La commission d’enquête sur le 11 septembre qui mène actuellement des auditions aux États-Unis pose le même type de problème à l’administration Bush que la commission Hutton en avait posé au gouvernement Blair au Royaume-Uni : bien qu’elle ait été conçue de façon à rendre un jugement conforme aux attentes du pouvoir en place, les témoignages provoquent un débat embarrassant. Les auditions font en effet apparaître des contradictions frappantes dans la version officielle, difficiles à justifier.
Cette situation provoque une réaction défensive chez certains faucons souhaitant que les États-Unis poursuivent leur politique impériale en s’appuyant sur le 11 septembre. Ainsi, Edward N. Luttwak défend dans le Daily Telegraph la politique antiterroriste de George W. Bush. Ce ne sont pas les dirigeants politiques qui ont passivement laissé Al Qaïda se développer, mais les responsables militaires qui, hésitant à envoyer les forces spéciales contre les camps d’entraînement en Afghanistan, ont permis au groupe de Ben Laden d’atteindre une taille critique.
D’autres partisans de l’empire préfère faire diversion avec les menaces qui planeraient sur les États-Unis plutôt que de défendre directement la politique de George W. Bush. L’ancien agent de la CIA, Milt Bearden, dont les affectations successives semblent suivre la carrière d’Oussama Ben Laden, affirme dans l’International Herald Tribune qu’Al Qaïda, même décapitée et affaiblie par la mort ou l’arrestation de la quasi-totalité de ses dirigeants supposés, reste une menace car elle est moins une organisation pyramidale, comme tant d’experts se sont efforcés de nous en convaincre, qu’une idéologie, comparable au communisme. Peu importe donc les arrestations de dirigeants, nous devons accepter que la politique étrangère actuelle des États-Unis se poursuive tant que cette idéologie n’aura pas été vaincue. Mais si l’on admet qu’Al Qaïda est une idéologie, en quoi des opérations militaires pourraient la réfuter et quand la guerre au terrorisme prendra-t-elle fin ?
Pour Franck J. Gaffney, la lutte contre Al Qaïda est importante, mais si l’administration Bush ne s’en était pas préoccupée jusqu’au 11 septembre, c’est parce qu’elle s’était concentré sur une autre menace bien plus grande encore : la Chine communiste ! Il affirme aux lecteurs du Washington Times que la Chine mène une politique agressive contre les États-Unis. Aussi, peu importe ce que peut soulever la Commission sur le 11 septembre, mieux vaut se concentrer sur l’étude de la menace chinoise.

La Guerre d’Irak ayant elle aussi de moins en moins de partisans, ses défenseurs de la première heure doivent revenir à la charge pour légitimer l’invasion. Bien sûr, les arguments divergent quelque peu selon le camp auquel appartient l’avocat de la guerre et le public auquel il s’adresse. L’ancien secrétaire d’État de Ronald Reagan, George Shultz, dans un discours prononcé dans la bibliothèque du Congrès et reproduit par le Wall Street Journal, reprend les grandes lignes de l’argumentaire « conservateur » en faveur de la guerre : l’Irak de Saddam Hussein risquait de développer à terme des armes de destruction massive et de les donner à des terroristes. Les États-Unis devaient se défendre en attaquant les premiers sous peine de se voir frappés à nouveau ou de voir la région entière déstabilisée. De son côté, la député britannique du New Labour, Ann Clwyd, de retour d’Irak où elle était la représentante de Tony Blair pour les Droits de l’homme, rappelle la justification « progressiste » de la guerre aux lecteurs du Guardian : renverser Saddam Hussein était un devoir moral compte tenu des crimes commis par celui-ci contre son peuple. Cette invasion pose les bases d’un nouvel ordre mondial qui serait enfin soucieux des Droits de l’homme. Ces deux argumentations ont un point commun : la Coalition a tout fait pour que cette opération reste dans le cadre du droit international, mais la France a empêché que cette guerre nécessaire se fasse dans le cadre de l’ONU.
Cette opposition de la France a la politique impériale est la raison la plus surprenante fournie par Jean-Marie Colombani dans Le Monde pour expliquer la débâcle de l’UMP aux élections régionales françaises de ce week-end. Jacques Chirac a mené une politique incohérente d’opposition aux États-Unis et de refus de la construction européenne et c’est pour cela que les électeurs l’ont sanctionné. Le gouvernement Raffarin a certes fait preuve de populisme et de clientélisme, mais il s’est efforcé de mener à bien la réforme des retraites. Le vrai homme à abattre, c’est Jacques Chirac. Pour le directeur du Monde, la victoire de la gauche doit se traduire par la nomination à Matignon du nouveau favori du « quotidien de référence français », Nicolas Sarkozy. « Nous sommes tous Sarkozyens ! » remplace donc le célèbre « Nous sommes tous Américains ! » de l’après 11 septembre. Rappelons que le quotidien atlantiste fait preuve de persévérance : à l’élection présidentielle de 1995, il avait fait campagne pour le tandem Balladur-Sarkozy contre Chirac.

Pour justifier sa politique, Israël doit valider un certain nombre de mythes au premier rang desquels on compte l’absence de partenaires avec lesquels signer une paix durable. Pour Schlomo Avineri, dans le Jerusalem Post, Israël ne peut pas espérer mieux qu’une « paix froide » avec ses voisins. Prenant comme exemple l’Égypte, il affirme que si les relations commerciales et politiques ne se sont pas développées avec ce pays après les accords de Camp David, ce n’est pas parce que Tel-Aviv a poursuivi sa politique coloniale sur les territoires palestiniens, mais parce que l’Égypte attendait seulement de l’accord la récupération du Sinaï. On ne peut donc pas espérer une paix sincère tant que les mentalités arabes n’auront pas évolué. De son côté, le ministre israélien Natan Sharansky affirme dans l’International Herald Tribune qu’il faut, pour espérer la paix, que le monde arabe connaisse une évolution comparable à l’URSS après le sommet d’Helsinki. Peu importe que rien ne permette de comparer un monde arabe divers et désuni au bloc soviétique, cela permet à Israël d’user du vocabulaire de la Guerre froide et de se présenter comme le défenseur du « monde libre ». Ce schéma manichéen où Israël se pose en démocratie prend tout son relief lorsque l’on songe que M. Sharansky votait la semaine dernière, avec la presque unanimité du cabinet Sharon, l’exécution extrajudiciaire d’un opposant palestinien.