Nous vivons dans une ère de repentance. Quand une crise ou un scandale apparaît, les personnalités se confondent en remords et en excuses et cela fonctionne désormais si bien que les victimes, réelles ou supposées, demandent plus d’excuses que de justice et que les médias s’en contentent. Ainsi, la question cruciale autour de l’audition de Condoleezza Rice devant la Commission d’enquête sur 11 septembre a été de savoir si elle allait présenter ses excuses. En fine tacticienne, elle ne l’a pas fait, maintenant longtemps l’attention des médias sur ce point et les détournant ainsi des vraies questions.
Autrefois nous étions intéressés par ce que les politiciens faisaient ou pensaient. Aujourd’hui on veut savoir ce qu’ils ressentent et s’ils se sentent désolés. Pendant longtemps, face à de mauvaises nouvelles, difficiles à assumer, les politiciens commençaient par nier tout en bloc, puis ils reconnaissaient les faits tout en les minimisant et enfin ils reconnaissaient l’entière gravité des faits reprochés, mais en affirmant que c’était déjà une vieille histoire. Cette pratique trouve encore cours aujourd’hui au Japon concernant la Seconde Guerre mondiale, en Turquie face au génocide arménien et en Australie face au quasi-génocide aborigène. Les Américains, eux, s’excusent. Tony Blair aussi s’excuse, car il est le plus américain de nos Premiers ministres.
Ainsi, George W. Bush est désolé des « traitements réservés aux prisonniers irakiens ». Cela lui permet de se présenter comme quelqu’un de bien, de sensible, mais surtout d’évacuer la question et d’en rester à la thèse officielle : il s’agit d’actes commis par « un petit nombre de soldats » « agissant mal ». Pourtant, il ne s’agit pas comme au Vietnam d’actions commises par des GIs paniqués ou de mauvais officiers, il s’agit d’actes prémédités. Mais le culte de l’excuse aux États-Unis évacue toute responsabilité et tout devoir. Il n’y aura donc pas de démissions à haut niveau et les enquêtes s’arrêteront aux excuses de personnes qui sont désolées. Tant que les États-Unis accepteront ce type de dérobade, qui ne convainquent pas le reste du monde, ils perdront des soutiens.
« The cult of contrition », par Tony Judt, The Independent, 09 mai 2004.
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