(procès-verbal de la séance du jeudi 12 décembre 2002)

Le président Pascal CLÉMENT : Le 22 novembre dernier à l’occasion du congrès national des tribunaux de commerce, le ministre de la justice a annoncé l’abandon de la réforme des tribunaux de commerce visant à introduire une mixité des juges. Reste que, au-delà de cette question précise sur le statut des juges, bien d’autres points restent en débat, sur lesquels de nombreuses améliorations peuvent être apportées. Ainsi, comment garantir un recrutement efficace et pertinent des juges ? Comment instaurer une procédure garantissant la totale impartialité des juges ? Quelle formation pour ces juges, sachant qu’existe en la matière une claire ligne de partage entre Paris et les autres villes françaises ? Notamment, comment instaurer une formation obligatoire qui satisfasse l’ensemble des acteurs (rappelons qu’un groupe de travail a été mis en place à la Chancellerie pour travailler sur ces questions) ? Comment renforcer les règles déontologiques des juges ? Pouvez-vous à cet égard nous expliquer votre démarche et nous présenter le rôle de la charte que vous avez signée avec le medef en octobre, intitulée Pour une justice consulaire de qualité ? Pensez-vous que les réformes des tribunaux de commerce doivent être prises avant ou après la grande réforme du droit des procédures collectives annoncée par le garde des sceaux ? À ce sujet, quels vous semblent être les points de notre droit qu’il faille réformer ? S’agissant enfin de la réforme de la carte des tribunaux de commerce, quel jugement portez-vous sur l’annonce du Garde des Sceaux, selon laquelle 15 à 20 tribunaux seraient fermés sur les 191 existant sur notre territoire ?

M. Gilbert COSTES : Personnellement, je serais favorable au maintien d’un seul tribunal dans certains départements. Il faut progressivement supprimer les tribunaux qui n’ont pas d’activité suffisante ou les moyens de fonctionner de manière satisfaisante. La Conférence générale des tribunaux de commerce l’a d’ailleurs dit publiquement.

Souvent, les juges se voient reprocher leur inefficacité dans les procédures collectives, parce que 5 % seulement des entreprises se trouvent en situation de redressement définitif. C’est injuste, car les juges ne sont en aucun cas responsables de cette insuffisance, qui est plus liée aux textes, à améliorer, qu’à l’intervention judiciaire.

La réforme des mandataires de justice est consensuelle. L’accès à cette profession doit enfin être rendu plus ouverte. La profession doit rester unique, mais être plus encadrée. Près de 50 000 entreprises déposent leur bilan tous les ans : ce sont donc de nombreux salariés qui sont concernés, et de nombreux comptes à clôturer : cela exige un savoir-faire et le respect de règles déontologiques strictes.

Sur la protection des créanciers, à Paris, il existe un site (www.actifsjudiciaires.org) qui permet de recenser l’ensemble des actifs à céder dans les procédures collectives, ce qui représente un très grand progrès d’information de ceux qui veulent acquérir un bien, un fonds de commerce ou une entreprise. L’ensemble des mandataires et liquidateurs doivent adhérer à cette démarche : il suffirait de développer ce modèle hors de Paris, en obligeant les mandataires à inscrire tous les actifs à vendre. Le marché doit être transparent et le mandataire ne doit pas choisir ses repreneurs en fonction de ses propres critères.

La rémunération des mandataires est déséquilibrée. Certains ont des rémunérations très importantes qui sont proportionnelles aux actifs inclus dans un dossier. Il faut revoir cette rémunération, injuste pour les créanciers qui perdent une partie de leurs créances, pour les débiteurs qui perdent tous leurs biens et par rapport à d’autres mandataires qui ont trop de dossiers impécunieux pour faire vivre leur étude.

Le président Pascal CLÉMENT : Si cette rémunération est diminuée, cela va tuer les plus petits.

M. Gilbert COSTES : Mais ceux-ci doivent pouvoir bénéficier d’une rémunération mieux sécurisée et équilibrée par rapport à l’activité déployée sur les dossiers gérés. Il existe trop d’actes gratuits, comme certaines enquêtes par exemple. Or parfois des tribunaux de commerce, sur un rapport d’enquête trop léger, car non rémunéré, sont amenés à déclarer une entreprise en liquidation sans information suffisante surtout s’il y a carence du dirigeant. Il faut donner aux mandataires les moyens de faire leur travail. La loi ne prévoit pas la rémunération de tous les intervenants. Le président peut convoquer un chef d’entreprise qui est en difficulté. Qui va payer les enquêtes demandées ? Qui va payer les frais supplémentaires du tribunal ? Dans les procédures collectives, les fonds déposés à la Caisse des dépôts et consignations non employés, non rémunérés ( ?), pourraient pallier ces besoins.

Par ailleurs, la prévention doit être développée. Les entreprises en difficulté le sont souvent depuis plus d’une année ; les interventions plus en amont du juge sont à l’évidence plus efficaces.

Au total, s’agissant du droit des procédures collectives, trois améliorations immédiates doivent intervenir : le statut des mandataires (y compris, leur rémunération), la prévention qui permettrait naturellement de sauver plus d’entreprises, et une meilleure commercialisation des actifs à céder, dans l’intérêt des créanciers et du débiteur.

