QUESTION - Monsieur le Président, quelle est l’importance de votre visite au Brésil ?

LE PRESIDENT - Beaucoup de raisons, pour moi, en justifient l’importance. Le Brésil et la France ont beaucoup de points communs. Sur les plans géographique et politique, le Brésil est un élément majeur de l’Amérique latine, la France est un élément majeur de l’Europe. Quant à notre vision des choses, nous sommes très proches. La mondialisation humanisée que souhaite le Président LULA correspond tout à fait à ce que je souhaite également. J’ajoute que nos relations économiques, culturelles, intellectuelles, scientifiques, techniques sont extrêmement fortes.

Cela justifie cette relation et je me réjouis de ce prochain contact auquel m’a invité le Président LULA. Il nous permettra de conforter notre accord politique, notre volonté de concertation politique, de coopération politique et également de signer des accords qui portent sur l’innovation et l’enseignement supérieur, le développement de la technologie.

Pour toutes ces raisons, indépendamment du plaisir que j’ai à aller une fois encore au Brésil, je suis très heureux de ce voyage.

QUESTION - Vous avez dit que la relation entre le Brésil et la France est vraiment bonne, amicale ?

LE PRESIDENT - La relation a toujours été, depuis très longtemps, une relation excellente. Je dirais qu’aujourd’hui, elle est tout à fait exemplaire.

QUESTION -Il y a peut-être un point qui est un peu conflictuel, ce sont les subventions agricoles. Comment allez-vous les aborder avec le Président LULA ?

LE PRESIDENT - J’en parle depuis longtemps avec le Président LULA. C’est un domaine sur lequel nous n’avons pas encore réussi à nous mettre tout à fait d’accord et je voudrais dire aux téléspectateurs brésiliens qui nous écoutent que, contrairement à ce qu’ils peuvent croire, l’Europe n’est pas un marché protégé, fermé, notamment en matière agricole.

La France reçoit d’Amérique latine, chaque année, un montant de produits agricoles qui correspond à 2 milliards et demi d’euros. Elle n’exporte en Amérique latine que pour un montant de 400 millions d’euros. C’est vous dire à quel point la France est déjà un marché totalement ouvert. L’Europe dans son ensemble est aujourd’hui le premier client de l’Amérique latine en matière agricole et alimentaire. Ce n’est pas non plus un marché fermé. Donc, il faut bien comprendre la réalité des choses.

Alors, nous sommes prêts à aller plus loin encore, et c’est l’esprit même de la réforme de la politique agricole commune que nous avons engagée. Cette réforme prévoit notamment la suppression, à terme, de toutes les subventions qui pourraient être déstabilisatrices en matière agricole à l’exportation. Seulement, dans un accord, il faut qu’il y ait un peu de donnant-donnant des deux côtés, il faut faire un effort des deux côtés.

La France et l’Europe sont tout à fait prêtes à faire cet effort. Elles l’ont dit très clairement. Jusqu’ici, elles n’ont pas reçu un accueil favorable, fut-ce modeste, dans trois domaines auxquels nous attachons la plus grande importance : l’industrie, les services et surtout, l’aide et les intérêts des pays les plus pauvres avec lesquels l’Europe a une relation très forte et qui peuvent être les victimes de toute cette action à l’OMC.

C’est de cela que je vais parler, mais, croyez-le bien, dans la plus franche cordialité, avec le Président LULA, pour lequel j’ai beaucoup d’estime, beaucoup d’amitié.

QUESTION - Monsieur le Président, on voit qu’il y a maintenant une Amérique latine un peu divisée, on a noté cela à Vienne pendant le Sommet Amérique latine/Europe/Caraïbes. Croyez-vous que cela peut créer des problèmes pour la relation entre l’Amérique latine et l’Europe.

