Au lendemain de la réunion qui a rassemblé à Nadjaf les hommes politiques irakiens chiites autour du grand ayatollah Ali Sistani, présenté comme le religieux le plus respecté d’Irak, Washington s’inquiète du poids de ses déclarations, pourtant très modérées. Sistani rejette l’accord de transfert de pouvoir adopté le 15 novembre par l’Autorité provisoire de la Coalition en Irak et les membres du Conseil de Gouvernement irakien, un organisme que le grand ayatollah juge illégitime.
Pour Yitzhak Nakash, professeur à la Bredaïs University, ces positions ne sont pas inquiétantes. Il explique aux lecteurs du Los Angeles Times qu’il est possible de continuer le transfert de compétence comme prévu, pourvu qu’on négocie avec le grand ayatollah un report des élections après le 30 juin, date prévue pour le transfert de compétence. Cette hypothèse paraît peu vraisemblable au commentateur politique Dilip Hiro. Dans le New York Times, il affirme que les prises de position de Sistani sont la conséquence de l’arrestation de Saddam Hussein qui a rassuré les chiites. Ceux-ci peuvent désormais se concentrer sur l’opposition à la présence états-unienne et au pouvoir fantoche qu’ils veulent leur imposer. Pour lui, les États-Unis ne négocieront pas avec Sistani en qui ils voient, à tort, un nouveau Khomeini et se cherchent des excuses pour maintenir au pouvoir les Irakiens qu’ils ont nommé bien qu’ils ne disposent d’aucune légitimité.
Quoi qu’il en soit, l’évolution des rapports entre Sistani et l’administration Bush dépendra fortement des conclusions de la Commission d’étude de l’ONU sur la faisabilité des élections en Irak annoncée par Kofi Annan à Paris aujourd’hui, puisque Sistani a affirmé qu’il se rangerait à son avis.
Toutefois, l’évolution des rapports entre le clergé chiite et la Maison-Blanche ne signifiera pas l’arrêt des attaques contre la Coalition. Pour Daniel Ellsberg, ancien fonctionnaire états-unien qui avait transmis à la presse les fameux documents secrets du Pentagone pendant la guerre du Vietnam, la seule solution est de quitter l’Irak. Dans le Guardian, il appelle les fonctionnaires britanniques et états-uniens à objecter en consience à leur obligation de réserve et à révéler à la presse les documents qu’ils possèderaient démontrant les mensonges de George W. Bush et de Tony Blair. C’est, selon lui, le seul moyen de les contraindre à abandonner l’aventure coloniale.

Dans quelques semaines, le 23 février, la Cour de justice de La Haye étudiera la légalité de la construction du mur d’annexion israélien en Cisjordanie à la demande de l’Assemblée générale de l’ONU. Dans le Jerusalem Post, l’avocat international Alan Stephens conseille au gouvernement d’Ariel Sharon de changer de stratégie. Il ne faut pas affronter la Cour, mais lui fournir un argumentaire juridique qui permettra aux juges, embarrassés par cette affaire, de se déclarer incompétents. Il faut pour cela s’appuyer sur la jurisprudence, issue de l’Holocauste, qui fait de la prévention des crimes contre l’humanité un devoir des États. On notera avec dégoût, mais malheureusement sans surprise, le nouvel amalgame implicite qui est fait entre le massacre de six millions de personnes et la résistance à l’expantionnisme israélien.
Le chercheur Cesare P.R. Romano ne désespère pas pour sa part de voir se développer une justice internationale. Dans l’International Herald Tribune, il se réjouit de la future création d’une cour africaine des Droits de l’homme. Toutefois, il modère son enthousiasme en conseillant aux pays de l’Union africaine de prendre leur temps pour la constituer et de ne pas répéter les erreurs des tribunaux ad hoc sur le Rwanda et l’ex-Yougoslavie.

Enfin, les ministres des affaires étrangères de Grèce, de Suède et de Finlande lancent dans l’International Herald Tribune un appel au renforcement du Traité de non-prolifération. Renvoyant dos à dos les pays accusés par Washington de vouloir acquérir l’arme nucléaire et les États-Unis développant des mini-bombes atomiques, ils estiment que le traité doit retrouver son objectif premier : organiser le désarmement nucléaire et pas seulement empêcher la prolifération.