Salim Lone analyse dans Clarin la volte-face états-unienne à propos de l’implication de l’ONU en Irak. Le gouverneur L. Paul Bremer a cru pouvoir passer en force et imposer un système électoral par caucus, c’est à dire distinguant des collèges électoraux par catégories ethniques. Il rencontre désormais l’opposition de l’ayatollah Sistani, qui s’estime floué, et annonce par avance qu’il ne reconnaîtra pas la légitimité d’un tel procédé. Dès lors, Washington ne peut se sortir de cette mauvaise passe et éviter l’affrontement avec les chiites qu’en abandonnant une partie de ses prérogatives à l’ONU. Cependant, rien ne prouve que Kofi Annan acceptera aujourd’hui un compromis qu’il réclamait hier, sachant que son institution est discréditée par cet attentisme.

Patrick Seale s’interroge, dans Gulf News et Dar Al-Hayat, sur la peur occidentale des Arabes, telle qu’elle s’est exprimée de manière ridicule au Forum de Davos. Selon lui, elle est avant tout le fruit d’un matraquage médiatique qui prétend expliquer les problèmes du Proche-Orient en niant leurs causes politiques, et donc les responsabilités occidentales. Tout est donc réduit à des explications sociologiques ou culturelles, imputables aux seuls Arabes. L’essayiste relève notamment le discours selon lequel la pauvreté endémique du Proche-Orient serait l’unique source de fondamentalisme et de terrorisme, sans que l’exploitation, la discrimination et l’oppression jouent le moindre rôle.
L’analyse de Seale n’est pas sans rapport avec nos propres analyses de la diabolisation de l’extrême droite européenne [1] . Les partis de gouvernement, refusant de répondre aux angoisses populaires face aux conséquences de la décolonisation, avaient martelé que le chômage rendait le peuple stupide et le faisait voter Front national.

Le nouveau secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, défend l’utilité de son job dans l’International Herald Tribune. Nous devons tous nous unir face à la multiplication des menaces militaires. Comme à l’habitude, on ignore ce que sont ces menaces collectives et l’on est prié de se sentir en danger depuis les attentats survenus aux États-Unis.
Bronislaw Geremek, ancien co-fondateur de Solidarnosc, puis ministre et militant atlantique, a prononcé une conférence magistrale à Paris, dont Le Monde reproduit des extraits. Il plaide pour la réunification du continent européen, longtemps meurtri par la Guerre froide, en intégrant les pays de l’Est à l’Union européenne et en mettant à niveau leurs économies. Il défend également la fermeté de la Pologne et de l’Espagne à propos des règles de vote de manière à prévenir l’hégémonie des grands États (principalement l’Allemagne et la France) sur les petits. Au passage, il s’interroge sur la détermination des frontières de l’Union européenne et sur la fracture intérieure pendant la guerre d’Irak, mais sans répondre. Ce sont en effet les points faibles de son raisonnement : s’unir, certes, mais pour quoi faire ? Il est d’usage d’opposer ici une Europe des marchands, qui a été réussie, et une Europe politique, qui reste à construire. Il serait plus honnête de parler d’une Europe atlantiste qui fonctionna pendant la Guerre froide et d’une Europe indépendante des États-Unis que certains tentent de saboter.

La Commission Hutton, dont les auditions avaient captivé les Britanniques et qui nous paraissait un modèle démocratique, vient de rendre ses conclusions. Celles-ci, loin de tirer des leçons de ce qui a été mis à jour, s’empressent de blanchir le Premier ministre et de rejeter toute responsabilité sur la BBC. On en arrive à ce paradoxe que Tony Blair, qui n’a cessé d’égrener des imputations fausses pour pousser son pays à la guerre, s’en sort la tête haute au motif qu’il aurait été induit en erreur par ses services. Tandis que la BBC, dont les investigations se sont le plus rapprochées de la vérité, est accablée parce qu’elle aurait commis consciemment des approximations. Sur la question de la mort de l’expert David Kelly, Lord Hutton se contente d’observer que Tony Blair n’a donné aucun ordre direct exposant l’expert au public. Cependant, comme l’ont indiqué des médecins réputés au Guardian, il aurait fallu aussi s’interroger sur les causes de la mort, la version des légistes étant tout simplement impossible.
Le même quotidien donne la parole à une kyrielle de commentateurs. Ainsi, l’ancien ministre conservateur Malcolm Rifkind s’indigne de ces tours de passe-passe et demande une enquête sur le vrai sujet politique : comment le Royaume-Uni est-il entré dans une telle guerre ?
Scott Ritter, ancien inspecteur de l’Unscom, note quant à lui les révélations faites au cours des auditions sur la cellule d’intoxication Rockingham et regrette que cet élément clé ait été soigneusement ignoré par Lord Hutton.

Dans un autre registre juridique, le Washington Times a publié en feuilleton l’expertise de David B. Rivkin Jr et Lee A. Casey, deux avocats républicains, à propos des libertés fondamentales en temps de guerre. En premier lieu, il convient d’admettre que, depuis le 11 septembre, les États-Unis sont en guerre contre Al-Qaïda et ceux qui le soutiennent. Partant de là, les individus capturés ne sont pas des criminels de droit commun, mais des prisonniers de guerre. Ils ne peuvent donc être jugés et, éventuellement libérés, qu’après la victoire finale. Le camp de Guantanamo est donc parfaitement « légal », même si, peut-être, certains détenus ont pu être arrêtés par erreur et devront attendre la fin du conflit pour retrouver la liberté.
On reste perplexe devant cette démonstration qui vise à nous faire accepter l’incarcération pendant des années, dans des cages, d’enfants de 11 ans accusés de présenter un danger majeur pour la sécurité des États-Unis d’Amérique. On se demande aussi quel traitement est réservé à ces détenus pour que les observateurs internationaux ne soient pas autorisés à inspecter ce camp.
Il fallait bien cinq épisodes à cette laborieuse expertise pour nous convaincre que tout cela est « légal ».

[1En France, le Réseau Voltaire a participé au Comité national de vigilance contre l’extrême droite (1997-2001), constitué à l’initiative des partis de gauche. Il en a assumé la coordination pendant les périodes électorales.