4-1 Champ d’intervention des pouvoirs publics

De l’état des lieux dressé par le Haut Conseil et des difficultés recensées que rencontre ou que pose l’Islam en France, il ressort que la place de l’Islam dans la République est indissociable de la place que la société française réserve aux musulmans, qu’ils soient citoyens français ou résidents étrangers.

Si, comme il a déjà été dit, les pouvoirs publics sont incompétents pour traiter des affaires religieuses en tant qu’elles renvoient à la liberté de conscience et au libre exercice du culte, ils ne sauraient toutefois se désintéresser des conséquences, dans l’espace public, de l’appartenance à l’Islam. Les problématiques liées, d’une part, à la nécessité de concilier l’Islam et la laïcité et, d’autre part, à l’intégration des musulmans sont donc intimement liées. Si elles déterminent le champ d’application de l’action publique, elles n’appellent toutefois pas le même type d’interventions.

En ce qui concerne l’Islam et la République, le HCI préconise que l’intervention des pouvoirs publics se décline de la manière suivante, de façon à éviter le double écueil du volontarisme d’Etat et du laisser-faire :
 dans les domaines où l’Etat est légitime à agir, doit prévaloir un devoir d’intervention ;
 dans les domaines qui échappent par nature à l’intervention de l’Etat, doit être néanmoins privilégié le souci d’accompagnement. Le Haut Conseil souligne la difficulté pour l’Etat à intervenir dans un domaine où les attentes des acteurs institutionnels comme des musulmans eux-mêmes restent encore parfois ambivalentes, naviguant, pour ces derniers, entre la demande d’intervention et la revendication d’une autonomie ;
 reste qu’en tout état de cause, dans les domaines où se joue l’intégration des musulmans en France, cet objectif doit être prioritairement poursuivi.

4-1-1 Les principes fondant la légitimité de l’Etat à intervenir

Les pouvoirs publics sont légitimes à intervenir au nom d’un certain nombre de principes fondamentaux dont le respect doit être garanti sans distinction. Ces principes fondateurs du pacte républicain sont le principe d’égalité, la laïcité ainsi que le respect de l’ordre public.

4-1-1-1 Le principe d’égalité

La République se doit de garantir au premier chef l’égalité de tous. Le préambule de la Constitution proclame que tout être humain possède des droits inaliénables et sacrés “sans distinction de race, de religion ni de croyance” et l’article 1er de la Constitution de la Ve République rappelle que la France assure “l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion”.

Le respect du principe d’égalité implique la prohibition de toute forme de discrimination. L’article 225-1 du code pénal définit une discrimination comme “toute distinction opérée entre les personnes physiques ou morales”, notamment à raison de “leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée”. Une telle définition est cohérente avec la lettre de l’article 13 du Traité de la Communauté Européenne qui vise les “discriminations fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle”. Une directive du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique a été adoptée sur le fondement de l’article 13 du traité, le 29 juin 2000.

N’entrent pas dans le champ du présent rapport les discriminations dont sont victimes les personnes de “culture musulmane” non du fait de leur appartenance religieuse mais en raison d’attitudes xénophobes. Ces discriminations qui touchent les populations étrangères ou d’origine étrangère, notamment en matière d’emploi ou de logement, sont cependant nombreuses53. Les ruptures d’égalité qui sont au coeur de la présente réflexion frappent les musulmans à la fois dans l’expression de leur foi et dans l’exercice de leur culte. C’est toute la force de la République laïque de devoir assurer, dans le respect d’une stricte neutralité, non seulement l’égalité entre toutes les religions mais aussi l’égalité entre tous les fidèles.

4-1-1-2 La laïcité et la liberté de conscience

La laïcité, et son corollaire la liberté de conscience, constituent précisément la deuxième série de principes au nom desquels l’Etat doit intervenir.

Le principe de laïcité de l’Etat s’est affirmé au début de la IIIe République : dans le domaine de l’enseignement d’abord avec les lois Ferry de 1882 et 1886 puis avec la loi du 9 décembre 1905 qui procède à la séparation des Eglises et de l’Etat. Le Préambule de la Constitution de 1946 fait de “l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés un devoir de l’Etat”. Le principe de laïcité est ensuite consacré, de manière générale, par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes duquel : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances”.

La laïcité, principe fondamental de l’organisation républicaine, se traduit par la nécessaire neutralité religieuse des services publics. Cette neutralité vaut d’ailleurs à l’égard de toute forme d’opinions ou de croyances. L’obligation de neutralisation de ses convictions par chaque agent public se justifie par la nécessité d’assurer l’égalité de traitement de tous les usagers du service public.


La neutralité de l’enseignement public

S’agissant du service de l’enseignement public, l’impératif de neutralité est renforcé par la nature même des usagers : les élèves. Le devoir de neutralité s’impose non seulement au personnel du service de l’enseignement public à titre individuel mais aussi au service dans son ensemble : c’est l’enseignement qui doit rester neutre.

Dans un récent avis (Melle Marteaux 3 mai 2000), le Conseil d’Etat a clairement énoncé la règle suivante : tout signe d’appartenance à une religion par un agent du service de l’enseignement public “dans l’exercice de ses fonctions” est un manquement à ses obligations.

Les agents et les élèves sont donc placés dans une situation radicalement différente du point de vue des implications du principe de laïcité. Aux premiers incombe la tâche d’assurer la neutralité du service ; aux seconds en revient le bénéfice afin d’assurer le respect de leur liberté de conscience.


Laïcité et liberté de conscience sont indissociables. Ainsi, la loi du 9 décembre 1905 affirme que “la République assure la liberté de conscience” et “garantit le libre exercice des cultes”. La liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République, est proclamée de manière générale et absolue à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses” et rappelée dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : “Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances”.

Notons que là encore le droit interne et les engagements internationaux de la France coïncident. L’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule en effet que : “1.Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites”.

Comme l’écrivait déjà le HCI dans son rapport de 1992 : “Conditions juridiques et culturelles de l’intégration” : “C’est dans la tension permanente entre ces deux pôles - affirmation du principe de la séparation, et protection effective d’une liberté riche de contenu - que se dessine le visage original de la laïcité en France.”

Mais là encore, l’équilibre est difficile à trouver entre la nécessaire garantie à apporter à la liberté de conscience et l’impératif qui existe à éviter toute instrumentalisation de la religion à des fins préjudiciables à l’intégration.

4-1-1-3 Le respect de l’ordre et de la santé publics

La garantie que l’Etat doit à chacun d’assurer le respect du principe d’égalité et de la liberté de conscience doit toutefois être combinée avec le respect de l’ordre public. Les textes prévoient tous de légitimes restrictions à l’exercice de ces libertés. Ces restrictions qui sont prévues par le droit national et international ne sont licites que si elles respectent les principes de proportionnalité, de sécurité juridique et d’adéquation à un but légitime.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise ainsi que la manifestation des opinions ne doit pas “troubler l’ordre établi par la loi”. De même, la loi de 1905 prévoit que le libre exercice des cultes est garanti “sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public”. L’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme énonce, dans son second paragraphe, les restrictions qu’il convient d’apporter à la liberté de conscience : “La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.”.

En ce qui concerne l’Islam, les pouvoirs publics ont donc le devoir d’intervenir, le cas échéant en s’ingérant dans les pratiques religieuses des musulmans, afin de faire respecter l’ordre et la santé publics.

4-1-2 Des domaines échappant par nature à l’intervention de l’Etat

S’il est des principes dont le respect appelle l’action des pouvoirs publics, il existe des domaines dans lesquels l’Etat ne saurait s’ingérer. Il ne peut toutefois, du point de vue de l’intérêt général, totalement s’en désintéresser.

Le pacte laïque renvoie ainsi à la sphère privée la gestion du culte à proprement parler ainsi que l’organisation des communautés religieuses.

Bien que ces questions échappent par nature à l’intervention de l’Etat, celui-ci se doit toutefois d’accompagner les musulmans, lorsque ceux-ci en font la demande, dans la recherche de solutions de nature à faciliter l’exercice de leur culte en France et la structuration d’une communauté dont l’éclatement reste préjudiciable aux relations qu’elle doit entretenir avec ses différents interlocuteurs, à l’échelon local comme au plan national.

A ce titre, il revient aux pouvoirs publics de remplir une double fonction de catalyseur et de soutien.

