Le résultat inattendu des élections législatives espagnoles continue de susciter les commentaires vengeurs des dirigeants atlantistes.
Dans le Wall Street Journal, le journaliste conservateur espagnol Ramon Perez-Maura propose sans nuances de traduire le nom du Premier ministre, Luis Zapatero par Neville Chamberlain, par référence au Premier ministre britannique qui crut empêcher la Seconde Guerre mondiale en signant les accords de Munich avec Hitler.
Tout aussi outrancier, Gustavo de Arístegui, porte-parole du Parti populaire, assure dans le Washington Post qu’il ne faut pas exagérer l’importance du litige irakien pour expliquer les attentats de Madrid : en réalité, poursuit-il le plus sérieusement du monde, les islamistes sont obsédés par la reconquête catholique et la perte de Grenade en 1492.
Ne supportant pas le verdict populaire, certains franchissent le pas de la remise en cause de la démocratie. C’est le cas du philosophe André Glucksmann, qui s’était pourtant fait connaître en dénonçant le totalitarisme soviétique. Dans le Wall Street Journal, il écrit : « Une règle, une règle et seulement une règle ferme s’impose d’elle-même en Europe après cette tragédie [des attentats de Madrid]. Dans le cas d’un autre détournement de consultation électorale, le scrutin doit être immédiatement suspendu » (sic). Paradoxalement, pour l’essayiste, outré par l’idiotie des électeurs espagnols qui ont cédé à la pression terroriste, le seul moyen de résister au terrorisme, c’est de suspendre le processus constitutionnel. Ces propos inquiétants ne manqueront pas de relancer la rumeur selon laquelle José-Maria Aznar aurait proposé au roi, en vain, de suspendre les élections et de proclamer l’état de siège. Quoi qu’il en soit, ils manifestent la contamination sécuritaire des élites européennes, désormais prêtes à sacrifier la démocratie.
C’est ce qu’analyse clairement le gaulliste Paul-Marie de La Gorce. Il explique aux lecteurs de Gulf News la bataille interne qui se livre en Europe : d’un côté des classes dirigeantes ayant lié leur sort aux États-Unis, de l’autre des opinions publiques hostiles à la politique étrangère de l’administration Bush.
Illustrant ce nouveau conflit de classe, le réalisateur Ken Loach, qui devrait se présenter aux élections européennes sur la liste formée par George Galloway et les dissidents travaillistes, souligne qu’en s’éloignant de la volonté populaire à propos de la guerre, José-Maria Aznar et Tony Blair se sont éloignés de la démocratie. Bien entendu, il espère, dans The Independent, que le second sera sanctionné par les électeurs comme le premier l’a été.
Autre illustration, mais du côté des nantis, comme il y a soixante-dix ans, l’anti-démocratie va de pair avec le bellicisme. Ainsi, l’ancien directeur des programmes du Conseil de sécurité nationale, Philip Bobbitt, se félicite dans le Guardian que son pays ait agi en Irak. Ce n’est pas en se jetant à genoux devant les terroristes qu’on les apaisera, écrit-il, car on ne peut les apaiser. On ne peut que les combattre.
La palme du discours martial revient, on s’en doute, à George W. Bush lui-même. Dans un discours au corps diplomatique partiellement reproduit par le Wall Street Journal, Il réaffirme sa détermination à poursuivre la guerre au « terrorisme ». Le sort réservé à l’Irak a montré qu’il n’y avait aucun territoire neutre où les « terroristes » puissent se croire à l’abri.

Seul espoir dans ce tableau : l’armée de l’Empire est au bord de la paralysie. William M. Arkin s’interroge dans le Los Angeles Times sur la réforme du Pentagone initiée par Donald Rumsfeld. Le secrétaire à la Défense voulait briser la bureaucratie et contrôler les dépenses pour accroître l’efficacité des armées. Mais en fixant des objectifs stratégiques encore plus ambitieux que par le passé, il a aboutit à l’effet inverse : l’état-major doit tout prévoir à la fois, les forces sont dispersées et leur planification est devenue un casse-tête insoluble. Loin de réaliser des économies, ses coupes budgétaires à mauvais escient ont fait exploser le budget de la Défense.