(procès-verbal de la séance du jeudi 28 novembre 2002)

Le président Pascal CLÉMENT : Vous présidez actuellement la cob, autorité administrative indépendante en vertu de l’article L. 621-1 du code monétaire et financier. Jusqu’à une période récente, vous présidiez le cmf, autorité professionnelle dotée de la personnalité morale sur le fondement de l’article L. 622-1 du code monétaire et financier. Quel sera le statut de la future amf ? Quelle culture, publique ou privée, cob ou cmf, devrait y prévaloir ? S’agissant de la composition de la future autorité, certains à l’exemple des responsables de l’Association française de la gestion financière, s’inquiètent d’y voir une prépondérance des émetteurs, comme c’est le cas pour la cob, c’est-à-dire du sell-side, au détriment du buy-side, c’est-à-dire des représentants des investisseurs. Quelle est votre position sur le sujet ? Comment voyez-vous le rôle de la future amf. Sera-t-elle d’abord un organe régulateur ou bien un organe policier, au risque de se couper du monde des affaires ? Jouera-t-elle au premier chef un rôle prudentiel de prévention du risque systémique ou bien un rôle de contrôle de la bonne conduite des acteurs du marché ? Que pensez-vous des propositions émises par certains de voir la future amf fusionner avec d’autres régulateurs, tels que la Commission bancaire ou le Comité des établissements de crédit et d’entreprises d’investissement ? N’y a-t-il pas quelque paradoxe à mettre en place en France un organisme qui, dans sa philosophie, évoque la sec américaine, au moment même où celle-ci se trouve discréditée ? Avez-vous entamé des négociations avec la cette dernière sur l’application extra-territoriale de la loi Sarbanes-Oxley ?

Faut-il contrôler les agences de notation, comme l’a évoqué récemment le ministre de l’Economie ? Comment concilier ce projet avec le monopole qui leur est reconnu par la sec, seule à même de leur délivrer le nrsro ? L’Europe doit-elle délivrer son propre « agrément » alors que, comme on l’a vu, la sec voit son autorité sérieusement ébranlée ? La même question se pose sur les analystes qui, pour le coup, sont encore moins contrôlés que les agences de notation, aux mains des émetteurs qui plus est, c’est-à-dire ne prenant en compte que les intérêts du sell-side au détriment du buy-side. Comment contourner le problème de la surrémunération de ces analystes ? Enfin, je poserai la même question sur les banques d’affaires, sur lesquelles l’actualité toute récente (LVMH/Morgan Stanley/Gucci) appelle notre attention. À l’heure où le législateur s’apprête à prévenir les conflits d’intérêts pour les commissaires aux comptes par exemple, n’y a-t-il pas quelque paradoxe à laisser les banques d’affaires en situation manifeste de conflits d’intérêts ? Doit-on s’en remettre au seul droit commun de la responsabilité ?

Le président du comité des comptes d’Enron était l’un des plus éminents professeurs de Stanford. Comment faire en sorte que la règle de droit garantisse au mieux la sécurité financière et, in fine, la confiance des investisseurs ? L’un des principaux cabinets d’audit français traverse actuellement une période de turbulences telles que la compagnie nationale des commissaires aux comptes et la cob se sont saisies du dossier. En quoi le projet de loi sur la sécurité financière sera-t-il à même de régler les conflits d’intérêts entre les responsables de la doctrine comptable de ces cabinets et les auditeurs chargés d’intervenir chez des gros clients ?

