John Fortier et Norman Ornstein de l’American Entreprise Intitute présentent dans le Los Angeles Times les premières conclusions de la Commission de réflexion sur la continuité du gouvernement qu’ils ont constituée avec un autre think tank, la Brookings Institution, et le soutien financier de nombreuses fondations. Ils prévoient des procédures rapides de remplacement des candidats aux élections aussi bien que des élus. L’exigence d’efficacité leur fait envisager le remplacement du président et du vice-président, tous deux élus par les États, par des membres de leurs cabinets, désignés par eux. Cette proposition, qui a reçu l’assentiment des ex-présidents Carter et Ford, doit être considérée comme modérée face à celle du général Tommy Franks, par exemple, qui préconise, en cas d’attentats massif ayant décapité l’exécutif, de confier la conduite du pays à l’état-major. L’alternative serait donc entre la prise de pouvoir par les ministres survivants ou la dictature militaire. On est loin des grands idéaux démocratiques.
Jesse Jackson y croit pourtant encore. Mais, comme il l’apprit de Martin Luther-King, la démocratie est un rêve qui reste à réaliser. Il milite donc pour un changement radical du système électoral qui serait fondé sur la souveraineté populaire et non plus sur celle des États fédérés. Cela impliquerait l’inscription du suffrage universel dans la Constitution fédérale, empêcherait les États de priver les minorités ethniques de leur droit de vote (une dizaine de millions d’électeurs sont actuellement interdits d’urnes), et bien sûr rendrait impossible des décisions judiciaires comme celle qui donna le pouvoir à Bush contre Gore. Les problèmes fondamentaux qu’évoque Jesse Jackson sont peu connus en Europe où l’on croit souvent que les États-Unis sont une démocratie. Ils sont aussi difficiles à traiter aux États-Unis. C’est donc dans le quotidien catalan El Periodico que l’on lira cette contribution.

Le président du Mouvement pour la France, Philippe de Villiers, laisse entrevoir ses thèmes de campagne pour l’élection du Parlement européen dans une tribune publiée par Le Figaro. Il s’y gausse du « Monsieur Terrorisme » de l’Union européenne et du projet de fusion des services de renseignement des États membres de l’Union en une CIA européenne. Chacun se doute en effet que les États ne vont pas traiter en assemblée d’experts des questions relevant des services secrets. Ce faisant, Philippe de Villiers dénonce l’entrisme du terrorisme islamique : le cheval de Troie turc dans l’Union européenne et la cinquième colonne musulmane dans les banlieues. Le propos est cohérent, à défaut d’être crédible, et donne un alibi facile au déchaînement des passions xénophobes.
Une telle habileté n’est pas nécessaire aux États-Unis. Fouad Ajami analyse le conflit opposant le monde musulman aux Européens. Il s’adresse aux lecteurs du dans le Wall Street Journal, dont on peut admettre qu’ils sont plus compétents en matière financière qu’en sciences humaines, et arbore son titre de professeur à la John Hopkins University pour donner du crédit à son propos. Il explique donc doctement que les musulmans n’ont pas digéré leur expulsion d’Espagne au XVe siècle et mènent une stratégie de reconquête de l’Europe, non plus par les armes classiques, mais par la démographie et le terrorisme.

Le Premier ministre australien, John Howard, s’interroge sur les différences de réaction aux attentats du 11 septembre 2001 à New York, d’octobre 2002 à Bali et de mars 2004 à Madrid. Les deux premières fois, le monde proclamait sa solidarité avec les victimes et son unité face au terrorisme. Mais après Madrid, l’unité est ébranlée et les Espagnols eux-mêmes envisagent leur retrait d’Irak. Dans le Wall Street Journal, Howard appelle donc au rassemblement jusqu’à la victoire contre Al Qaïda en Irak. Le lecteur doué de mémoire s’étonnera cependant du machiavélisme d’Al Qaïda, si cette organisation existe, qui lui fait choisir successivement comme cibles le Centre d’affaires mondial et le département de la Défense des États-Unis, puis une boîte de nuit pour touristes et des trains de banlieue ouvrière. Il se souviendra également que les autorités de la Coalition ont admis qu’Al Qaïda, s’il existe, n’était pas présent en Irak avant leur arrivée.
On appréciera donc un début d’abandon de la langue de bois. Ainsi, Dimitri Simes, président du Nixon Center, plaide dans le Los Angeles Times pour un retour de la politique étrangère états-unienne au pragmatisme : finis les grands principes, revenons aux grands intérêts. Le réalisme serait de se concentrer sur la lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Observons que le « pragmatisme » s’exprime encore en termes idéalistes. Si l’on voulait être plus pragmatique encore, on indiquerait, comme le fait Henry Kissinger, que la lutte contre le terrorisme vise à détruire les foyers de résistance aux intérêts économiques états-uniens. Et, à l’instar de Paul Wolfowitz, on admettrait que la lutte contre la prolifération n’est pas une question de défense, mais de maintien de la supériorité stratégique par l’interdiction d’émergence de compétiteurs.