L’action des pouvoirs publics se décompose donc entre intervention et accompagnement. Une telle typologie est cependant sans préjudice de l’objectif que l’Etat se doit, en tout état de cause, de poursuivre : l’intégration des populations de culture musulmane.

4-1-3 L’intégration, un objectif à poursuivre

Appréhendée sous l’angle de l’intégration, la question des relations entre l’Islam et la République renvoie en effet à la place des musulmans dans la société française. Loin des modèles communautaristes, le modèle français repose sur l’indivisibilité de la République qui implique que l’intégration ne se fonde pas sur la reconnaissance de communautés devant cohabiter entre elles mais sur la participation active et volontaire à la communauté nationale de différents individus. Il ne s’agit donc pas d’intégrer des groupes dont l’identité serait définie par l’appartenance à une religion mais des individus dont la confession n’est toutefois pas sans incidence sur leurs relations avec la société française.

L’impératif d’intégration des musulmans recouvre également la part qui revient aux pouvoirs publics dans la nécessaire lutte contre l’intolérance et le rejet de l’autre. Une partie de la société française n’est pas prête à accueillir de nouvelles formes d’expression religieuse. Parce que l’Islam est majoritairement connoté comme une “religion venant de l’étranger”, parce que prévaut encore, notamment dans certains discours politiques ou certaines représentations médiatiques, la caricature qui fait de chaque musulman un islamiste et de chaque islamiste un terroriste en puissance, parce que la perception de la différence religieuse mais aussi culturelle repose parfois encore sur des approches globalisantes, un effort de pédagogie est indispensable qui permette à l’opinion publique de modifier sa perception de l’Islam, en améliorant la connaissance qu’elle doit avoir d’une religion dont le rôle au sein de la société française est appelé à s’affirmer et en encourageant le respect mutuel et la tolérance.

C’est à l’école, lieu privilégié de rencontre des cultures, que se joue en premier lieu l’intégration des jeunes musulmans en France. C’est là que l’objectif d’intégration doit être prioritairement poursuivi dans la recherche d’un équilibre entre le respect des valeurs républicaines, la prise en compte du pluralisme culturel et la recherche d’une tolérance mutuelle.

4-2 Un devoir d’intervention

La nécessaire intervention des pouvoirs publics vise, d’une part, à garantir le respect de la liberté religieuse et, d’autre part, à assurer l’ordre et la santé publics.

4-2-1 Garantir le respect de la liberté religieuse

L’Etat et les collectivités locales ont pour mission non seulement de ne pas attenter à la liberté religieuse reconnue par les lois de la République, mais aussi d’en assurer le respect effectif, sous ses trois composantes : liberté de conscience, liberté du culte, non-discrimination entre les religions.

Une neutralité absolue de l’Etat pourrait en effet contrarier les croyances individuelles. Or, les pouvoirs publics ne sauraient laisser une catégorie de personnes hors d’état de vivre conformément à sa conscience. Si l’accès au culte est moins aisé en France pour les musulmans que pour les fidèles des autres religions, et s’il y a en cela atteinte à l’égalité entre les religions, cette situation ne peut toutefois être, en raison des principes laïques, résolue par des mesures de soutien juridiques et matérielles en faveur du seul culte musulman.

Si l’on souhaitait remettre en cause une telle situation, il faudrait en effet modifier la loi de 1905 pour autoriser le soutien financier et matériel de toutes les religions, conformément au principe constitutionnel d’égalité. Un tel revirement législatif, à supposer qu’il fût souhaitable, aurait pour conséquence de remettre au premier plan les passions et les conflits récurrents que suscite dans notre pays la question religieuse. Il placerait en outre l’Islam dans la situation inédite d’une religion dont la réception en France impliquerait sinon la remise en cause du moins l’adaptation du régime juridique qui encadre, dans le consensus, les relations entre la République et les cultes depuis le début du vingtième siècle. Le Haut Conseil estime que cette voie n’est ni praticable, ni opportune.

Le Haut Conseil recommande, dans le cadre législatif actuel, d’orienter les pratiques administratives de façon à résoudre les problèmes les plus préoccupants. En vertu du principe d’égalité, ces mesures doivent être conçues comme applicables à toutes les religions sans distinction. Ainsi, comme souvent lorsqu’un problème nouveau se pose dans une matière ancienne, l’enracinement de l’Islam en France peut fournir l’occasion d’une modernisation de l’action des pouvoirs publics à l’égard des religions dans leur ensemble.

En premier lieu, les collectivités publiques doivent améliorer la prise en compte des problèmes spécifiques aux musulmans par des mesures d’organisation et d’orientation des services publics. Ainsi, les administrations centrales et locales ayant en charge des services pouvant faire appel à des aumôniers doivent inciter ces services à recenser leurs besoins dans ce domaine, et à prendre attache avec les autorités religieuses situées dans leur ressort. Lorsque, comme pour les musulmans, aucune structure ecclésiastique officielle n’est présente, les représentants de ces services doivent être incités à travailler en concertation avec les collectivités et les associations afin de pouvoir choisir des aumôniers acceptés par tous.

Dans le domaine funéraire, des instructions doivent être données aux établissements publics de santé, sur le modèle de ce que pratique l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, pour rappeler aux personnels que l’exercice du culte et le respect des rites funéraires sont des droits garantis aux patients par la loi. Des aménagements doivent être apportés aux locaux chaque fois que possible, notamment dans les chambres mortuaires pour permettre la pratique de la toilette du défunt.

Confrontées au premier chef aux problèmes que suscite l’enracinement de l’Islam et aux réactions qu’il provoque, les collectivités locales apparaissent parfois désarmées, quand elles ne font pas preuve d’une hostilité plus ou moins affichée à laquelle les considérations électorales ne sont pas toujours étrangères. Les préfets ont, dans ce domaine, un rôle essentiel à jouer en matière de conseil et de “diplomatie administrative”.

Pour pallier la mauvaise volonté des collectivités à délivrer des permis de construire pour construire les mosquées et salles de prière, il est parfois suggéré de redonner cette compétence à l’Etat, qui serait plus à même d’assurer la neutralité et la légalité des décisions d’octroi et d’autorisation. A court terme, un tel changement permettrait peut-être de débloquer quelques dossiers enlisés, mais son effet à plus long terme serait vraisemblablement négatif, les municipalités, désormais déresponsabilisées, pouvant être tentées de conforter les manifestations d’hostilité à l’égard de l’Islam et d’accentuer par là même les conflits.

Il paraît plus opportun de laisser les communes en première ligne, car ce seront elles qui devront travailler au consensus local nécessaire à la bonne intégration de l’Islam et des musulmans.

Les services de l’Etat doivent néanmoins porter une attention particulière à la question des lieux de culte, en favorisant les contacts entre les associations et les collectivités, en rappelant à ces dernières les principes de la loi, et en exerçant avec une attention particulière le contrôle de légalité des décisions intervenant en la matière. Le HCI invite les préfets à ne pas hésiter à recourir à la voie, qui leur est ouverte par la loi du 2 mars 1982 (aujourd’hui codifiée au code général des collectivités locales), de la procédure d’urgence de sursis à exécution, dans l’hypothèse d’une décision d’une collectivité décentralisée compromettant “l’exercice d’une liberté publique ou individuelle”.

S’agissant des aides des collectivités à l’édification des lieux de culte, une variante de la formule des baux emphytéotiques est parfois évoquée : à la fin du bail, l’édifice entrerait dans le droit commun des édifices publics affectés à l’exercice d’un culte (mise à disposition des fidèles ainsi que conservation et entretien par la collectivité). Mais cette solution, qui peut apparaître opportune en tant qu’elle permettrait la mise à niveau du parc immobilier musulman, n’est pas conforme aux lois de 1905 et 1908 qui ne prévoient que la mise à disposition des édifices remis aux collectivités en application desdites lois. Elle ne peut donc pas être envisagée à droit constant.

Un renforcement de la concertation avec les associations musulmanes peut également permettre d’assurer une liberté religieuse effective. L’objectif est ici de trouver des compromis sur les questions à propos desquelles des divergences parfois radicales apparaissent entre la doctrine musulmane et les lois de la République.