M. Jean-François LEPETIT : J’ai récemment rendu une visite de courtoisie à M. Jean-Louis Debré, qui a évoqué le fait que les problèmes qui se posaient sur les marchés financiers ne constituaient pas toujours le centre des préoccupations des députés. À écouter la liste de vos questions, je crois pouvoir dire que ce n’est pas le cas. La première porte sur l’équilibre entre secteur public et secteur privé au sein des autorités de régulation. La loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières (maf) était extrêmement bien faite et a parfaitement organisé la séparation des missions du cmf, organisme de type professionnel, et celles de la cob, organisme public. Le cmf a en charge les marchés eux-mêmes, Euronext, mais aussi les marchés de gré à gré, interprofessionnels, les prestataires, leurs règles de bonne conduite, les opérations, telles que les offres publiques. Les personnes compétentes pour exercer ces missions devaient avoir une bonne connaissance de ces questions et leur recrutement suffisamment diversifié pour que les différentes préoccupations des acteurs du marché soient représentées autour de la table du Conseil et dans les services. La loi maf a réalisé cette alchimie, dans un juste équilibre, intégrant notamment au sein du collège un représentant de la banque de France et un commissaire du gouvernement pour assurer la liaison avec l’autorité délégante. La cob, de son côté, a alors conservé ses missions traditionnelles, que je qualifierai de police administrative.

Dans ce contexte, pourquoi faut-il changer un système qui fonctionne ? Il faut le changer dans la perspective des évolutions nationales et européennes, voire mondiales. Les marchés sont désegmentés à tous les niveaux. Puisque tous les marchés, les intermédiaires, les épargnants, se trouvent tous dans un ensemble unifié, il apparaît logique que la régulation s’applique de manière unifiée. Le marché, il y a quinze ans, était composé des professionnels d’un côté, des épargnants et des émetteurs, de l’autre. Il était organisé sur le fondement d’une intermédiation boursière et bancaire. Il était cohérent dans ce cadre de séparer les instruments de régulation : en contrepoint des intermédiaires, s’imposait un impératif de protection de l’épargne. Aujourd’hui, les intermédiaires jouent un rôle de fluidification, mais ne sont plus des acteurs obligatoires et exclusifs, le contrôle de tous les acteurs devient une mission générale. En outre, si la question d’une cob européenne se pose, il faut anticiper le mouvement et ne pas hésiter à réunifier les autorités de régulation nationales. Lorsque la France participe aux réunions des régulateurs d’Euronext, elle est représentée par deux personnes, alors qu’elle trouve chez nos partenaires un seul interlocuteur. Ce n’est pas de bonne méthode.

Faut-il un seul régulateur pour toutes les autres activités ? Faut-il unifier l’autorité de marché avec les autorités de contrôle prudentiel bancaire ? Les ministres de la justice et de l’économie ont exprimé leur volonté de conserver deux piliers et de séparer régulation prudentielle et régulation boursière. Dans les pays voisins, il est vrai que l’organisation actuelle ou potentielle va plutôt dans le sens d’un seul régulateur. Cette position a un sens : les marchés sont globaux, désegmentés. Mais cela ne me paraît pas souhaitable aujourd’hui. La régulation prudentielle est un sujet ancien, qui s’est posé parce que les intermédiaires financiers ont depuis longtemps une activité mondiale. Très vite, les régulateurs se sont demandés comment contrôler ces ensembles internationaux. À partir des normes définies à Bâle, une unification de la régulation et de la supervision s’est progressivement mise en place depuis le milieu des années 70. Le besoin d’harmonisation et de concentration des marchés financiers, commandé par les mêmes nécessités que dans le secteur bancaire, n’est apparu que relativement récemment. Ce mouvement apparaît cependant extrêmement complexe, parce qu’il doit prendre en compte le cadre juridique de chacun des pays. On ne change pas les règles nationales boursières comme on change les règles prudentielles définies pour les banques. Il ne suffit pas de réunir les directeurs de banques centrales à Bâle. Il existe donc deux types de problématiques juridiques distincts et le secteur bancaire a pris quinze ans d’avance sur le secteur boursier. Dans le rythme et la complexité de l’unification du système bancaire, d’une part, et du système boursier, d’autre part, il existe donc des différences. Nous n’en sommes qu’à une première phase de la régulation boursière. Il convient donc de commencer à traiter la question de l’harmonisation des règles boursières, avant de créer éventuellement un seul régulateur.

