filles ou femmes disent l’avoir adopté librement, il faut regarder le milieu dans lequel elles évoluent. L’ambiance générale dans certains quartiers est marquée par un retour aux normes islamiques. Dans certains contextes, c’est désormais la version de l’islam fondamentaliste qui prime et s’impose comme norme à l’ensemble, avec un véritable contrôle social des membres. Contrôle social qui s’exerce notamment sur les femmes. ».

La médiatrice considère que le problème excède largement l’école et que si l’on ne tente pas de réduire l’influence des islamistes dans les quartiers, par des réponses sociales, par une meilleure connaissance de leur discours, en opposant un contre discours qui valorise l’intégration, toutes les lois que l’on pourra voter ne suffiront pas à réduire le phénomène.

2.- La lutte des femmes musulmanes pour leur émancipation en France et dans le monde passe par l’opposition au voile

Mme Chahdortt Djavann, dans son livre « Bas les voiles », rappelle les conditions dans lesquelles la révolution islamique en Iran a imposé le port du voile à toutes les femmes, dans tout le pays, dans toutes les écoles y compris les écoles primaires : « c’était le voile ou la mort ». Elle parle des femmes tirées par les cheveux, jetées à terre, frappées dans les rues de Téhéran parce qu’elles ne voulaient pas porter le voile. Pour elle qui l’a porté 10 ans, le voile abolit la mixité de l’espace et limite de façon radicale l’espace féminin.

Il convient de rappeler que la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, signée à New York le 1er mars 1980, entrée en vigueur en France le 13 janvier 1984, demande aux Etats de modifier les schémas et modèles de comportement socio-culturels de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières ou de tout autre type qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité de la femme.

Selon Mme Chérifi89, le voile n’est jamais émancipateur. Le monde musulman est vaste, il compte 1 milliard de personnes dans des pays différents, et les gens s’habillent selon leurs traditions locales et selon les traditions du pays. Le voile en Arabie Saoudite, en Iran ou aujourd’hui dans les pays d’Europe, est une référence exclusive aux courants fondamentalistes. C’est la version fondamentaliste du Coran.

Selon les fondamentalistes, le corps de la femme perturberait tellement les rapports sociaux qu’à défaut de réclusion, celle-ci doit être entièrement couverte lorsqu’elle sort de sa maison. C’est le cas de l’Arabie Saoudite où les femmes sont entièrement couvertes, comme de l’Afghanistan avec le tchadri.

Cela concorde avec l’approche de Mme Camille Lacoste-Dujardin90, ethnologue spécialiste du Maghreb, qui qualifie le voile d’uniforme politico-religieux moderne. Elle a précisé qu’il est apparu à la suite de la révolution iranienne, donc en 1980, sous un nouveau nom « hidjab », celui qui cache. Il est prescrit dans le monde aux femmes qui adhèrent aux valeurs de l’idéologie islamiste. Il est un signe d’adhésion à ces mêmes valeurs politico-religieuses.

Dans de nombreux pays musulmans le voile est un enjeu entre les modernistes et les conservateurs et ce combat peut rejoindre celui pour la démocratie.

C’est ce que dit Mme Wassila Tamzali91, avocate franco-algérienne : « les sociétés du sud méditerranéen sont restées figées sur une attitude fondée sur l’apartheid des femmes, c’est-à-dire l’empêchement de circuler des femmes. Je ne joue pas avec les mots. Il s’agit bien de la culture de mon pays que nous sommes en train d’essayer de vaincre ». 

Mme Elisabeth Roudinesco92, psychanalyste, partage cet avis « En interdisant le port du voile à l’école, nous favoriserions la lutte des femmes musulmanes en faveur de la laïcité dans les pays islamiques. Nous étions opposés à la pratique de l’excision et de la polygamie, nous les avons interdites. Il faut toujours favoriser ce qui peut être émancipateur. Si le voile est autorisé, les jeunes filles qui le portent n’auront plus aucun recours lorsqu’elles souhaiteront l’enlever et qu’elles seront sous l’emprise de leurs familles ».

Mlle Kaïna Benziane93 a évoqué la situation des femmes en Algérie, évoquant des femmes de sa famille qui se sont battues contre le port du voile. « Je trouve dramatique que, dans un pays comme le nôtre où la laïcité et l’égalité sont des principes qui permettent d’être libres, de s’exprimer et de vivre ensemble, on tolère le port du voile, notamment dans des institutions où c’est le « vivre ensemble » qui fait que l’on existe ».

3.- Les conflits internationaux et l’exacerbation des violences chez les jeunes

On assiste depuis quelque temps en France et en Europe à l’intériorisation des évènements internationaux, ce que certains qualifient de « globalisation des émotions ».

Une part importante des problèmes de manifestation du communautarisme à l’école est liée à la situation internationale et notamment au conflit israélo-palestinien. Beaucoup d’enseignants notent la coïncidence entre l’irruption des voiles, des kippas et des keffiehs, parfois associés à des violences, avec le début de la deuxième Intifada en 2001. La dramatique méconnaissance culturelle, politique et religieuse des problèmes conduit de nombreux jeunes à identifier leur propre malaise aux actions les plus indéfendables et à de véritables détournements des valeurs religieuses.

D’autres événements comme la première guerre du Golfe, les attentats du 11 septembre 2001 ou, plus récemment, la guerre en Iraq ont coïncidé avec l’observation d’une recrudescence d’incidents à l’école.

Un chef d’établissement a décrit ces faits en insistant sur la vision binaire du monde qui est très souvent celle des élèves. Ils sont traversés par ces évènements comme toute notre société et comme ils sont beaucoup plus sensibles, beaucoup moins armés et cultivés, ils se servent de tout ce qui passe pour tenter de se repérer. Selon ce proviseur, les incidents comme le port de signes religieux, ou les problèmes de communautarismes et les manifestations de racisme sont des signes d’alerte de quelque chose qui dépasse singulièrement la question de savoir s’il faut ou non tolérer le voile.

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Au vu de l’ensemble de ces faits, de ces témoignages et de ces analyses, la très grande majorité des membres de la mission d’information a estimé qu’une loi est nécessaire - même si elle n’est pas suffisante - et qu’il faudra l’appliquer avec souplesse. Une loi rappelant les exigences de la laïcité à l’école ne pourra, en effet, n’être que plus protectrice et émancipatrice que la situation juridique qui prévaut actuellement.


Source : Assemblée nationale française