Le rapport qui nous est soumis est le reflet fidèle des auditions et des impressions ressenties par la majorité, voire la totalité des membres de la mission.

Pour autant, et même si j’approuve le Président Debré dans l’essentiel de ses affirmations, notamment lorsqu’il dit que le Parlement n’a pas à se justifier de légiférer, je ne partage pas les conclusions du rapport.

Le débat sur la laïcité, d’une manière générale, et à l’école publique en particulier se pose aujourd’hui, dans des termes différents qu’en 1905. Cependant, l’équilibre qui s’est institué progressivement est délicat, et tout geste qui tendrait à le remettre en cause constitue un danger potentiel pour l’équilibre de notre société. La laïcité n’est pas négociable, affirmait le Président de la République, et il avait raison mais s’il doit y avoir laïcité de l’État, la société, elle, n’est pas laïque.

Or, l’école n’est plus un milieu protégé. N’a-t-on pas coutume de dire qu’elle est la « caisse de résonance » des problèmes de la société ?

Le voile auquel ne doit pas être réduit le port des insignes religieux à l’école, ne peut être considéré comme un simple signe d’appartenance religieuse. De très nombreux interlocuteurs, au premier rang desquels Mme Chérifi, médiatrice nationale pour le problème du voile, nous ont répété qu’il n’était pas un signe religieux, puisqu’il n’y a pas de signe religieux dans l’islam. Alors à quoi bon interdire les signes religieux ou politiques, dès lors que l’on nous affirmerait demain que son port n’a pas de signification religieuse ou politique et qu’en conséquence son interdiction n’a pas lieu d’être ?

Une loi pour être la loi doit être respectée. En a-t-on dans ce domaine le pouvoir ? Je suis convaincu que la liberté de toute personne est un bien indivisible ; ses convictions quelles qu’elles soient doivent être respectées et laissées libres de s’exprimer pourvu qu’elles ne limitent pas la liberté d’autrui et ne troublent pas l’ordre public.

Or, c’est à l’école que doivent s’apprendre aussi la tolérance, le respect d’autrui, l’écoute des autres, le droit à la différence. On ne s’inquiète pas assez de la dictature des « marques » ou des « modèles de société », véhiculée par les modes vestimentaires (nombrils à l’air, strings visibles, piercings visibles). N’y a-t-il pas dans tout cela des expressions qui jouent sur le moral de la nation ou sur la vie de la société bien plus profondément que les expressions « religieuses » ?

Dans une école, lieu d’apprentissage de savoir et de comportement, que beaucoup rêvent égalitaire, n’y aurait-il pas lieu d’établir une première forme d’égalité sociale avec le port d’une tenue, non obligatoirement assimilable à l’uniforme ringard d’autrefois, mais qui pourrait être au contraire un objet de fierté pour les jeunes par rapport à leur établissement ? On imagine en regardant l’exemple des compétitions sportives le résultat qu’on pourrait en tirer.

Je regrette que la mission n’ait pas suffisamment exploré cette piste avec le présupposé que notre culture nationale exclut d’emblée ce qui est pourtant, aux yeux de certains, une solution.

En résumé, la loi ne me paraît pas être la solution, car elle signifie pour une part le rejet, l’exclusion, la stigmatisation. Comment ne pas voir le risque que prendrait la République de faire des « martyrs » en s’opposant à une pratique « religieuse » pour certains, identitaire pour d’autres ?

Si j’établis des degrés dans mon refus de la loi, la disposition législative à l’intérieur d’une loi consacrée à l’Education rappelant un certain nombre de principes me paraît moins dangereuse qu’une loi spécifique qu’il faut éviter absolument. Mais dans ce cas le rappel des principes républicains dans le code de l’Education ou dans un livret pratique comme l’envisage le ministre de l’éducation nationale n’est-il pas suffisant ?

En revanche, l’absence de distinction entre le port « ostentatoire » et le port « ordinaire », même si cela paraît plus simple pour une éventuelle interprétation ne me paraît pas justifiée. L’ostentation a, de toute évidence, une autre signification que celle d’un port discret et cette piste me paraît être une fausse bonne idée, dangereuse potentiellement pour les libertés individuelles.

A l’évidence, toute autre disposition qui mettrait en cause le caractère propre - reconnu par la Constitution - de l’enseignement privé sous contrat ne me paraît pas admissible. Mais je ne fais que le rappeler, compte tenu de l’abandon total de cette proposition par la mission.

Enfin, puis-je souligner que nous avons une Histoire spécifique à notre pays. Si la laïcité - conçue comme une philosophie de tolérance, de neutralité et non comme un instrument idéologique de combat - est aujourd’hui un des principes fondateurs de la République, nous avons des racines spirituelles, culturelles, judéo-chrétiennes. Nous aurions tort de vouloir les méconnaître et les ignorer.

Pour toutes ces raisons, je m’abstiendrai dans le vote du rapport qui nous est proposé.


Source : Assemblée nationale française