La cob et le cmf vont fusionner au sein de l’amf. Celle-ci devra avoir les qualités des deux autres. Le fait que la loi de 1996 a été bien faite rend paradoxalement plus difficile le renouvellement de l’exercice de fusion d’autorités. Les deux institutions fonctionnent bien. Nous allons faire en sorte qu’un équilibre se fasse dans la convergence. Le comité de pilotage de la fusion devra trouver un équilibre entre les compétences de chacune. Quant aux caractéristiques des membres du Collège et des services, la pratique de la régulation n’est pas liée avec l’origine professionnelle des membres, l’essentiel est la compétence. Ce qui compte, c’est de bien les sélectionner.

Le président Pascal CLÉMENT : Il existe cependant des réflexes culturels différents au sein de chaque institution.

M. Gérard RAMEIX : Les services de la cob disposent de personnalités qui viennent de l’intermédiation, de la comptabilité.

M. Jean-François LEPETIT : Il faut que les gens aient des cultures différentes. Plus vous avez de gens différents autour de la table du collège, meilleur sera le consensus. C’est comme cela que fonctionne le cmf. La compétence est respectée. Dès lors que quelqu’un s’exprime, qu’il soit professionnel ou magistrat, il ne peut dire n’importe quoi. Avoir l’air de défendre un point de vue corporatiste, c’est risquer une perte de crédibilité personnelle. La résolution des problèmes techniques boursiers n’appelle pas le corporatisme et le rapport de forces. Il faut organiser la diversité. Ce n’est pas l’autorégulation. Le débat public/privé n’est pas la vraie question. S’agissant de la représentation, au sein de la future autorité, du sell-side et du buy-side, les investisseurs ont toujours été représentés dans le collège de l’une et l’autre des institutions actuelles, directement ou indirectement. La présidente actuelle du cmf est elle-même issue d’une société de gestion. Dans le collège de l’amf, la représentation du buy-side est prévue et justifiée. La gestion relève clairement du domaine de la cob et de la future amf. Mais il ne faut pas que la composition de cette dernière réponde à des soucis de représentation « syndicale » ou corporatiste. L’amf ne devra pas être ce que n’a jamais été la cob ou le cmf, c’est-à-dire un endroit où les représentants de tel ou tel groupe d’acteurs représentent et défendent les intérêts de leurs mandants. Il faut que toutes les sensibilités soient présentes. L’unité collégiale légitime les décisions et exige que les personnalités soient d’abord représentatives d’une compétence et d’une expérience.

M. Gérard RAMEIX : La cob est dotée de commissions consultatives. Mais il ne faut pas tomber dans le lobbying. En ce qui concerne le double rôle régulateur et disciplinaire de la future autorité, on peut relever que, depuis le décret du 1er août 2000 (16), la séparation entre les fonctions de président et de directeur général, responsable des enquêtes, a été organisée. Lorsqu’un rapport d’enquête est terminé, je saisis le collège pour transmission (ou non) au parquet et le président s’il m’apparaît nécessaire de désigner un rapporteur. Le régulateur doit assurer les deux missions. La création de l’amf ne doit pas se traduire par une diminution de la capacité d’enquête ou par une diminution de la compétence des enquêteurs. La tendance est au renforcement des pouvoirs d’enquête. La compétence régulatrice est centrale et l’image du gendarme n’épuise pas le rôle du régulateur. Il faut trouver au sein de l’amf un équilibre entre une fonction répressive - l’avant-projet de loi sur la sécurité financière prévoit à cet égard la création d’une commission des sanctions spécifique (celui qui prononce la sanction administrative ne doit pas avoir participé à l’enquête) - et les pouvoirs de régulation. Il existe une indéniable interaction entre ce qu’on découvre dans les enquêtes - ce ne sont pas toujours des irrégularités, mais parfois des inadaptations de réglementation -, et la définition et l’adaptation de la réglementation. Les deux fonctions doivent être présentes à parité.

