Parce que nous ne pouvons pas supporter l’horreur devenue quotidienne au Proche-Orient,

Parce que quelques institutions et quelques hommes publics monopolisent abusivement l’expression des Français juifs,

Parce que nous rassemble une certaine idée de l’humanité,

Parce que, devant les répercussions en France du conflit du Proche-Orient, la résurgence de l’extrême droite et la recrudescence d’actes antisémites, nous sommes amenés à revendiquer publiquement la part juive de notre identité personnelle,

Nous avons décidé de nous exprimer collectivement.

Citoyennes et citoyens de la République française, nos conceptions philosophiques, nos opinions politiques, nos références culturelles, nos rapports à la religion sont divers.

Descendant(e)s de longues lignées d’hommes et de femmes persécutés, méprisés, bannis, pourchassés depuis des siècles, nous luttons contre toute forme de persécution, d’oppression, comme nombre de nos parents l’ont fait avant nous.

Nous sommes filles et fils de cette République française, qui, dès son origine, a accordé la citoyenneté aux juifs, nous nous réclamons de ses valeurs... La position de chacune et chacun d’entre nous face à l’héritage juif est diverse, mais le souvenir de l’extermination, la conviction qu’elle n’appartient à personne, qu’elle ne peut justifier aucun nationalisme nous font un devoir de parler comme nous le faisons.

Certains d’entre nous ont pour Israël un attachement particulier que d’autres ne partagent pas, d’autres récusent le principe même du projet sioniste.

Nous considérons cependant tous que, né dans les conditions historiques laissées par les ruines du fascisme hitlérien, le peuple israélien a droit à un Etat aux frontières sûres et reconnues, dans le cadre des résolutions de l’ONU.

Mais nous n’autorisons ni l’Etat d’Israël ni les institutions qui, en France, prétendent représenter les citoyens juifs à parler en leur nom. Nous nous révoltons contre l’oppression coloniale dont souffrent la Palestine et les Palestiniens du fait du gouvernement d’Israël. Nous ne croyons pas que l’on combatte l’antisémitisme en laissant les Israéliens devenir un peuple d’oppresseurs. Il n’y a paix et avenir pour le peuple israélien que dans une coexistence pacifique et loyale avec le peuple palestinien. Nous soutenons tous ceux qui, en Israël, en Palestine et ailleurs, ouvrent courageusement pour la paix, pour la justice, pour l’égalité des droits, contre la politique criminelle de M. Sharon.

Nous constatons la montée en puissance de l’idéologie de l’extrême droite israélienne au sein de forces politiques françaises. De nombreux démocrates (parmi lesquels de nombreux juifs) sont victimes d’intimidations : ils se voient accusés d’antisémitisme au seul motif qu’ils combattent la politique menée par le gouvernement israélien ou réclament le respect par Israël des résolutions de l’ONU, des engagements pris à Oslo.

Que cherche-t-on en pratiquant ces amalgames monstrueux ? Que cherche-t-on en multipliant les agressions verbales et les menaces physiques contre ceux, juifs ou non, qui exercent leur responsabilité de citoyens en condamnant publiquement la politique israélienne actuelle ? Que cherche-t-on en donnant au judaïsme confisqué un visage repoussant ? Nous refusons le jeu de l’actuel gouvernement israélien, qui, pour renforcer son potentiel d’expansion, cherche à accroître l’immigration en Israël et s’accommode des résurgences de l’antisémitisme. L’antisémitisme d’aujourd’hui a certes ajouté une dimension à l’abject en qualifiant les atrocités nazies de " détail de l’histoire ". Mais certains d’entre nous pensent qu’à l’inverse soutenir qu’il n’y a d’autre crime contre l’humanité que l’extermination des juifs par les nazis, c’est nourrir les sources même du négationnisme ; nous ne réclamons aucun privilège pour les juifs en tant que victimes : nous nous dressons contre toute oppression. La politique israélienne actuelle n’a certes pas pour but l’anéantissement physique du peuple palestinien, mais plusieurs d’entre nous se demandent si, prise dans son ensemble, ses inspirateurs et ses exécutants ne relèveraient pas de la Cour pénale internationale. Quant aux attentats suicides organisés par les groupes terroristes palestiniens contre les civils israéliens, ce ne sont pas seulement des actes monstrueux ; ceux qui les trament, envoyant à la mort de jeunes êtres en spéculant sur leur désespoir, sont à nos yeux, comme à ceux de nombreux dirigeants palestiniens, des ennemis - et non des alliés dévoyés - du rétablissement des droits fondamentaux du peuple palestinien. Nous condamnons les forces palestiniennes opposées à l’existence d’Israël. De même, notre solidarité avec le peuple palestinien ne nous entraînera jamais à la moindre collusion avec ceux dont la sollicitude pour la Palestine n’a comme ressort que la haine du juif.

Il reste que :

 le peuple palestinien a des droits imprescriptibles sur une terre occupée aujourd’hui par les forces armées du plus surarmé des Etats du Proche-Orient ;

 le peuple palestinien a le droit imprescriptible d’y fonder, dans les conditions garanties par la charte des Nations unies, l’Etat de son choix ;

 le peuple palestinien a des droits imprescriptibles sur la ville de Jérusalem, capitale à partager ;

 le peuple palestinien a le droit de voir ses exilés et ses réfugiés choisir, dans des conditions à négocier, entre un retour viable sur la terre de leurs ancêtres et une juste indemnisation :

Tout ce qui s’oppose à la réalisation de ces droits nourrit la guerre sans fin, les atrocités, la haine. Parce que le siècle a connu l’effondrement de systèmes violemment oppressifs, nous croyons possible et nécessaire l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient. Devant la montée des menaces intégristes, chauvines, communautaristes, racistes et antisémites, devant les ingérences criminogènes, antidémocratiques, de la droite israélienne dans la société française, nous voulons faire entendre, obstinément, la voix de Français juifs, ou d’origine juive, qui soutiennent les idéaux de démocratie, de liberté, d’universalité des droits humains et des droits des peuples.

