Dans mon dernier livre, je prévoyais les problèmes que nous voyons aujourd’hui en Irak. L’administration Bush a changé de stratégie en retranchant les troupes derrières des barricades, ce qui accroît les risques de guerre civile, et se tourne vers l’ONU. Cela a pour seul but de présenter de l’Irak un visage acceptable avant les élections. L’échec en Irak a affaibli les néo-conservateurs dans l’administration Bush, mais cette dernière continue à croire qu’elle doit imposer son leadership arbitraire au monde alors que le leadership devrait viser à renforcer les institutions internationales.
Les régimes comme ceux de Saddam Hussein ou des Talibans posent problèmes. La communauté internationale doit avoir la responsabilité de protéger un peuple des abus de ses dirigeants, mais cela doit se faire dans la légitimité et les États-Unis n’en disposent pas pour agir seuls. Nous devons battre George W. Bush et rejeter sa doctrine. Les États-Unis pourront alors revenir à une diplomatie plus ouverte. Le changement que je préconise est plus radical que celui prôné par John Kerry, mais il a une bonne approche néanmoins car il ne croit pas en la guerre. Je crains que les États-Unis affaiblissent leur idéal en voulant propager la démocratie par la guerre et cela rend suspect le projet de « Grand Moyen-Orient ».
Dire que la victoire des socialistes en Espagne est une victoire d’Al Qaïda, c’est rentrer dans la logique de Bush qui veut que quand on est pas avec lui, on est avec les terroristes. Les Espagnols ont, en fait, sanctionné le mensonge et c’est un exemple pour les Américains qui ont été trompés sur les raisons de la guerre en Irak. Dans l’affaire irakienne, la France est parvenue à préserver l’indépendance de l’ONU, mais Jacques Chirac est allé trop loin et même ceux qui s’opposent à Bush restent critiques à l’égard de la France.
La crise actuelle au Kosovo montre l’échec de la politique de l’Europe qui a déjà échoué en Russie, où Vladimir Poutine mène une politique de restauration tsariste, et dans les Balkans. Il faut qu’elle défende la démocratie en Moldavie et en Ukraine, mais elle manque de volonté politique.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Les élections espagnoles sont un exemple pour nous », par George Soros, Le Figaro, 25 mars 2004. Ce texte est adapté d’une interview.