M. Jean-François LEPETIT : La nouvelle institution devra avoir les moyens d’exercer son rôle qui sera extrêmement complexe. Le marché est fluide entre les différents pays, des directives organisent la mise en concurrence de tous les intermédiaires et de toutes les bourses. Le régulateur, face à cela, ne peut être que perplexe. Compte tenu des besoins qui se feront sentir face à l’intégration européenne, il faudra que l’amf ait des moyens renforcés par rapport aux moyens des deux institutions existantes.

Une révolution s’opère sur les marchés depuis quelques années. Les investisseurs, et notamment les investisseurs institutionnels et collectifs, sont en mesure de prendre de nouveaux risques du fait de la déréglementation générale des marchés, et notamment de prendre des risques de crédit, ce qui est la logique de leur action depuis très longtemps, mais aujourd’hui, ils le font dans des proportions inédites, soit sous forme de nouveaux instruments de dettes (créances négociables...), soit sous forme de produits dérivés de crédits. Ces produits sont en train d’être encadrés ; un décret en cours de publication va ainsi encadrer la capacité des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (opcvm) à intégrer des risques de crédit dans leurs produits. Le régulateur doit s’assurer que les gestionnaires ont la capacité de faire de tels choix, alors qu’on avait tendance à penser, dans le passé, que cela devait rester l’apanage des professionnels du crédit. Dans ce contexte, les agences de notation prennent un relief considérable. De quels moyens disposent les investisseurs institutionnels ou les gérants d’opcvm pour juger de la qualité d’un crédit ? Le banquier sait que, grâce à son métier, aux relations avec son client et la nature même de ses relations, il dispose d’une capacité de jugement forte. Un investisseur ne dispose pas de ces relations ni de cette information. Il doit donc s’appuyer sur d’autres sources : les travaux des analystes, les informations publiques. Il y a là une certaine asymétrie entre le métier de banquier et celui d’investisseur. L’agence de notation apparaît capitale dans ce contexte. C’est pour cela qu’elle existe depuis trente ou quarante ans aux États-Unis. Lorsqu’une dette de société est dégradée, tout le monde en tire des conclusions considérables. Mais il existe aussi une forte corrélation entre le marché du dérivé de crédits et le marché des actions. Si une volatilité apparaît sur le cours d’un crédit, mathématiquement, cela se traduira par une volatilité du titre action, ce qui pose des problèmes aux marchés. Dans ce contexte, ceux qui comme les agences de notation déclenchent des comportements deviennent des acteurs à part entière du marché. La logique, de notre point de vue, est d’en tirer des conséquences en termes de contrôle. Il y a plusieurs degrés d’intégration des agences dans le champ de compétences du régulateur : à tout le moins, comme tout professionnel du marché, elles doivent avoir un code de bonne conduite, ce qui relève de l’autorégulation. Je n’ignore pas que la profession dispose de règlements intérieurs, mais ils ne correspondent pas à des règles publiques communes. Dans la logique de son action, le régulateur pourrait approuver ces règles et leur donner une valeur supplémentaire, dont le respect peut être contrôlé. On pourrait toutefois aller plus loin et imposer un agrément du régulateur au vu d’un programme d’activité. Aujourd’hui, il n’y a que trois agences de notation et leur régulation doit être envisagée au niveau mondial.

Les analystes financiers relèvent de la compétence du cmf pour l’exercice de leur métier et de la cob pour les informations publiées. Dans une certaine mesure, les analystes ne sont pas des professionnels comme les autres. Il faut les réguler spécifiquement. Le cmf, dès avant le scandale « Enron », a entamé une réflexion sur cette question et mis en place un groupe de travail permettant la concertation avec la Société française des analystes financiers (sfaf). Il a pris, en avril 2002, une série de textes définissant des règles de bonne conduite et imposant des cartes professionnelles. Je suis heureux que les États-Unis nous suivent sur ce chemin. Nous n’avons pas forcément besoin d’une loi. Les problèmes sont-ils tous résolus dans ce domaine ? La réflexion doit probablement se poursuivre. Mais il ne faut pas le faire dans l’urgence. Comment imaginer que les analyses fournies par ces professionnels ne soient pas subjectives ? Le marché doit s’éduquer progressivement. Un vendeur est un vendeur. Un argumentaire de vente reste un argumentaire de vente. Nous avons fait quelques pas dans la réglementation. Ainsi, un analyste ne doit pas franchir la muraille de Chine, sous peine de se disqualifier. Nous exigeons aussi que la couleur soit affichée : chacun doit dire pour qui il travaille et par qui il est rémunéré. La transparence doit s’imposer.

