Le rapport de l’ONU sur l’assassinat de Rafic Hariri apporte de l’eau au moulin de George W. Bush, qui exige un « changement de régime « à Damas. Mais l’enquête comporte de nombreuses lacunes.
Le rapport conclut que la bombe qui a coûté la vie à Hariri ainsi qu’à 22 autres personnes était probablement à bord d’un fourgon Mitsubishi et actionnée par un kamikaze. Alors que l’on ne connaît toujours pas l’identité du conducteur, une équipe d’experts japonais a identifié précisément le véhicule. Il semblerait donc que la liste des propriétaires successifs du fourgon ait un élément crucial pour l’identification des assassins. Mais sur ce point essentiel, l’enquête de l’ONU a peu progressé, ne consacrant que quelques paragraphes à la manière dont ce fourgon s’est retrouvé à Beyrouth.
Pour appuyer ses conclusions incertaines qui montrent la Syrie du doigt, l’enquête de l’ONU repose aussi beaucoup sur des témoins, dont la crédibilité peut être mise en doute ; ces témoins mettent en cause des responsables syriens de la sécurité malgré le fait que leurs témoignages sont en partie contradictoires. Par exemple, les deux soi-disant témoins n’étaient pas d’accord sur ce qui était arrivé au jeune militant islamiste libanais, Ahmad Abou Adass, ayant revendiqué la responsabilité de l’attentat-suicide dans une vidéo diffusé sur la chaîne de télévision Al Jazeera. Mais Mehlis s’appuie sur des soi-disant témoins pour décrédibiliser la vidéo, affirmant qu’elle faisait partie d’une campagne de désinformation visant à détourner les soupçons de la Syrie.
Un des témoins - que le rapport décrit comme « étant d’origine syrienne mais résidant au Liban et prétendant avoir travaillé pour les services du renseignement syriens au Liban « a dit qu’Abou Asass qui « n’avait joué aucun rôle dans l’assassinat et n’avait servi qu’à détourner l’attention, « était détenu « en Syrie où on l’avait obligé, sous la menace d’une arme à feu, à enregistrer la vidéo « avant de le tuer. Un autre soi-disant témoin, Zouhir Ibn Mohamed Said Saddik, prétend avoir vu Abou Adass dans un camp à Zabadani en Syrie où, dit-il, le fourgon Mitsubishi avait été bourré d’explosifs ; Saddik dit qu’Abou Asass avait eu l’intention de commettre l’assassinat puis avait changé d’avis et avait été ensuite éliminé par des Syriens qui avaient mis son cadavre dans le véhicule piégé.
Un des problèmes que soulèvent de tels « témoins « est qu’ils ne sont pas crédibles pour tout un tas de raisons, y compris la possibilité qu’ils puissent être soudoyés ou autrement amenés à faire de faux témoignages, dans le but d’atteindre un résultat qui aille dans le sens d’hommes politiques, ou de pays puissants. Les États Unis - et le New York Times - ont appris cette leçon pendant la période qui a précédé la guerre en Irak, lorsque les groupes d’exilés irakiens arrangeaient des rencontres entre des soi-disant témoins d’une part et des représentants du gouvernement et des journalistes états-uniens d’autre part, leur donnant des renseignements sur les armes de destruction massive irakiennes. Ces affirmations s’étaient révélées montées de toutes pièces. On se pose déjà des questions similaires au sujet de Saddik, témoin-clé dans l’affaire Hariri.
Le risque que les enquêteurs acceptent des témoignages douteux émanant de sources sujettes à caution est maximal lorsque les allégations visent des pays où des dirigeants déjà mal vus - comme ça a été le cas avec l’Irak, et comme c’est maintenant le cas avec la Syrie. La plupart des gens étant déjà prêts à croire le pire, peu d’enquêteurs ou de journalistes osent mettre leur réputation et leur carrière en danger en exigeant qu’on leur fournisse des preuves solides. Il est plus aisé de suivre le mouvement général. Dans l’affaire Hariri, le chef de la commission d’enquête Detlev Mehlis, un magistrat allemand, s’est retrouvé soumis à des pressions internationales intenses que certains observateurs ont comparées à celles qu’avait subies Hans Blix début 2003.

Source
Consortium News (États-Unis)

« The Dangerously Incomplete Hariri Report », par Robert Parry , Consortium News, 23 octobre 2005.