LE PRESIDENT -J’étais à Vienne comme beaucoup de chefs d’État et des gouvernements latino-américains, caraïbes et européens. Je n’ai pas ressenti cette impression de division à laquelle vous faites allusion. J’ai même trouvé que, dans le cadre du mouvement que l’on sent très fort, en Amérique latine, pour la démocratie et pour le développement, il y avait une unité affirmée, en tous les cas plus forte que celle que j’observais il y a vingt ans.

Naturellement, chaque pays a son évolution propre, ses caractéristique, en Europe comme en Amérique latine ou dans la Caraïbe. Quand on regarde de haut, on voit que les forces qui s’imposent dans tous ces pays sont la démocratie et le développement et un développement humanisé. Ce sont les forces premières. Alors, après, chacun voit cela à sa façon.

QUESTION - Comment voyez-vous la nationalisation du pétrole et du gaz bolivien ?

LE PRESIDENT - Je me suis entretenu longuement avec le Président MORALES. J’ai beaucoup d’estime pour M. MORALES qui, d’une certaine façon, a rendu l’honneur à un peuple qui en avait besoin.

Je n’avais pas à faire d’ingérence dans les affaires intérieures de son pays. Il fait les choix qu’il veut en ce qui concerne la nationalisation des matières premières de son pays et de son peuple. Mais ce qu’il m’a dit était très clair : cela excluait toute spoliation ou exclusion des entreprises concernées.

Par conséquent, ce qui doit être mis en oeuvre -et j’ai compris que c’était son état d’esprit-, c’est un accord avec les entreprises concernées pour que le partage des bénéfices soit plus favorable au peuple que cela ne l’est actuellement.

QUESTION - Monsieur le Président, l’immigration aujourd’hui est un problème énorme, aux Etats-Unis, en Europe, conséquence de la pauvreté du continent américain ou africain. Comment s’en sortir, comment résoudre ce problème ?

LE PRESIDENT -Il y a un problème immédiat, qui exige que chaque pays prenne, dans le respect des droits de l’homme, des mesures de protection qui s’imposent, sinon il y aura une véritable déstabilisation politique.

Mais ce n’est pas le fond du problème. Qu’il s’agisse notamment de l’Afrique ou d’ailleurs, les gens qui partent de chez eux ne partent pas par désir, ils partent par nécessité. Ils partent parce qu’ils ne peuvent pas vivre comme il faut chez eux, eux et leurs familles. C’est cela qui crée ce mouvement et c’est la raison pour laquelle on ne pourra pas s’y opposer si l’on ne change pas les conditions de vie, au départ.

Il n’y a pas d’autre solution à ces problèmes d’immigration que de créer les conditions du développement dans ces pays : développement des infrastructures, de l’éducation, de la santé, de l’agriculture, un certain nombre de données qui permettent à un pays de vivre. Or, aujourd’hui, les efforts qui sont faits par la communauté internationale pour le développement, ce que l’on appelle l’aide publique au développement, sont tout à fait insuffisants. Ils représentent environ un tiers de ce qui serait absolument nécessaire selon les experts de l’ONU. Il faudrait donc tripler au minimum cette aide.

On n’obtiendra pas des pays riches qu’ils triplent cette aide, d’où la position commune du Président LULA et la mienne, avec quelques-uns de nos amis, notamment le Président LAGOS, qui s’était associé tout de suite à notre effort, qui consiste à créer des ressources nouvelles, des financements innovants s’ajoutant aux financements classiques d’origine budgétaire des Etats, pour permettre de faire face aux exigences du développement.

On a fait premier pas, sous l’impulsion du Président LULA et moi-même, en créant une taxe sur les billets d’avion. C’est une petite chose, mais il était important de montrer que l’on pouvait faire autrement, il fallait manifester la solidarité internationale et l’aide au développement de façon moderne, et c’est une expérience, en réalité. On expérimente.

Je pense que ça va marcher. Les bénéfices en seront affectés essentiellement à la lutte contre les grandes pandémies,notamment le sida, la tuberculose, le paludisme, etc.··· mais ce n’est qu’un premier pas.