La question des conflits d’intérêts au sein des banques d’affaires se pose également. Dans ce secteur également, il faut des règles strictes, de transparence, sur le rôle de chacun. Mais on ne peut refaire la loi Glass-Seagall de 1933, qui séparait banque de dépôt et banque d’investissement. Le crédit est aujourd’hui dans le marché. Il y a un continuum total dans le rôle du marché. On ne peut plus séparer la fonction de lever des ressources de la fonction de marché. Chaque acteur doit dire quel est son rôle et s’interdire de franchir certaines frontières, sous peine d’être sanctionné. On peut interdire le double rôle. Ainsi, les commissaires aux comptes ne devront pas faire à la fois du conseil et de l’audit. Cependant, il faut que les règles soient assez claires et strictes pour ne pas être contournées. D’ailleurs si un commissaire affiche la couleur et déclare qu’il fait à la fois du conseil et de l’audit, l’émetteur ne lui donnera pas de mandat. La même règle vaut pour les banquiers d’affaires. Les règles de marché devraient assurer la transparence. La loi Sarbanes-Oxley nous rattrape, ce qui veut dire qu’on était devant, alors même qu’auparavant certains disaient que nous étions trop rigides.

Le président Pascal CLÉMENT : Puisque le banquier est le seul à disposer d’informations particulières sur le client, dans quelle situation se trouve-t-on lorsque la banque joue aussi le rôle d’une banque d’investissement ?

M. Jean-François LEPETIT : Il existe deux métiers distincts. Je l’ai moi même expérimentée dans mon passé de banquier à la BNP. D’un côté, le banquier fait du crédit. De l’autre, il place du papier ou conseille les investisseurs sur le papier. Il est clair qu’il faut un Chinese Wall entre les deux. Pour prendre l’exemple des banques françaises, jusqu’au président, la déconnexion est totale. Ainsi, la BNP possède un pôle retail dirigé par un directeur général, sous la responsabilité duquel se trouvent toutes les divisions qui correspondent aux activités de banque de détail. Elle possède, par ailleurs, sous l’autorité d’un autre directeur général, un pôle investment bank, qui décline tous les métiers de placement de titres divers et variés, de trading... Au niveau du président, il y a un conflit certain, mais les questions qui se posent à lui n’entrent pas dans les détails des opérations. Les cultures sont tellement différentes et les différences d’objectifs et de rémunérations sont telles qu’il y a presque une différence de classes, qui fait que les deux ne se mélangent pas.

M. Gérard RAMEIX : Le conflit se situe plutôt entre le soutien à une opération particulière qu’un banquier monte et le placement par ce même banquier de titres relatifs à cette opération.

M. Jean-François LEPETIT : Là, en effet, il faut gérer le conflit. Il faut probablement assurer avant tout la transparence. Dans la note d’information visée par la cob, se trouvent les noms des banquiers d’affaires. Chacun peut donc se garder de prendre des titres éventuellement conseillés, par ailleurs, par ces banquiers

M. Gérard RAMEIX : La cob impose la publicité du nom de tous les banquiers conseils lors de chaque opération, en particulier pour les opérations qui concernent les sociétés cotées depuis moins de trois ans. Ces banquiers certifient qu’ils ont fait toutes les diligences sur le dossier. Ce n’est pas une révolution ; les textes antérieurs exigeaient déjà un dossier complet. Mais la cob a souhaité faire peser une responsabilité plus précise sur les intermédiaires. Concomitamment, le cmf a revu la déontologie des analystes en prenant des mesures très importantes. Une carte professionnelle est désormais délivrée à chaque analyste. Tout analyste qui passe d’un métier sell-side à celui d’expert assistant le banquier qui monte un dossier d’opération se trouve sous la surveillance du déontologue et ne peut exercer que dans des conditions très strictes.