S’agissant des cimetières, il n’est pas possible en pratique, compte tenu de la rareté de l’espace funéraire, de remettre en cause le principe de limitation dans le temps des concessions. Il n’apparaît toutefois pas hors de propos d’exiger des communes et des agents des cimetières un “devoir de délicatesse” afin d’éviter que des tombes soient ouvertes et vidées sans même que les familles soient informées. Il revient aux services de l’Etat de sensibiliser les collectivités sur ce point. Le HCI recommande en outre de rechercher, de façon nationale ou décentralisée, les pratiques qui permettraient de préserver les principes de la foi Islamique lors de la récupération des concessions, en facilitant l’intervention d’imams, en sollicitant des autorités religieuses un avis sur les adaptations nécessaires aux principes de l’Islam, et en aménageant les ossuaires en fonction des compromis ainsi trouvés. Le ministère de l’intérieur devrait chercher à dégager un consensus sur cette question.

Le recours quasi-exclusif à la forme de l’association loi 1901 prive les structures ayant vocation à gérer un lieu de culte des nombreux avantages liés au statut d’association cultuelle de la loi de 1905 : exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les dons et legs consentis, exonération de la taxe foncière pour les propriétés bâties où sont édifiés des édifices affectés à l’exercice du culte, possibilité de voir les collectivités participer à la réparation des lieux de culte. De même, le statut de la loi de 1901 ne leur permet pas de bénéficier des déductions fiscales créées par la loi du 23 juin 1987 relative au mécénat.


Régime fiscal comparé des associations régies par la loi de 1901 et des associations régies par la loi de 1905

Impôts commerciaux (impôt sur les sociétés et TVA) :

Les deux types d’association sont soumises au même régime, qui est indifférent à la nature de l’association et s’intéresse aux seules activités. Les activités lucratives (caractérisées par la recherche d’excédents, l’usage de la publicité, et la réalisation d’actes payants à usage des membres) sont soumises aux impôts commerciaux, sauf si ces activités sont clairement subsidiaires aux activités non lucratives et si les recettes qui en sont tirées sont inférieures à 250.000 F. L’article 261-4-9° du code général des impôts exonère en outre de TVA, sous certaines conditions, les livraisons de biens et services réalisées par les associations à objet religieux à destination de leurs membres. Les activités non lucratives des deux types d’association sont exonérées des impôts commerciaux.

Taxe foncière

L’article 1382-4° du CGI exonère de taxe foncière les édifices du culte attribués à des associations régies par la loi de 1905 ou acquis ou édifiés par de telles associations. Les associations régies par la loi de 1901 ne bénéficient pas de cette exonération.

Droits de mutation à titre gratuit

Les associations régies par la loi de 1905 peuvent recevoir des dons et legs après autorisation par l’autorité administrative. Ces dons et legs sont exonérés de droits de mutation en vertu de l’article 795-10° du CGI.

Les associations régies par la loi de 1901 ne peuvent recevoir de dons et legs à l’exception des dons manuels et des dons reçus d’établissements reconnus d’utilité publique. Ces dons sont soumis au droit de mutation à titre gratuit au taux de 60%.

Mécénat

Les versements des particuliers aux associations régies par la loi de 1905 ouvrent droit à une réduction d’impôt égale à 50% du montant versé dans la limite de 6% du revenu imposable. Les versements des particuliers aux associations régies par la loi de 1901 n’ouvrent droit à aucun avantage.

Les entreprises peuvent déduire de leur résultat les versements effectués au profit des associations régies par la loi de 1905, dans la limite de 3,25 pour mille de leur chiffre d’affaires. Elles peuvent déduire les versements au profit d’associations régies par la loi de 1901 dans la limite de 2,25 pour mille de leur chiffre d’affaires.

Source : Min. de l’intérieur, Journal de la consultation des musulmans de France, n° 3.


Il n’est pas question d’imposer, en revenant au régime initial de la loi de 1905, le recours au statut d’association cultuelle. Un effort de pédagogie apparaît toutefois nécessaire afin de lever les appréhensions relatives à l’adoption d’un tel statut.

Il faut à cet égard bien préciser que l’association 1901 et l’association 1905 ne diffèrent que par leur objet et les conséquences qui en découlent. Une association déclarée en application de la loi de 1901 peut ainsi devenir une association cultuelle par une modification de ses statuts, simple formalité à effectuer en préfecture.

Il revient aux pouvoirs publics d’assurer une meilleure information des acteurs locaux afin de leur permettre de mieux opérer la balance entre ces avantages et les contraintes propres au statut d’association cultuelle.

4-2-2 Assurer l’ordre et la santé publics

Les enjeux dont traite le présent rapport, sous l’angle de l’ordre public recoupent exclusivement la question de l’abattage rituel54.

La réglementation sanitaire des abattoirs est, comme on l’a vu ci-dessus, très stricte ; le nombre d’abattoirs en France a considérablement diminué en partie à cause des coûts liés à l’application de cette réglementation. Il semble donc illusoire d’imaginer que ce nombre pourrait augmenter de façon suffisamment significative pour répondre à la demande très forte d’abattage le jour de l’Aïd-el-Kebir.

On se retrouve donc dans une situation paradoxale : les exigences de sécurité sanitaire limitent de fait la possibilité de développer l’offre de lieux d’abattage satisfaisants et leur nombre insuffisant favorise l’abattage clandestin qui échappe entièrement au contrôle sanitaire. Or, la position pragmatique des autorités locales qui tolèrent l’aménagement de sites dérogatoires ne pourra guère être longtemps poursuivie face aux pressions communautaires55.

Les marges d’amélioration sont donc très étroites. Or, la situation actuelle ne saurait persister eu égard aux risques qu’elle engendre en matière de santé publique. La coordination interdépartementale par les préfets de région est à ce titre essentielle, la solution appropriée étant de mettre en place un système de réservation par les familles d’animaux vivants dont le transport vers un abattoir départemental ou extradépartemental serait assuré par des professionnels qui prendraient également en charge, après le sacrifice, le retour des carcasses au lieu de réservation initial.

Certaines expériences locales méritent ainsi d’être étendues à d’autres régions.

Ainsi les Hauts de Seine, département urbain à forte concentration musulmane et sans abattoir, est parvenu à trouver des solutions d’équilibre dont le succès réside en grande partie sur la concertation préalable avec des associations cultuelles.


L’organisation de l’Aïd el Kebir dans les Hauts de Seine

Depuis 1995, les services du cabinet du préfet adressent un courrier aux représentants de la communauté musulmane les informant des dispositions prises pour assurer le bon déroulement de la fête de l’Aïd el Kebir. Sont mis à disposition de professionnels disposant d’un contrat avec un abattoir situé dans un autre déparement des sites d’exposition d’animaux vivants. Les fidèles choisissent sur place un mouton vivant qui est transporté pour être abattu en abattoir et dont la carcasse est rapportée en camion frigorifique.

Chaque année, deux ou trois lieux de vente sont autorisés. Sont présents les services vétérinaires du département, les services de police, la direction départementale de l’équipement et la société protectrice des animaux. Les services vétérinaires contrôlent notamment le retour des carcasses des deux abattoirs (Forge-les-Eaux et L’isle Jourdain) qui intervient en fin de matinée afin que la distribution des animaux aux familles puisse se dérouler dans l’après-midi.

En 2000, pour chacun des lieux de vente autorisés, à Nanterre et à Gennevilliers, deux périodes de réservation des animaux par les familles ont été aménagées dans les deux semaines qui ont précédé la fête, le 16 mars. Au total, 632 moutons ont été vendus.

En dépit des contraintes qu’il impose aux services de l’Etat, ce système permet de concilier les besoins de la communauté musulmane et les règles d’hygiène, de protection de la santé des consommateurs, de protection des animaux et de l’environnement ainsi que l’ordre public, dans le respect des règles nationales et communautaires.


Seule une représentation plurielle et démocratique des musulmans en France56, qui pourrait réguler le marché grâce à des procédures de certification halal, permettrait à la fois de recueillir la confiance des consommateurs musulmans, condition du succès d’une rationalisation du marché de la viande halal, et de satisfaire les exigences communautaires sur la libre-concurrence et la sécurité sanitaire. Un tel système permettrait en outre d’établir une véritable transparence sur les circuits financiers, d’une importance non négligeable, induits par ce marché.

