Il y a peu de doute que le libéralisme russe est en crise. Pourtant si on m’avait dit il y a un an que ni le parti Yabloko, ni le Parti des forces de droite, ne parviendraient à franchir la barre des 5 % aux élections à la Douma, je ne l’aurais pas cru. Officiellement, deux candidats libéraux se sont présentés à l’élection présidentielle, mais aucun n’était crédible.
Nous sommes en train d’assister à une capitulation des libéraux. Les termes « liberté d’expression », « liberté de pensée » et « liberté de conscience » sont devenus des clichés vides de sens. Plus personne ne s’intéresse au sort de ces partis, leur projet de fusion ne suscite pas de réaction non plus, et le « Comité 2008 », censé devenir la conscience du libéralisme russe, admet son impuissance. Pendant ce temps, les partis nationalistes revanchards prospèrent et, en comparaison, Vladimir Poutine apparaît comme un libéral.
On ne peut pas se résoudre cependant à la mort du libéralisme russe et la soif de liberté demeure en chaque homme. Si les partis libéraux se sont effondrés, c’est parce que, contrairement aux précédentes élections, le gouvernement ne les a plus soutenu. Le gros problème des libéraux et qu’ils n’ont pas assez tenu compte des problèmes du pays dans leur projet et qu’ils n’ont pas voulu dire la vérité à la population sur les difficultés qu’allaient engendrer les privatisations. De plus, ils ont mal géré la crise de 1998 et vécu dans un luxe ostentatoire qui a achevé de les discréditer. Certains ont, en plus, décrédibilisé le discours libéral en soutenant la liberté d’expression tout en tentant de prendre le contrôle des médias.
Le monde des affaires, en soutenant les politiciens libéraux, s’est rendu complice de leur mensonge et cela nous a nuit. Nous avons été qualifiés « d’oligarques » alors que nous étions à la merci de la bureaucratie et nous étions accusés de tous les maux du pays alors que nous avons créé deux millions d’emplois bien rémunérés. Quoi que nous fassions, nous ne pouvions pas améliorer notre image car nous étions associé au « parti de la tromperie ».
C’est une erreur commune de croire que le monde des affaires est forcément partisans des réformes libérales. Le monde des affaires veut avant tout gagner de l’argent. Il est plus facile pour lui de le faire en discutant avec des autorités autocratiques qu’avec des dirigeants soumis aux contrôles d’institutions civiques. Le monde des affaires trouvera toujours des moyens de faire de l’argent avec quelque régime que ce soit, quelle que soit sa nationalité. Pour ma part, j’aime la Russie, qui est ma patrie, et j’ai compris trop tard qu’il fallait que je m’investisse dans la philanthropie pour l’aider. C’est lors de cette prise de conscience que je me suis éloigné du monde des affaires.
Aujourd’hui, que doivent faire les libéraux ? :
 Nous devons élaborer une nouvelle stratégie d’interaction avec l’État.
 Il faut chercher ce qui est bon pour la Russie et pas forcément ce qui est bon pour l’Occident.
 Il faut cesser de contester la légitimité de Poutine. Qu’on l’aime ou pas, il est président.
 Il faut cesser de mentir à nos concitoyens sur les conséquences économiques des actions entreprises.
 Il faut cesser de regarder au niveau mondial et reconnaître que le projet libéral doit avant tout fonctionner dans un contexte national.
 Il faut légitimer les privatisations en en faisant profiter toute la population en réformant les systèmes de taxation sur les bénéfices qui en sont retirés.
 Il faut créer de nouvelles institutions sociales.

Source
Moscow Times (Fédération de Russie)

« The Indisputable Crisis of Russian Liberalism », 31 mars 2004.
« Liberalism in Crisis : What Is to Be Done ? », 1er avril 2004.
Par Mikhail Khodorkovsky, Moscow Times.