M. Xavier de ROUX : Seriez-vous favorable à une liste nationale des mandataires ?

M. Gilbert COSTES : J’y suis favorable. Les procédures collectives sont des procédures économiques. L’objectif est de sauvegarder les entreprises, les emplois et les intérêts des créanciers. Il faut aller jusqu’au bout de cette logique. Comment mieux vendre les actifs des entreprises en difficulté ? Il faut donner les moyens aux acteurs d’agir économiquement et sortir la procédure collective de son carcan administratif et répressif. Pourquoi le Trésor, serait-il plus privilégié que les autres créanciers ? Je conçois que la créance salariale soit favorisée ; en revanche, je ne comprends pas pourquoi d’autres créanciers privilégiés sont mieux protégés que les créanciers chirographaires. Dans le domaine des garanties, une réforme est nécessaire.

M. Philippe HOUILLON : Les honoraires des avocats ne sont pas privilégiés.

M. Gilbert COSTES : S’agissant de l’encadrement du juge, trois points doivent être mis en avant : le recrutement, la formation et la déontologie.

Sur le premier point, on a souvent accusé les tribunaux de commerce de pratiquer la cooptation. Dans certaines villes, et notamment à Paris, il existe l’exemple du CIEC : sélection du candidat sur un dossier (casier judiciaire vierge, pas en difficulté économique, contrôle de sa maîtrise de l’expression écrite et orale). Il faut diffuser ce système sur tout le territoire. Il faut initier et préparer les juges à leurs fonctions. Si on ne trouve pas suffisamment pour un tribunal de juges consulaires formés, il faut réfléchir à un système de mixité subsidiaire ou supprimer la juridiction.

Sur le deuxième point, il faut passer d’une formation facultative à une formation obligatoire. À Paris, trois mois de formation accélérée sont prévus, à raison de 50 heures au minimum. Les acquis de cette formation sont vérifiés et validés par deux épreuves (questionnaire à choix multiple, rédaction d’un jugement).

En tout état de cause l’État doit prendre en charge directement ou indirectement le financement du recrutement et de la formation des juges consulaires.

Sur le troisième point, les règles déontologiques applicables sont, aujourd’hui, des règles générales applicables à l’ensemble des juridictions. Il faut créer un statut spécifique du juge consulaire, dont un conseil supérieur garantirait l’efficacité et la fiabilité. Il existe un projet élaboré en concertation avec la Chancellerie. Il n’y a qu’à le faire aboutir. Je préférerais que la loi lui donne force obligatoire.

On a reproché aux tribunaux de commerce de ne pas suffisamment maîtriser les procédures collectives. Il faut accentuer le pouvoir judiciaire dans le cadre de la prévention.

Il faut réformer la carte des chambres de commerce. Une par département suffirait sans doute dans plusieurs cas.

M. Xavier de ROUX : Quel est le budget du tribunal de commerce de Paris ?

M. Gilbert COSTES : Ce budget atteint 600 000 euros environ. La justice consulaire coûte 5 euros par décision. Trois postes ne sont pas financés : la représentation du tribunal, aujourd’hui à la charge du président, la prévention et la formation. Il n’y a pas de budget spécial pour former les juges consulaires. Les juges sont bénévoles et leurs décisions confirmées dans plus de 95 % des cas. La justice consulaire n’est pas tombée, malgré le feu nourri des critiques, parce qu’elle reste efficace (les statistiques le prouvent) et particulièrement fiable. Il faut supprimer les tribunaux qui ont très peu d’activité ou pas assez de juges formés et sanctionner les « brebis galeuses ».

Le président Pascal CLÉMENT : À Paris, quand un soupçon naît sur un juge, que faites-vous ?

M. Gilbert COSTES : En trois ans, je n’ai pas connu de cas de malversation au tribunal de commerce de Paris. J’ai connu quelques petits dysfonctionnements, sans conséquences. En matière de procédures collectives, notamment, les parquets, les avocats permettent d’éviter toute erreur grave d’appréciation éthique ou juridique.

L’appel est possible. À Paris, par exemple une entreprise avait été mise en liquidation judiciaire sur la base d’une enquête un peu faible, mais la décision a été immédiatement rectifiée sur justification apportée, tardivement hélas, par le demandeur.

M. Philippe HOUILLON : Comment, lorsqu’une liquidation est prononcée à tort, peut-on « rectifier le tir » ?

M. Gilbert COSTES : Lorsque le jugement est prononcé, il est toujours possible de faire appel ou opposition. Mais de toute évidence, la loi doit raccourcir les délais d’appel, en particulier en matière de procédure collective.

M. Xavier de ROUX : Quelles relations entretenez-vous avec l’École nationale de la magistrature (enm) ?

M. Gilbert COSTES : L’ENM dispose d’un tout petit budget au profit des tribunaux de commerce, mais pour des raisons de compétence, elle ne peut reverser ces crédits au Centre de formation consulaire de Tours. Il faudrait créer une école supérieure, -ou, faute de pouvoir lui attribuer un statut d’école, un centre national de formation-, qui organiserait les programmes avec les magistrats de carrière et des personnalités compétentes, formerait les formateurs consulaires et assurerait les formations spécialisées, pour les présidents de chambre, par exemple. Ce système doit trouver des déclinaisons régionales. Il est scandaleux de demander à 3 000 juges de rendre 1 million de décisions sans disposer de budget de formation crédible. Une faible partie des crédits de la formation continue pourrait être attribuée à la formation des juges consulaires.


Source : Assemblée nationale française