4-3 Un souci d’accompagnement

Au premier plan de ce souci d’accompagnement figure le rôle que peuvent jouer, au plan local, les pouvoirs publics, à la demande des musulmans, dans l’organisation de la communauté. La consultation engagée depuis près d’un an par le ministère de l’intérieur relève de cette démarche de soutien dans le respect du principe de laïcité.

4-3-1 Favoriser l’organisation de la communauté musulmane à l’échelon local

Les pouvoirs publics peuvent, en premier lieu, être amenés à favoriser l’organisation de la communauté musulmane à l’échelon local. La responsabilité des acteurs de terrains, élus locaux et administrations déconcentrées est, dans ce domaine, essentielle. Rappelons qu’il ne s’agit en rien de s’immiscer dans l’organisation interne de structures propres aux musulmans. Le rôle qui incombe aux pouvoirs publics consiste à établir des points de rencontre entre institutions et représentants religieux de nature à instaurer des relations institutionnelles, à permettre l’association des musulmans aux manifestations publiques et enfin à favoriser le dialogue inter-religieux.

Au niveau local, les demandes des musulmans tiennent pour l’essentiel à une mise à niveau des moyens d’exercice de la religion et au respect de l’égalité entre les cultes. La suspicion et la méfiance que suscitent trop souvent les manifestations religieuses musulmanes constituent un frein évident à l’intégration de cette religion et de ses fidèles. Face à des communautés diverses et dont les requêtes sont parfois méconnues ou mal interprétées, il importe de privilégier un dialogue sans exclusive dans un but d’intégration de l’Islam et des musulmans à la vie collective de la cité. Le HCI constate que la mise en place de ce dialogue et de ces échanges achoppe parfois sur la méconnaissance réciproque qu’ont les partenaires potentiels les uns des autres.

Les maires ont besoin d’interlocuteurs précis et reconnus pour aborder les questions de la construction des mosquées ou de la création de carrés musulmans dans les cimetières, mais aussi pour pouvoir organiser des activités collectives auxquelles participent tous les habitants. Or leur connaissance du tissu local est parfois imprécise. Dans une ville de banlieue parisienne visitée par le HCI et comportant cinq lieux de culte, le maire avouait connaître un imam et rester évasif quant aux quatre autres structures. Ce type de situation limite les capacités d’entraînement des pouvoirs publics et peut également troubler les musulmans : l’interlocuteur unique de la mairie aura tôt fait d’être considéré comme l’homme de la mairie.

Ainsi, la volonté de dialogue se heurte parfois aux problèmes internes à la communauté musulmane. A Rennes, la création dès 1980 d’un centre culturel Islamique, destiné à accueillir des rencontres et des activités culturelles, a rencontré des difficultés liées à l’absence d’une structure de gestion adéquate et de dirigeants rassembleurs : les dissensions au sein de l’association gestionnaire ont rapidement conduit à la création d’associations fondées sur l’origine nationale.

En sens inverse, les pouvoirs publics se plaignent parfois de la faible connaissance du fonctionnement des institutions et des règles de la laïcité de certains de leurs interlocuteurs. Celle-ci se traduit soit par un surinvestissement dans les relations avec les pouvoirs locaux soit au contraire par un repli hors de la sphère publique. Dans tous les cas, un effort d’explication doit être encouragé. La création au plan local d’espaces de confrontation et de dialogue pour traiter des problèmes concrets peut y aider. Les préfets, comme les élus locaux, peuvent ainsi être appelés à jouer un rôle de médiateur et de catalyseur.

L’expérience menée à Dunkerque apparaît à plus d’un titre exemplaire.


Le Conseil de l’Islam à Dunkerque

A Dunkerque, la municipalité a constitué une instance représentative des musulmans, en adoptant un critère objectif de désignation : la gestion d’un lieu de culte.

Le Conseil de l’Islam de Dunkerque, a été créé en 1995, sous forme d’association loi-1901. Le Conseil fédère cinq associations qui gèrent des lieux de culte à Dunkerque ainsi que des associations de villes voisines.

La réunion en une structure unique des principaux acteurs de l’Islam de la région de Dunkerque a permis à la Ville de bénéficier d’un interlocuteur légitime et représentatif. Le Conseil de l’Islam est consulté sur l’ensemble des difficultés pratiques liées à la gestion des lieux de culte, l’abattage rituel, la toilette mortuaire dans les établissements de santé, la désignation d’aumôniers...

Les représentants de ce Conseil sont, à l’instar de ceux des autres religions avec lesquelles un dialogue œcuménique s’est d’ailleurs engagé, invités aux cérémonies officielles organisées par la municipalité (vœux, 14 juillet...).

La création de ce Conseil de l’Islam a également permis de satisfaire le désir légitime de reconnaissance de la communauté musulmane dunkerquoise, soucieuse à la fois de dépasser les clivages nationaux entre associations et de s’affranchir des tutelles étrangères.

Le Conseil réfléchit actuellement à la définition d’un projet de mosquée d’agglomération, les cinq mosquées de proximité étant menacées de fermeture.


Si, au plan national, l’absence d’une instance représentative limite la capacité de l’Islam à être reconnu et accepté, le HCI a observé des expériences locales très diverses, qui, sous l’impulsion de municipalités soucieuses d’intégrer les cultes aux activités publiques et collectives, ont accru la visibilité de l’Islam et amélioré la connaissance de la religion musulmane.


Expériences locales

Les structures œcuméniques57 développées à l’échelon local concourent à la mise sur un pied d’égalité de l’Islam avec les autres cultes. A titre d’exemple, l’association interreligions de Rennes a été créée pour répondre aux besoins de connaissance de l’Islam et d’échanges avec les non-musulmans.

Créé en 1989, Marseille Espérance est un groupe sans statut juridique défini, fondé et financé par la mairie avec des responsables des principaux groupes religieux. Il ne s’agit pas tant d’un forum œcuménique que d’une “ prise en compte d’un élément essentiel de l’identité des marseillais ”. Le groupe produit un calendrier des fêtes religieuses dont la publication donne lieu chaque année à un spectacle inter-communautaire à l’Opéra, organise un colloque tous les trois ans et parraine des actions. Comme le note un de ses membres, “ on invite tout le monde à des fêtes que l’on ne veut pas trop religieuses pour que tout le monde puisse venir ”.

Roubaix Espérance, qui doit prochainement devenir une association loi 1901, regroupe les responsables des plus grandes mosquées et de trois pagodes, des responsables protestants, un représentant de l’évêque, ainsi que des laïcs. L’idée, lancée par la municipalité, est d’assumer les richesses des différentes familles spirituelles pour aboutir à un “vivre ensemble” apaisé dans le cadre de la laïcité.


4-3-2 Parvenir à une organisation de l’Islam au plan national

Les tentatives de l’Etat pour créer une fédération des différents courants musulmans en France, conduite par une personnalité représentative, ont jusqu’ici échoué. Le conseil de réflexion sur l’Islam en France (CORIF) puis le conseil représentatif de l’Islam de France n’ont pas réussi à s’imposer à la différence des conseils nationaux des musulmans qui existent en Espagne, en Belgique ou en Grande-Bretagne.

La consultation lancée par le ministère de l’intérieur en octobre 1999 se fonde sur un texte définissant les principes et fondements juridiques sur lesquels repose le culte musulman, signé le 28 janvier 2000 par plusieurs fédérations (Grande mosquée de Paris, UOIF, FNMF, Invitation et mission pour la foi et la pratique, Tabligh et daoua il allah), cinq grandes mosquées indépendantes (Centre culturel Islamique d’Evry, Mosquée de Mantes-la-Jolie, Grandes mosquées de Lyon, Marseille et St-Denis de la Réunion) et six personnalités qualifiées.

La philosophie de cette démarche est de “faire confirmer aux signataires leur connaissance des lois de la République qui régissent les rapports entre l’Etat et les cultes ” et d’affirmer “ qu’il n’existe pas de conflit de principe entre la tradition du culte musulman et l’organisation légale des cultes en France”. Les signataires ont la responsabilité de l’organisation d’une instance représentative. L’Etat ne leur a fixé ni cadre de délai. Le gouvernement propose simplement de travailler sur des sujets qui “ appellent des solutions concrètes et rapides ” : création éventuelle d’associations cultuelles, création de nouveaux lieux de culte, statut des religieux, mais aussi tous autres sujets dont l’instance souhaitera se saisir. Trois groupes de travail associant des experts musulmans, des représentants des différentes administrations concernées et l’Association des maires de France ont été créés. Ils concernent l’édification des lieux de culte, les structures associatives cultuelles et le statut des ministres du culte. La consultation s’est également saisie de la question des aumôneries et celle de l’organisation de l’abattage rituel.

