L’opération visant à faire capoter les accords d’Arusha, à assassiner le président Habyarimana, et à éliminer les dirigeants modérés, avait été préparée de longue date. L’enchaînement des faits montre, sans contestation possible, l’existence d’un complot, dont les partisans du Hutu Power étaient les acteurs, sans permettre pour autant de déterminer les commanditaires d’une opération aussi vaste et complexe.

Sachant les mises en cause de l’Élysée qui ont été formulées, on attachera de l’importance à la manière dont la presse française a couvert les événements et, éventuellement, à la manière dont elle a pu être manipulée.

• Le 6 avril 1994, vers 20 h 30, le Falcon 50 du président Habyarimana est abattu par deux missiles sol-air alors qu’il s’apprêtait à se poser à Kigali.

À 21 h 15, alors que la nouvelle n’est pas encore connue et que leur matériel a été installé dans l’après-midi, la garde présidentielle et les milices du parti présidentiel commencent à massacrer les dirigeants modérés.

• Le 7 avril 1994, la nouvelle est diffusée en France, où elle est traitée sommairement dans le contexte de la fin des auditions du procès Touvier.

À 20 h 30, toutes les chaînes de radio et télévision françaises diffusent un programme unique, le Sidaction, empêchant que l’information soit développée.

Alors que le Sidaction est commencé, l’intervention du président François Mitterrand est annulée, ainsi que la liaison satellite avec le Premier ministre, Edouard Balladur, en voyage en Chine. On apprend tardivement que le président est retenu à l’Élysée suite à la mort de François Durand de Grossouvre, survenue au palais aux environs de 19 h.

• Tous les titres de la presse française, le 8 avril au matin, sont consacrés au bilan du Sidaction.

Une information en chassant une autre, jamais le début des hostilités au Rwanda, ni le décès de François de Grossouvre, ne seront développés comme ils auraient dû l’être.

Ces faits appellent quelques relations complémentaires :

1) Le Sidaction 94 est le seul programme unique de radio et télévision jamais réalisé

dans un État démocratique. Lors de sa préparation, trois associations (Association Didier-Seux, Projet Ornicar, Solidarité Plus) dénoncèrent " une méthode totalitaire incompatible avec l’exigence pédagogique qui conduit toute action de Santé publique dans une société démocratique ". La participation des stations privées fut acquise par l’entremise de Pierre Bergé, président d’Ensemble contre le sida et ami proche du président Mitterrand. Aux réunions préparatoires, Pierre Bergé se faisait accompagner par la personne qu’il avait engagée pour sa sécurité, un ancien chef de section des services spéciaux. Il avait été initialement prévu que le président Mitterrand serait interviewé pendant l’émission par l’un des deux animateurs, son neveu, Frédéric Mitterrand.

2) Plusieurs témoins ont assuré que François Durand de Grossouvre était opposé à une opération de durcissement à Kigali. Ceux qui, à l’Élysée et au sein des services, se heurtaient à lui interprétèrent son opposition comme une inféodation aux États-Unis, dont il était le contact officieux à l’Élysée. Des proches de François Mitterrand (Hubert Védrine en premier, puis René Souchon et Roland Dumas) ont intempestivement tenté d’accréditer la thèse du suicide en évoquant la sénilité du défunt, argument qui a été formellement démenti par son médecin personnel. À l’inverse, son ami, Paul Barril, a soutenu la thèse de l’exécution (cf. " Guerres secrètes à l’Elysée "). Aux obsèques du défunt, sa famille refusa que le président Mitterrand se tienne à ses côtés alors qu’elle s’afficha avec le président Amine Gemayel.