Il n’y a pas d’autre solution à l’émigration que le développement. Il faut créer les conditions nécessaires au développement, c’est une exigence humaine, morale et une exigence politique. Toutes les protections cèderont sous la pression extérieure, il n’y a pas d’autre solution.

QUESTION - Il y a des questions aujourd’hui qui inquiètent la communauté internationale et d’abord le Hamas. Comment voyez-vous cette question ?

LE PRESIDENT - Vous connaissez la position de l’Union européenne. J’ai observé qu’elle était partagée par la plupart des pays latino-américains. Il faut que le nouveau gouvernement palestinien reconnaisse quelques principes : le respect des accords intervenus entre Israël et l’OLP, la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat, et la renonciation au terrorisme sous quelque forme que ce soit. Cela, c’est une exigence.

Mais naturellement, on ne peut pas imaginer, en tout cas la France ne peut pas imaginer sanctionner le peuple palestinien parce qu’il a voté pour le Hamas. Le respect minimum que l’on doit aux règles de la démocratie, c’est que l’on peut imposer des choses aux gouvernements -ou tenter de les imposer- mais on ne peut pas punir les Palestiniens.

C’est la raison pour laquelle la France est hostile et opposée à toute sanction qui mettrait en cause l’aide donnée aux Palestiniens, qu’il s’agisse de l’aide humanitaire, de l’aide aux projets, ou qu’il s’agisse de l’aide pour financer les salaires des fonctionnaires.

QUESTION - Est-il possible que l’aide internationale aux Palestiniens continue, sans passer par le Hamas ?

LE PRESIDENT -Je ne sais pas si l’on peut le faire, il faut négocier cela avec le Président Mahmoud ABBAS, qui est le Président de l’Autorité palestinienne. C’est avec lui qu’il faut s’entendre sur les modalités de l’aide, mais on ne peut pas supprimer l’aide sous les trois formes que j’ai à l’instant évoquées. Je pense que le Hamas devrait normalement comprendre qu’il faut aussi qu’il mette un peu de modération dans ses positions.

QUESTION - Quant à l’Iran, Monsieur le Président, il semble que la réaction du Président AHMADINEJAD est un peu forte, comme toujours. Si jamais les Etats-Unis décident d’utiliser la force, quelle sera la position de la France ?

LE PRESIDENT - Tout d’abord, le Président iranien a des propos généralement peu conformes aux usages diplomatiques qui ont toujours prévalu, et là c’est son problème. Vous savez bien que la France considère que les méthodes militaires ne sont pas adaptées à la solution des conflits, qui sont essentiellement des conflits politiques.

QUESTION - Le terrorisme inquiète beaucoup. Il y a vingt millions de musulmans en Europe, cinq millions en France, l’Europe est-elle une cible constante pour le terrorisme ? Est-ce que cela vous inquiète un peu ?

LE PRESIDENT - Je voudrais tout d’abord que l’on ne confonde pas le terrorisme et l’islam. L’islam est une grande religion qui existe notamment en France, vous l’avez rappelé, où elle se développe d’une façon parfaitement normale, en prenant toute sa place et sans créer aucun problème particulier. D’autant que beaucoup de musulmans français sont d’origine malékite et qu’ils connaissent bien la France.

Ceci étant, il existe c’est vrai, une fraction d’islamistes intégristes militants et terroristes et cela, c’est un problème particulier, ce n’est pas le problème de l’islam, c’est le problème du terrorisme. Et celui-là, il faut mettre tout en œuvre pour le détecter et le neutraliser.

QUESTION -Pour finir Monsieur le Président, changeons de sujet. Qui va gagner la coupe du monde, à votre avis ?

LE PRESIDENT - Moi j’espère qu’il y aura une belle finale France/Brésil et que la France gagnera !
|