Le départ de Jean-Pierre Chevènement du ministère de l’intérieur s’est produit au moment où la consultation était sur le point de déboucher sur un accord quant aux modalités d’organisation d’une instance provisoire de représentation. Les participants ont d’ailleurs adressé une lettre au gouvernement demandant la poursuite de la démarche engagée58. L’action entreprise se poursuit aujourd’hui. Le Haut Conseil encourage un tel dialogue entre institutions et représentants des communautés musulmanes. Tant les modalités, inédites, de la consultation que les principes sur lesquelles elle repose, responsabilisation des intéressés mais soutien politique et logistique du gouvernement, méritent d’être conservés.

De premières conclusions ont déjà été remises au ministère de l’intérieur, le 31 août 2000 : la future instance représentative représentera le culte musulman et non les musulmans de France. L’instance représentative serait élue selon un système de suffrage indirect : les représentants des lieux de culte (gérés par une association régulièrement déclarée) éliront de grands électeurs régionaux lesquels choisiront des représentants nationaux.

Le Haut Conseil estime que cette tentative d’organisation de l’Islam au niveau national devrait davantage prendre appui sur les leçons tirées des expériences locales. Reflet de la diversité philosophique et ethnique de l’Islam de France, l’instance représentative doit être composée sur des critères objectifs, et non sur des désignations discrétionnaires : gestion d’un lieu de culte, prise en compte de la superficie des lieux de culte ou de la fréquentation de ceux-ci. Il importe surtout qu’une fois réunie, l’instance définisse clairement son rôle, par-delà les questions dont il lui a été proposé de se saisir, et donne à ses interventions une ambition pédagogique.

4-3-3 Offrir un cadre universitaire adapté à la formation des cadres religieux

La formation des cadres religieux constitue un enjeu essentiel tant pour la République que pour l’Islam de France. De sa qualité et de son contenu dépendent en partie les formes que prendra la culture musulmane française.

4-3-3-1 Les imams en France : un besoin de formation

L’aspiration fréquemment émise, au sein de la communauté musulmane, de disposer d’imams compétents, francophones et formés au contexte français se heurte au manque de vocations parmi les musulmans établis en France et à la non-maîtrise de la langue arabe par les candidats potentiels. Dans ces conditions, les fidèles n’ont guère le choix qu’entre des imams recrutés à l’étranger mais dont l’intégration n’est pas nécessairement assurée et des imams choisis parmi la communauté française mais qui ne possèdent que rarement la formation requise. Une telle situation n’est pas satisfaisante.

Mais les pouvoirs publics ne sont ni légitimes ni compétents pour intervenir dans ce domaine. Ils peuvent seulement créer les conditions permettant aux candidats à la fonction d’imam de trouver, en France, la formation nécessaire.

4-3-3-2 Un offre de formation inadaptée aux besoins

Trois instituts se sont créés pour former des cadres religieux musulmans adaptés aux réalités européennes.


1- La grande Mosquée de Paris a ouvert en 1994 un institut de formation des imams. Cet institut de théologie de l’Institut musulman de la mosquée de Paris, aurait cessé son activité, faute de subvention et en raison du coût de ses formations

2- Ouvert en janvier 1992 sous l’égide de l’UOIF, l’Institut européen des sciences humaines à St Léger de Fougeret (Nièvre) abrite environ 100 étudiants et étudiantes. Il s‘est vu refuser le statut d’établissement de l’enseignement supérieur privé du fait de son statut d’association loi 1901 ayant pour objet l’enseignement de la théologie. 70% des inscrits suivent des cours par correspondance. Sur les 99 résidents inscrits en 1996-1997, on compte 40 femmes, 70% d’étudiants venus de France, 30% de l’Europe continentale. Les étudiants se partagent entre trois filières : 50% dans la filière langue arabe, 30% dans la filière longue Islamologie et 20% dans la formation pour imams et éducatrices.

3- L’institut d’Etudes Islamiques de Paris, anciennement Université Islamique de France, dispense des cours du soir à 200 étudiants, qui y participent de manière plus ou moins régulière et cherchent pour l’essentiel à approfondir leurs connaissances.

Ces deux derniers instituts ont trois filières : formation à l’arabe, formation théologique fondamentale (faculté européenne des études Islamiques dans la Nièvre), formations plus pratiques ou pédagogiques (institut de formation des imams et éducatrices dans la Nièvre). Cependant, alors que le premier accueille des étudiants résidents (internat universitaire doublé d’un séminaire Islamique), le second est davantage un institut de formation pour adultes, dont les cours sont dispensés le week-end et en soirée.


Le HCI rappelle que si l’Etat peut encourager la création d’institutions universitaires permettant d’enrichir la connaissance de la culture musulmane, il ne peut se substituer aux autorités cultuelles pour la formation des cadres religieux.

Dès 1992, le HCI notait que l’acquisition par l’Islam de France d’un véritable statut supposait de satisfaire deux objectifs : “Tout d’abord permettre à l’ensemble de la population d’avoir accès à un foyer de réflexion et de connaissance sur la culture Islamique. Ce serait le rôle d’un organisme d’enseignement et de recherche de type universitaire. Mais aussi il serait nécessaire de voir naître cette instance supérieure de médiation, capable de réinterpréter la tradition musulmane dans le contexte français. Cet organisme aurait pour tâche d’explorer l’approche culturelle de la voie religieuse et de reconstituer ainsi, là où vivent les musulmans immigrés, le riche terreau où s’enracinent leurs croyances. Il exercerait ainsi la fonction théologique critique nécessaire pour élaborer une représentation de la foi tenant compte des besoins de personnes confrontées à des déplacements culturels. Il pourrait aussi assumer une responsabilité dans la formation des imams.”59

Huit ans après, cette analyse demeure valide. Si la création de l’institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman, centre de l’EHESS, répond pour partie au premier objectif énoncé à l’époque par le HCI, aucun projet ne s’est réellement imposé pour réaliser les missions théologiques décrites ci-dessus. Il manque toujours à la communauté musulmane l’équivalent des instituts catholiques de Paris, Lille ou Lyon, du Grand séminaire rabbinique de Paris ou des lnstituts protestants de théologie, voire des facultés de théologie de l’université des sciences humaines de Strasbourg.

Tour à tour ont été évoquées la mise en place d’un établissement privé d’enseignement supérieur, bâti sur le modèle de l’institut catholique de Paris, et celle d’un institut de théologie à créer au sein de l’université des sciences humaines de Strasbourg. Un rapport du Pr Trocmé, ancien doyen de la faculté théologique d’Etat de Strasbourg, préconisait d’ailleurs la création, dans le cadre de l’université de Strasbourg, d’un centre de formation en théologie musulmane60.

Ce dernier projet aurait des mérites évidents en terme d’ouverture de l’Islam aux autres cultures et de visibilité. Les conditions réglementaires qui s’imposeraient (nomination des professeurs indépendante des autorités religieuses, ouverture de l’enseignement à tous, distinction entre la formation universitaire reçue et la formation professionnelle de ministres du culte qui relèverait de la responsabilité propre des organisations religieuses) sont en effet de nature à permettre la combinaison entre un accès à cette culture religieuse pour les laïcs et la constitution d’une culture universitaire solide pour les futurs imams, qui seraient ensuite choisis librement par leur communauté. Comme l’écrit F. Messner : “Les cadres des communautés musulmanes seraient formés au sein d’institutions contrôlées par la puissance publique conformément aux critères académiques en vigueur dans les universités. La théologie musulmane, tout en conservant son profil propre, serait confrontée aux autres disciplines. Cette relative interdisciplinarité éviterait la marginalisation de la théologie et des théologiens musulmans à la fois par rapport à l’Université et à ses méthodes et plus largement par rapport à la société globale”61.

