Cher Cesare Battisti,
Je ne vous connais pas, je ne vous ai jamais lu et je ne vous aurai certainement pas suivi dans l’engagement armé de votre jeunesse. Cela me laisse d’autant plus libre de vous dire combien j’ai honte de ce que mon gouvernement est en train de vous dire, de vous faire et qui, à travers vous, menace sans doute d’autres réfugiés italiens.
Il avait fallu seulement neuf ans pour que les condamnés de la Commune de Paris soient graciés et amnistiés. Les faits qui vous sont reprochés, dont les plus graves n’ont pas été prouvés, datent de 30 ans et vous voilà jeté en prison et trahi par le pays qui vous avez garanti le refuge et menacé d’être livré au pays qui vous refuse le pardon. Ce faisant, ceux qui nous gouvernent créent les conditions de désespoir semblables à celles qui vous avaient jeté dans la lutte armée.
Les soutiens dont vous bénéficiez sont une piètre consolation quand on songe au type de société qu’engendre le reniement de la parole donnée et la transformation de la justice en vengeance quand elle n’est pas muselée. Je souhaite me tromper et que mon gouvernement demeurera fidèle à la garantie de protection qui vous a été accordée.

Source
Le Monde (France)

« Lettre à Cesare Battisti », par Daniel Pennac, Le Monde, 24 février 2004.