Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie chaleureusement, Monsieur le Président, de m’avoir invitée en France pour célébrer le centenaire de l’Entente cordiale et d’avoir prononcé des propos aussi aimables à mon égard ce soir. C’est un plaisir d’être de retour à Paris pour cette visite d’État en France, qui est pour moi la quatrième. Comme tant de mes compatriotes, je ne me lasse pas de l’élégance et du charme de Paris, et j’ai été très sensible à l’accueil chaleureux qui m’y a été réservé aujourd’hui.

Je considère que l’anniversaire que nous célébrons cette semaine est de la plus haute importance pour nos deux nations. Si je puis me permettre ce soir un petit euphémisme très britannique, je dirais que nos relations n’ont pas toujours été sans histoires. Nous nous sommes combattus farouchement pendant des siècles, souvent et partout - de Hastings à Waterloo ; des plaines d’Abraham au Québec jusqu’à l’embouchure du Nil. Depuis 1815 cependant nous n’avons plus été en guerre. Nos deux nations ont au contraire serré les rangs pour défendre de concert la liberté et la démocratie, au cours des deux guerres mondiales meurtrières du XXe siècle notamment.

Nous avions pourtant bien failli nous faire la guerre à la fin du XIXe siècle à cause de nos colonies. C’est grâce à la détermination et aux lumières d’un petit nombre de personnes qui furent les artisans du rapprochement franco-britannique que nous avons au contraire fait cause commune. L’Entente cordiale signée il y a cent ans cette semaine est l’œuvre immense qu’ils nous ont laissée. Je suis fière de la part qu’a prise mon arrière-grand-père, le roi Édouard VII, à cet accord historique. C’est parce que le président Loubet et lui ont tenu à ce que des visites d’État réciproques soient organisées entre nos deux pays en 1903 que s’est institué entre nos peuples le climat qui allait permettre de régler politiquement nos différends coloniaux l’année suivante. 

J’espère, Monsieur le Président, que cette visite d’État et les célébrations de l’Entente cordiale, que viendra clôturer votre visite à Londres cet automne, ouvriront également une ère nouvelle pour le partenariat entre la Grande-Bretagne et la France. Cent ans après, la situation n’est pas si différente de ce qu’elle était alors.

En effet, comme les hommes d’État français de l’époque et mon arrière-grand-père s’en étaient avisés, nous ne pouvons pas, nous non plus, laisser les tensions politiques du moment, quels que soient les ressentiments qu’elles suscitent de part et d’autre, nous diviser dans la durée. Nous savons bien que ni les deux grandes nations que nous sommes, ni l’Europe, ni l’Alliance atlantique ne peuvent se permettre de se désolidariser ou de se quereller face aux menaces auxquelles nous sommes tous confrontés sur le plan de notre sécurité et de notre prospérité.

Bien sûr, nous ne serons jamais d’accord sur tout, mais la vie manquerait de sel - et le reste du monde y perdrait - si nous ne nous accordions pas de temps en temps le loisir d’endosser nos caricatures nationales. Le pragmatisme britannique et l’élan français ; le conceptualisme français et l’humour britannique ; la pluie d’outre-Manche et le soleil de France. Ce sont là des complémentarités que nous avons tout lieu d’apprécier.

J’estime que nos deux peuples en sont peut-être plus conscients que nos gouvernements. Des milliers de Britanniques viennent s’établir en France et des milliers de Français vont élire domicile en Grande-Bretagne. Des millions de Britanniques se rendent en France chaque année pour les vacances. Nous restons certes une île, mais ma venue en train aujourd’hui est là pour rappeler l’impact qu’a eu le tunnel psychologiquement et concrètement pour quantité de personnes, de part et d’autre de la Manche. Sur le plan économique et culturel, nos deux pays se sont beaucoup rapprochés à la faveur des investissements croisés de nos entreprises et de l’interdépendance croissante qu’on observe entre nos milieux artistiques et sportifs, ainsi que dans l’univers de la mode.

Nous n’avons peut-être pas encore pris la juste mesure de ce brassage humain à longue échéance. Le centenaire de l’Entente cordiale en est le moment tout trouvé. J’espère qu’il sera l’occasion de reconnaître et d’exalter tout ce que nous avons en commun. La Grande-Bretagne et la France sont deux des grands États-nations d’Europe. Ils sont certes vieux - et d’ailleurs fiers de l’être - mais ils n’en sont pas moins décidés à embrasser la modernité et le dynamisme du siècle qui s’ouvre. Si l’Histoire a fait de nous des rivaux, il nous faut désormais admettre, comme le firent nos ancêtres il y a un siècle, que nous sommes des partenaires naturels dans l’Europe et dans le monde du XXIe siècle.

Mesdames, Messieurs, je vous demande maintenant de porter un toast au Président de la République et au peuple français. Vive la différence mais vive l’Entente cordiale !