Le HCI recommande d’engager une réflexion sur la possibilité de s’appuyer sur la spécificité du régime concordataire et sur la situation exceptionnelle de la ville de Strasbourg pour y créer un centre de formation en théologie musulmane. Bien que la création d’un tel enseignement ne soit pas juridiquement subordonnée à la reconnaissance légale de l’Islam, cette proposition pose la question de l’opportunité et de la possibilité d’étendre en Alsace-Moselle les dispositions concordataires à l’Islam.

Plus largement, de nombreux intellectuels musulmans soulignent que l’insertion durable de la religion musulmane sur le sol européen nécessite la création de lieux de débat et d’études où puisse naître les fruits de la confrontation et du dialogue entre la pensée occidentale et les fondements de l’islam. “Il nous faut inventer une culture islamique européenne”, affirme ainsi Tarik Ramadan62.

Pour J. Cesari, “de nouvelles approches relatives à l’application de la loi islamique se font jour en Europe. Le principe commun de ces diverses voies réside dans la réouverture des “portes de l’interprétation” (Ijtihad)”. La création en France d’un lieu universitaire de rencontre et d’écoutes de haut niveau peut contribuer à ce dialogue des cultures et à l’enracinement pacifique de l’Islam en Europe.

4-4 Contribuer à l’intégration à l’école

Parce que l’école est le vecteur privilégié de l’intégration et parce que c’est à l’école que se forge l’adhésion du futur citoyen à la République, il est essentiel que les relations entre l’institution scolaire et les élèves qui se réclament de l’Islam permettent à chacun de vivre sa foi et d’assumer son identité dans le respect des lois républicaines.

C’est bien la portée du principe de laïcité que de garantir en même temps la neutralité religieuse de l’école et la liberté de conscience des élèves. La difficulté consiste aujourd’hui à tracer la ligne entre les droits des élèves, les accommodements qu’il convient d’admettre et les revendications qui sont inacceptables au regard des principes républicains. De la définition d’un équilibre entre ces trois blocs dépend la faculté de l’école à intégrer les élèves musulmans dans le double respect des valeurs de la République et de leur identité spécifique.

Pour cela, il s’avère indispensable de dépasser deux approches trop réductrices des problèmes qui surgissent à l’école :

 l’approche exclusivement juridique qui, si elle constitue la garantie indispensable d’une action respectueuse de la légalité, s’avère insuffisante ;

 l’approche exclusivement religieuse du problème qui ne permet pas d’en appréhender les dimensions culturelle et identitaire. Des réponses différentes doivent être apportées selon que les comportements ou les revendications renvoient à la dimension spirituelle de l’Islam (il s’agit alors du nécessaire respect de la liberté de conscience) ou à l’identité et la culture des populations d’origine immigrée.

4-4-1 Les droits à garantir.

Ce premier bloc recouvre les droits que l’institution scolaire se doit de garantir. Dans la plupart des hypothèses, il s’agit de droits découlant du strict respect de la liberté de conscience dont doit pouvoir bénéficier chaque élève de la République dans les limites de l’ordre public scolaire.

Rappelons que l’article 1er de la loi du 31 décembre 1959 dispose que “Suivant les principes définis par la Constitution, l’Etat assure aux enfants et adolescents, dans les établissements publics d’enseignement, la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances”. L’article 10 de la loi de 1989 dispose que “Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression.”

Comme il a été dit ci-dessus, chaque élève doit donc se voir garantir la possibilité de manifester son appartenance à une religion à la triple condition que cette manifestation ne génère aucun trouble dans l’établissement, ne contrevienne en rien à l’obligation scolaire et ne débouche pas sur du prosélytisme.

La majorité du HCI estime nécessaire, dans cette perspective, et sous réserve de modifications législatives, d’appeler au respect du cadre juridique défini par le Conseil d’Etat. Des interdictions générales du port de tel ou tel signe religieux, dans les limites rappelées plus haut, procèdent d’une connaissance insuffisante de l’état du droit.

En effet, la neutralité religieuse de l’école n’implique pas d’effacer toute manifestation d’appartenance à un culte ou d’adhésion à une foi mais au contraire d’assurer à chaque élève l’égale protection de l’institution scolaire. Certes, la ligne est parfois délicate à tracer entre le droit intangible à la liberté de conscience et le trouble à l’ordre public scolaire, dont les exigences peuvent varier en fonction du contexte63. L’impossibilité qu’il y a à définir un cadre général entre les droits à garantir et les comportements à proscrire explique l’hétérogénéité des réponses apportées sur le terrain comme le désarroi de certains chefs d’établissement et personnels enseignants.

Les ministres de l’éducation nationale ont tenté en 1989 puis en 1994, par voie de circulaires, de guider l’action des responsables d’établissements et des recteurs d’académie. Mais tout reste affaire d’espèce et la jurisprudence administrative ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés auxquelles sont confrontés ceux-là même qui sont appelés à en faire application. Quelles que soient les difficultés d’application du régime juridique, la majorité du HCI ne recommande cependant pas de le modifier. Seul le législateur serait d’ailleurs compétent pour encadrer plus rigoureusement ou plus systématiquement les signes d’appartenance religieuse à l’école. Le respect des dispositions constitutionnelles comme des engagements internationaux de la France interdit toutefois d’envisager l’institution d’interdictions générales qui seraient en outre contraires à la tradition républicaine de respect des libertés publiques.

C’est pourquoi, la majorité du HCI préconise, à droit constant, une action d’envergure menée par le ministère de l’éducation nationale sous forme de séminaires d’information et de formations des équipes enseignantes aux fins de :

 faire connaître et comprendre l’état du droit et de la jurisprudence ;

 confronter les expériences et les réponses apportées localement à des difficultés parfois similaires.

De tels forums pédagogiques, conduits régulièrement (une fois par an) à l’échelon local (l’académie) devraient permettre de fournir aux chefs d’établissement une aide à la décision, de déminer un certain nombre d’incompréhensions réciproques qui s’avèrent aller à l’encontre de l’impératif d’intégration comme du respect du principe de laïcité et enfin d’assurer une plus grande cohérence, au plan national, entre les réponses apportées aux questions que pose aujourd’hui l’Islam à l’école.

4-4-2 Les accommodements à consentir.

Il s’agit de trouver un équilibre entre la satisfaction de revendications liées à la pratique de la religion et le respect du principe d’égalité qui interdit toute discrimination positive. A droit constant, de tels accommodements, dont certains sont déjà pratiqués dans de nombreux établissements, sont de nature à concilier un fonctionnement normal de l’institution scolaire et les exigences propres à la religion musulmane dans la mesure où celles-ci restent compatibles avec les principes républicains.

Ainsi, le HCI recommande :

 la mise en place, à la demande, dans les cantines de “repas sans porc” avec la garantie d’un susbtitut en protéines ;

 la recherche, en tant que de besoin, de compromis à propos de la “rupture du jêune” pendant la période du ramadan lorsqu’elle se produit pendant les heures de classe, à l’image de ce qui se pratique au lycée polyvalent Romain Rolland à Goussainville. Un “comité des élèves” a été mis en place qui, après concertation avec les enseignants, a dégagé le compromis suivant : les élèves rompent symboliquement le jeûne du ramadan en mangeant une datte ou une friandise sans quitter la classe ;

 l’octroi d’autorisations d’absence le jour de l’Aïd-el-Kebir . Cette dernière proposition, en tant qu’elle suggère la généralisation, et partant, l’officialisation, d’une pratique déjà répandue est la plus délicate. Elle repose en effet sur la prise en considération institutionnelle d’une pratique rituelle. Notons toutefois que le ministre de la fonction publique diffuse dans l’administration un calendrier des fêtes religieuses de nature à justifier, sur demande des agents, l’octroi d’autorisations d’absence sous réserve du fonctionnement normal du service64. Il n’est pas interdit d’envisager l’extension de telles tolérances au profit des élèves de l’école publique65. Une réflexion d’ensemble concernant l’ensemble des fêtes religieuses qui ne sont pas prises en compte dans le calendrier des fêtes légales (fêtes juives ou bouddhistes notamment) pourrait utilement être menée au plan national.

D’une manière générale, le recours, au sein des établissements scolaires, aux structures de concertation entre élèves et enseignants qui existent apparaît comme une façon pragmatique d’envisager les réponses susceptibles d’être apportées aux demandes des élèves.

4-4-3 Les revendications inacceptables.