Premiers signataires :
Gilles Abramovici, M. C univ. Paris-XI ; Rosette Alezard, citoyenne ; Raymond Aubrac, commissaire honoraire de la République ; Doucha Belgrave, journaliste ; Jacques Bellaiche ; Eliane Benarrosh, conseillère pédagogique ; Sandra Bessis, chanteuse ; Sophie Bessis, journaliste ; Marc Bernheim, physicien, dir. rech. CNRS, fils de déporté mort à Auschwitz ; Christine Birnbaum, enseignante Paris-XII ; Renée Blancheton Sciller, citoyenne ; Jacques Brunschwig, universitaire ; Benny Cassuto, médecin ; Yves Cassuto, enseignant ; Jacqueline Cernogora, physicienne ; Gérard Chaouat, dir. rech. CNRS ;Jacques Charby, comédien ; Liliane Chéret, citoyenne ; Alice Cherki, psychiatre psychanalyste ; Olivier Cherki-Thorent, comédien ; Henri Choukroun, MC univ. Montpellier-2 ; Daniel Cling, réalisateur ; Maurice Cling, prof. univ. émérite, matricule A5151 Auschwitz, président-délégué de la Fédération nationale des internés résistants déportés patriotes ; Jean-Marc Cohen, retraité ; Suzy Collin, astrophysicienne, dir. Rech. CNRS ; Henri Cukierman, retraité ; Maurice Cukierman, retraité ; Henri Davidson, ingénieur ; Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, prof. univ. Paris-VII ; Claude Deutsch, physicien, dir. rech. émérite CNRS ; Solange Dimant-Zoladz, enseignante ; Claudine Falk, cardiologue ; Jean-François Faü ; Sonia Fayman, sociologue, membre fondatrice du comité Solidaires des Israéliens contre l’occupation ; Denis Feinberg, physicien, dir. rech. CNRS ; Jean-Pierre Gattégno, écrivain ; Olivier Gebuhrer, mathématicien, MC univ. Louis-Pasteur ; Sonia Gebuhrer Adam, prof. agrégée d’allemand ; Serge Grossvak, directeur de centre social, conseiller municipal, Val-d’Oise ; Janine Guespin, biologiste, prof. émérite, univ. Rouen ; Janette Habel, MC, univ. de Marne-la-Vallée ; Gérard Haddad, psychanalyste ; Catherine Hagège-Alain Hayot, sociologue, vice-président de la région PACA ; Luisa Hirschbein, généticienne, dir. rech. CNRS ; Stéphane Hessel, ambassadeur de France ; Bernard Jancovici, physicien, prof. émérite Paris-XI ; Jean-Pierre Kahane, mathématicien ; Marcel-Francis Kahn, prof émérite univ, porte-parole du Collectif des citoyens d’origine juive et arabe ; Sacha Kleinberg, maquettiste ; Hubert Krivine, MC. univ. Paris-VI ; Florence Lederer, biochimiste, dir. rech. CNRS ; Laurent Lederer, comédien ; Marianne Lederer, prof. émérite univ. Paris-III ; Pascal Lederer, physicien, dir. rech. CNRS ; Liliane Lelaidier-Marton, fille de déportés non revenus ; Annie Levi Cyferman, avocate, militante antifasciste ; S. K. Levin, journaliste ; Gabriel Lévy, psychologue ; Jacques Lewkowitz, prof. sci. gestion, univ. Robert-Schuman ; Michaël Löwy, sociologue, dir. rech. CNRS ; Yves Lubraniécki, citoyen ; Sylvia Ostrowetsky, prof. Emérite ; Youra Marcus, artiste interprète en musiques traditionnelles ; Sylvie Mayer, membre du conseil régional _le-de-France ; Philippe Misrahi, cadre RATP ; Gabriel Mokobodzki, mathématicien, dir. rech. CNRS ; Georges Monsonego, physicien ; Patricia Moraz, cinéaste ; Alain Polian, physicien, dir. rech. CNRS ; Miriam Rosen, journaliste ; Catherine Sackur, citoyenne ; Marc Sackur, proviseur de Lycée ; Michèle Saly, prof. d’histoire et géographie ; Sylvie Sargueil, médecin journaliste ; Nicole Schnitzer Toulouse, artiste lyrique ; Elias Seidowsky, enseignant ; Abraham Segal, cinéaste ; Eva Tichauer, médecin, rescapée de la rafle du Vél’ d’Hiv, matricule 20832, Auschwitz ; Catherine Tomkiewicz, pharmacien ; Danièle Touati, biologiste, dir. rech. CNRS ; Jean Torchinsky, chirurgien-dentiste ; Roger Trugnan, déporté résistant ; Frédéric Van Wijland, physicien, M.C. ; Pierre Vidal-Naquet, prof. émérite à l’IHESS ; Maya Vignando, comédienne ; Richard Wagman, président de Union juive française pour la paix ; Roland Wlos, militant des droits de l’homme ; Mariane Wolf, présidente de Rencontre progressiste juive ; Claude Zaidman, sociologue, prof. univ. Paris-VII ; Joseph Zarka, citoyen ; Michèle Zemor, maire adjointe de Saint-Denis, animatrice du Forum social européen ; Jean Zylber, chimiste, fils de déportés morts à Auschwitz