M. Jean-François LEPETIT : Si un analyste financier annonce que telle opération vaut la peine. S’il appartient à la banque chef de file de l’opération, les investisseurs n’auront pas de mal à considérer que le conseil est biaisé.

Le président Pascal CLÉMENT : Dans l’affaire LVMH-Morgan Stanley-Gucci, quelle exigence de transparence pouvait-on attendre ? Est-ce que les protagonistes ne savaient pas quels étaient les conseils des différents acteurs ?

M. Jean-François LEPETIT : Je pense que cela était de notoriété publique. Quand les grands émetteurs disent que ce sont les agences de notation qui ont mis la pagaille dans leur titre, je me pose de questions. En effet, c’est la société qui a décidé de prendre le risque de tel ou tel investissement hasardeux. Si cela crée des difficultés, c’est le fait d’abord de la société. Il faut bien dégrader les sociétés dont la situation serait plus fragilisée et ce n’est pas la faute des agences de notation.

Le président Pascal CLÉMENT : Souvent, l’agence met trop de temps à dégrader la société. Dans le cas de Vivendi, d’une part, les agences ont mal apprécié la santé de la société ; d’autre part, lorsqu’elles ont constaté l’état réel de la société, elles ont accentué la tendance.

M. Jean-François LEPETIT : D’où l’intérêt de se pencher sur les méthodes de travail des agences. Si les agences de notation disposent d’informations particulières, privilégiées, le régulateur doit s’en occuper. Mais je n’ai pas de solution toute faite. Il faut que tout cela rentre dans le champ de compétence du régulateur d’une manière ou d’une autre. C’était plus simple hier. La population des investisseurs institutionnels était très limitée et ces derniers ne faisaient que vendre du commercial paper aux États-Unis. Aujourd’hui, les agences jouent le rôle de phare pour un nombre très important des investisseurs et pour de très nombreux produits.

Je souhaite revenir sur la question des compétences au sein des autorités de régulation. Certains ont pu stigmatiser le fait que certains chefs de service du cmf et de la cob, issus de la direction du Trésor du ministère de l’économie, ont été engagés par des sociétés cotées, sans qu’une période de latence soit respectée. Il faut relativiser ce jugement. Il est certain que la future autorité doit disposer de talents. Ils doivent venir de tous horizons. Il ne faut pas que nous pensions qu’il y a d’un côté le public et de l’autre le privé. Ma propre carrière est atypique : j’ai été régulateur et banquier pendant quinze ans. Je suis en fin de carrière. Mais, pour certains, il est très difficile de réexercer des fonctions occupées antérieurement à leur passage chez un régulateur. Nous souhaitons que l’amf ait la personnalité morale. La Chancellerie craint que répondre à ce souhait n’incite l’ensemble des autorités administratives indépendantes (aai) à réclamer la personnalité morale. Je considère que la référence aux aai ne veut rien dire pour l’amf. En effet, les aai sont des autorités originales, ad-hoc instituées pour réguler des secteurs en transition après des opérations de privatisation. Or, l’amf est une autorité incontournable et nécessaire de régulation des marchés financiers. C’est une structure permanente nécessairement insérée dans un dispositif européen ou mondial. Cela veut dire que son statut doit lui permettre d’assurer sa mission dans un cadre européen et mondial. Si elle ne constitue qu`un simple démembrement de l’État, l’autorité ne s’imposera pas sur le marché. L’indépendance se joue à ce niveau là également.

M. Gérard RAMEIX : Il est absolument nécessaire de pouvoir recruter des personnes qui viennent du marché. La cob, progressivement, a acquis une autonomie financière et juridique importante, sans aller jusqu’à la reconnaissance de la personnalité morale. Elle a la capacité d’ester en justice et conduit une politique de communication autonome. Pour conserver et conforter cet acquis, il faudrait que l’amf soit une personne morale de droit public.


Source : Assemblée nationale française