Il existe en revanche un noyau dur de principes et d’exigences découlant du pacte républicain qui rend inacceptables un certain nombre de revendications. L’institution scolaire ne doit céder en rien dans ce domaine au risque de voir se développer une “école à la carte” préfiguration d’un multiculturalisme aux antipodes du modèle français d’intégration.

Si la laïcité implique une indifférence protectrice des institutions vis-à-vis des pratiques religieuses dès lors que, cantonnées à la sphère privée, elles ne remettent pas en cause le “vivre-ensemble”, elle s’oppose en revanche à tout empiétement de celles-ci dans l’espace social collectif. En tant que le pacte laïque constitue “le point d’équilibre d’un rapport de forces” et un “pilier de la cohésion sociale”, comme le rappelait le HCI dans son rapport de 1992, “son acceptation doit être considérée, sous réserve des adaptations qu’impose toute situation nouvelle, comme une condition sine qua non de toute intégration dans la société française d’aujourd’hui”.

Aux yeux du HCI, doivent être ainsi fermement écartés :

 toute introduction de repas “halal”, dans la restauration collective, davantage pour des questions de principe qu’en raison des difficultés de gestion des cantines que cela entraînerait ;

 tout aménagement systématique des rythmes scolaires, notamment pendant le ramadan. Il convient en effet d’opérer clairement le départ entre une tolérance pour des absences ponctuelles et l’impossibilité d’accepter toute modification systématique des horaires et des temps de présence ;

 tout refus de la mixité, et plus généralement tout comportement tendant à remettre en cause l’égalité entre l’homme et la femme. L’intégration dans la société française suppose en effet l’absence de toute discrimination à raison du sexe

 tout compromis sur le contenu des programmes ou sur l’assiduité scolaire. En effet, il n’est pas question d’admettre, serait-ce par la voie d’une mise en cause de la pertinence ou de la légitimité des enseignements professés, telles la biologie ou la philosophie, que le contenu des savoirs soit fonction des situations individuelles des élèves ou des familles. Des comportements visant à contester la fonction pédagogique de l’école sont de nature à justifier légalement, au regard des critères dégagés par la jurisprudence, une sanction disciplinaire.

De telles concessions conduiraient à accorder des avantages spécifiques à tel groupe en fonction de son identité religieuse, en rupture avec le modèle français qui repose sur l’intégration d’individus. Certes, un tel schéma n’interdit pas, comme il a été dit plus haut, de prendre en considération un certain nombre de spécificités. Mais en aucun cas, celles-ci ne doivent conduire à la mise en place d’une école à géométrie variable en fonction des populations qu’elle accueille.

Ces légitimes fins de non-recevoir ne sauraient toutefois constituer l’unique réponse de l’école à des revendications inconciliables avec le bon fonctionnement de l’institution scolaire. Elles doivent s’accompagner, au-delà d’une approche seulement juridique, de pédagogie et d’une prise en charge des personnes intéressées.

4-4-4 Aller au-delà du traitement juridique des problèmes.

L’incompréhension et les désaccords que suscite parfois l’application du principe de laïcité à la question du foulard montrent que les problèmes les plus aigus ne peuvent trouver de solution par la seule voie juridique. De l’avis de la majorité des membres du Haut Conseil, les pouvoirs publics devraient renforcer la réflexion menée avec les enseignants, les parents d’élèves et les élèves afin d’assurer que le traitement de cette question réponde à un souci constant d’intégration des jeunes filles concernées. Cette réflexion devrait s’inspirer des principes suivants.

Comme le montre la politique de médiation développée par le ministère de l’éducation nationale, il importe d’abord de dialoguer en amont avec les jeunes filles pour mieux connaître les motifs de leur attitude et les amener à s’interroger sur les conséquences qui en découlent. Il n’appartient pas à l’école républicaine de s’ingérer dans le débat sur le caractère obligatoire ou non, pour une musulmane, du port du foulard, même si ce point est théologiquement discuté. Il paraît toutefois utile de s’enquérir auprès des jeunes croyantes qui font ce choix des motivations de leur comportement, lesquelles ne sont pas sans conséquence sur la réponse que l’institution scolaire doit apporter. Si le port du foulard résulte de la pression familiale, il sera utile d’engager un dialogue avec la famille afin de lui signaler, en même temps qu’à l’élève dont il importe de ne pas accroître la détresse en la mettant en porte-à-faux vis-à-vis des siens, les risques qu’un tel comportement fait courir à son intégration. Si le port du foulard résulte d’une attitude de provocation, suscitée ou non par une communauté religieuse, l’école devra être stricte dans l’application de la loi, tout en veillant à éviter le cumul de sanctions qui résulterait, pour une adolescente dont la personnalité est encore en formation, de son instrumentalisation, d’une part, et de son éviction du système scolaire public, d’autre part.

Il faut ensuite insister, auprès des publics scolaires intéressés, sur l’obstacle que représente le port du foulard sur la voie de l’intégration. En premier lieu, il importe de souligner que l’inégalité sexuelle que dénote implicitement le port du foulard est en désaccord avec la norme sociale en vigueur dans notre pays. S’il n’appartient pas à l’institution scolaire de s’immiscer dans les relations privées entre hommes et femmes, il lui incombe de faire état auprès de ces élèves de la situation discriminante que peut engendrer pour elles une attitude en rupture avec leur environnement et l’histoire de l’évolution du droit des femmes dans les sociétés modernes. On peut aussi pointer les difficultés d’insertion professionnelle auxquelles les jeunes filles voilées s’exposent : impossibilité juridique de devenir fonctionnaire, en raison de l’impératif de neutralité du service public ; difficultés de recrutement dans le secteur privé, notamment dans les secteurs en contact avec le public.

Il est important de relever qu’en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur le principe de laïcité, une même jeune fille pourra être admise voilée à l’école, sous les réserves énoncées ci-dessus, en qualité d’élève mais devra s’abstenir si elle souhaite, ces études terminées, occuper un emploi de surveillante ou devenir enseignante, de porter tout signe d’appartenance religieuse.

Il importe enfin que l’école, dans l’application qu’elle fait du droit, ne perde pas de vue son objectif d’intégration.

Ainsi toute exclusion scolaire a priori d’une jeune fille, c’est-à-dire tout refus d’inscription dans un établissement motivé implicitement ou explicitement par le port du foulard, est non seulement illégal, mais aussi fondamentalement incompatible avec l’objectif d’intégration. En outre, il faut constater qu’en cas d’échec de la médiation, l’institution scolaire ne se préoccupe pas de la gestion en aval des exclusions légales. Si une jeune fille s’est effectivement placée dans une situation de nature à justifier une sanction, elle doit quitter l’école sans autre espoir de poursuivre ses études que par correspondance (au moyen du CNED) ou dans un établissement privé confessionnel. Notons, à ce propos, qu’alors qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à l’institution d’écoles privées coraniques, un seul établissement de ce genre existe en France, à la Réunion. Cette impossibilité de combiner obligation scolaire et pratique religieuse au sein d’établissements confessionnels66 accroît la nécessité d’une prise en charge du suivi de la sanction disciplinaire par l’école publique.

En résumé, la majorité du HCI considère qu’une gestion purement juridique et un traitement uniquement disciplinaire des questions du foulard et de l’assiduité aux cours est aujourd’hui insuffisante. Par la médiation en amont et par l’accompagnement en aval, l’institution scolaire a en effet le devoir de ne pas renoncer à intégrer des jeunes filles dont le rapport de force qu’elles engagent avec l’école doit être assimilé à un comportement méritant un suivi spécifique. Le HCI préconise la création d’une structure ad hoc chargée de mener une réflexion d’ensemble sur les réponses à apporter à des comportements qui portent en eux le germe d’un refus d’intégration. Si le port du voile est le symptôme d’une difficulté de fond, il est nécessaire de s’attaquer aux racines du problème plutôt que de se borner à en traiter les effets en ajoutant aux difficultés ou au refus de s’intégrer des intéressées la sanction d’une exclusion à l’opposé de la mission intégratrice de l’école.

4-4-5 Dépasser une approche seulement religieuse des problèmes.

Il n’est pas inutile de chercher à appréhender les comportements des jeunes musulmans non seulement comme renvoyant à la dimension spirituelle de leur foi mais aussi comme révélant la recherche d’une identité de substitution en lieu et place de la culture d’origine comme de la culture française (voir 2-2-2). Face à un sentiment d’exclusion sociale et de perte de confiance dans la promotion par l’école, la résistance à l’intégration se cristallise autour de la religion. Comme l’écrit Abderrahim Lamchichi dans “Islam et musulmans de France - Pluralisme, laïcité et citoyenneté” (L’Harmattan 1999) : il convient “d’essayer de déchiffrer le sens des stratégies d’acteurs sociaux -qui tentent sans cesse de réinventer des liens communautaires et de socialisation et de remodeler leurs croyances, leurs pratiques, leur normes et leurs conduites sociales en fonction de leurs conditions de vie, édifiant de nouvelles frontières symboliques, des références identitaires inédites ; il faut essayer de saisir la réalité vivante de cet Islam comme un “fait social” - où l’on observe à la fois des processus de continuité et de rupture, de divergence et de reproduction des traits culturels originels, ainsi que leur inscription, de manière inédite et originale, au sein des sociétés d’accueil”.

Pour réussir, le “creuset” républicain doit donc chercher à concilier et non à exclure. Il ne s’agit plus tant d’acculturation que de réappropriation d’une culture issue du mélange entre les racines familiales et les repères offerts par la société française. Comme l’écrit Hanifa Chérifi : “l’école comme la société n’ont plus d’autre choix : soit prendre en compte ces spécificités en cherchant à les intégrer, soit les occulter”. Mais pour que le mélange se fasse harmonieusement, encore faut-il lutter contre les phénomènes insidieux d’exclusion que constituent :

 les effets des politiques de logement des années 1960 et 1970 qui ont débouché sur des concentrations de populations immigrées ou d’origine immigrée dans des proportions telles qu’elles s’opposent à toute véritable intégration. Les deux établissements scolaires du centre-ville de Marseille visités par le HCI accueillent ainsi chacun 100 % d’élèves musulmans. Que recouvre concrètement la mission intégratrice de l’école dans de telles conditions qui sont de nature à favoriser la montée de phénomènes de ségrégation scolaire ?

 les conséquences de l’Enseignement des Langues et Cultures d’Origine (ELCO) qui, détourné de son objectif initial de permettre aux enfants de familles immigrées de repartir le moment venu dans leur pays, cantonne les élèves dans un enseignement aux effets plus désintégrateurs qu’autre chose. Cet enseignement s’est développé, à partir du début de 1973, sur le fondement d’accords bilatéraux signés notamment avec les pays du Maghreb et la Turquie67. Des enseignants recrutés et payés par les pays partenaires enseignent les langues et cultures d’origine à l’école primaire et au collège. Mais, avec le maintien durable sur le sol français des populations immigrées, la manière dont ces enseignements sont dispensés est devenue inadaptée aux enjeux de la politique d’intégration. Il suffit, pour s’en convaincre, de citer les termes dans lesquels est rédigé l’édifiant formulaire distribué par la direction des écoles du ministère de l’éducation nationale aux familles algériennes : “Votre enfant peut recevoir à l’école un enseignement fondé sur l’étude de sa langue nationale et la connaissance de son pays et de sa civilisation (...) Ces enseignements doivent permettre à votre enfant de mieux connaître la langue et la société de son pays. Ainsi, en se connaissant mieux lui-même, il doit pouvoir mieux réussir dans l’école française”. Assurés par des enseignants souvent “marginalisés”68 qui délivrent un enseignement de plus en plus inadapté (méthodes dépassées, enseignement en tant que langue d’origine d’une langue qui est “de moins en moins maternelle”), ces cours entraînent un risque non négligeable de marginalisation des enfants pour lesquels, brisant l’unité de la classe, ils se substituent à d’autres enseignements dans l’emploi du temps.

A ces politiques69 doit être substituée une nouvelle approche des cultures d’origine. Le HCI soulignait déjà, dans son rapport de 1995 consacré aux “Liens culturels et intégration”, la nécessaire interaction entre intégration et culture d’origine : “L’intégration suppose une connaissance de soi, de ses origines et c’est cette connaissance qui permet une intégration réfléchie, assumée et donc réussie. La connaissance permet aussi de se détourner des travestissements de la culture d’origine. Le retour à une identité sans recherche de connaissance peut se traduire par la seule adoption de signes extérieurs d’appartenance, par un rigorisme suppléant la compréhension”.

Si la connaissance de la culture d’origine est un élément d’autant plus indispensable que sa méconnaissance fait bien souvent de l’Islam l’unique référent identitaire, elle doit être dispensée de manière ouverte et s’adresser à l’ensemble de la communauté scolaire afin de faciliter le “vivre-ensemble”. Aux générations issues de l’immigration, elle permettra de mettre en perspective, sur des plans historique, politique et artistique, leur culture ; aux autres, elle aidera à lever un certain nombre de préjugés. Un tel enseignement, facultatif, des langues et cultures étrangères, ouvert à tous les élèves, devrait pouvoir être substitué aux ELCO et à la logique d’un enseignement dispensé en fonction de la nationalité d’origine.

Les expériences tentées en milieu scolaire d’apprentissage collectif se sont en effet toutes révélées extrêmement positives : travail, dans une classe de 5e du collège Jean Moulin d’Aubervilliers, sur l’histoire de la France et de son immigration, confection d’un livre et d’une exposition par les élèves du collège André Malraux de Montereau sur les “Chemins d’identité”, projet sur les Andalouses associant dix classes de seconde au lycée Romain-Rolland d’Argenteuil, “nuit du ramadan” organisée par le service jeunesse de la mairie de Bobigny, centre culturel arabo-musulam créé au lycée professionnel Lavoisier à Roubaix... Sans aller jusqu’à préconiser la création de telles structures interculturelles dans les établissements scolaires, il convient de souligner l’intérêt de ce type d’initiatives qui visent à faire connaître, en milieu ouvert, les cultures des immigrations et de favoriser l’enseignement des langues d’origine comme langue vivante étrangère. De telles démarches permettent à chacun de découvrir ou de s’approprier la culture musulmane dans ses dimensions historique et culturelle et non plus dans sa seule dimension religieuse.

En outre, l’enseignement de l’histoire des religions représentées en France doit voir sa place accrue dans le secondaire. Certes, les nouveaux programmes, entrés en vigueur en 1996, réservent désormais dans le programme d’histoire de seconde l’étude du monde méditerranéen au XII e siècle et des trois civilisations qui s’y sont rencontrées : chrétienté occidentale, empire byzantin et Islam. Mais on est encore loin d’une véritable histoire des civilisations qui devrait réserver une part importante à l’apprentissage et la découverte des dimensions culturelle, littéraire, musicale, artistique des différentes religions.

Le HCI préconise la suppression des ELCO, ce qui implique la dénonciation des accords bilatéraux les encadrant. En revanche, l’apprentissage au collège comme au lycée des langues d’origine comme langue vivante étrangère doit être encouragé.

La prise en charge, de manière unilatérale, par le ministère de l’éducation nationale, de ces enseignements est la condition d’une véritable liberté dans le choix des langues enseignées (dont le nombre doit augmenter) et dans le recrutement des enseignants. La mise en place d’une véritable histoire des civilisations doit en outre permettre d’apporter aux jeunes issus de l’immigration, et notamment aux jeunes musulmans, les outils nécessaires à la connaissance de leur culture dans ses aspects contemporains et dans son universalité.

A cet effet, le HCI recommande aux institutions publiques françaises, en particulier le FAS, d’encourager les actions des associations en ce qui concerne les cultures populaires de l’immigration.

La recherche d’un traitement dépassant les seules approches juridique et disciplinaire des questions que pose la place de l’Islam à l’école, la prise en compte de la dimension sociale et culturelle du phénomène ainsi que la volonté de définir, avec clarté et de manière cohérente au plan national, ce qui doit être garanti, ce qui peut être accepté et ce qui doit être refusé sont les conditions nécessaires à la poursuite de l’objectif d’intégration par l’école.

Face à une situation largement inédite où il ne s’agit plus seulement d’intégrer des minorités d’origine étrangère mais des individus dont la confession est souvent le premier marqueur communautaire70, l’école républicaine se doit de faire en sorte que l’Islam ne soit pas un frein mais une chance pour l’intégration des jeunes musulmans.


Source : Haut Conseil à l’intégration (France).