Le président du Parlement européen, M. Pat Cox, a appelé la classe politique européenne à réagir avec fermeté à la résurgence de l’antisémitisme observée sur l’ensemble du continent. "Les dirigeants politiques européens doivent affirmer clairement qu’ils n’acceptent pas l’antisémitisme et adopter sur ce sujet une position résolument en pointe", a-t-il déclaré mercredi, à l’occasion d’une table ronde organisée à Strasbourg par la commission des Libertés publiques et des Droits du citoyen du PE. Les débats portaient sur deux rapports sur l’antisémitisme présentés le même jour au Parlement par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes. Des députés de tous les groupes politiques du PE ainsi que des personnalités juives, musulmanes et chrétiennes ont pris part à ces débats.

"L’Europe a un problème avec l’antisémitisme", selon l’Observatoire

La multiplication d’incidents observée ces trois dernières années à travers l’Europe entière démontre qu’il existe dans l’UE un problème d’antisémitisme. C’est le principal message émanant des recherches menées par l’Observatoire. Pour l’UE, c’était la première fois que les données concernant l’antisémitisme étaient récoltées de manière systématique dans les quinze États membres suivant des critères communs définis par l’Observatoire. Un rapport de 344 pages passe en revue, dans le détail, les manifestations d’antisémitisme relevées au cours des deux dernières années (2002-2003). Un second rapport présente les recherches consacrées à ce que perçoit la communauté juive en Europe, fournissant une image personnelle des sentiments perçus par ses membres en réaction aux incidents rapportés. Quatre facettes de ce phénomène y sont soulignées : une certaine tradition antijuive chrétienne, l’antisémitisme d’extrême droite, l’antisémitisme de gauche et l’antisémitisme musulman.

Le phénomène se manifeste avec plus de force dans certains pays que dans d’autres. L’étude révèle une multiplication notable des incidents antisémites dans cinq États membres : la Belgique, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Ces incidents vont de l’agression physique et des graffitis aux discours haineux et aux menaces, en passant par le harcèlement téléphonique ou par lettres, les attaques contre les synagogues ou d’autres propriétés juives, et le vandalisme. Bien que les agressions physiques soient absentes ou assez rares en Grèce, en Autriche, en Italie et en Espagne, un virulent discours antisémite y persiste dans la vie de tous les jours. En revanche, en Irlande, au Luxembourg, au Portugal et en Finlande, on ne relève que très peu d’incidents.

Pour certains États membres, on ne dispose pas de données sur les auteurs de ces actes. Pour d’autres, le rapport désigne deux groupes principaux. Tout d’abord, en Belgique, au Danemark, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède, au Royaume-Uni, en Italie et en Autriche, il fait état d’un groupe "composé d’activistes d’extrême droite et de jeunes hommes influencés par les idées de l’extrême droite, parmi lesquels les groupes de skinheads". Ensuite, dans les pays mentionnés, à l’exception de l’Italie et de l’Autriche, les victimes affirment que les auteurs sont de "jeunes musulmans", des "personnes d’origine nord-africaine" ou des "immigrés".

Enfin, l’étude engage les États membres à agir. Ainsi, par exemple, l’UE doit se doter d’un cadre juridique strict pour faciliter des mesures politiques. Il conviendrait également de mettre en place un système efficace de collecte des données afin que les incidents futurs soient dûment enregistrés. Les enseignants ont également un rôle capital à jouer au même titre que les plates-formes interculturelles et de dialogue interconfessionnel. Note plus positive, le rapport souligne que l’on compte nombre d’exemples de bonnes pratiques dans les États membres. Elles fournissent un appui solide pour prendre ce problème à bras-le-corps et devraient s’étendre à tous les pays.

Les députés et les leaders religieux répondent

La table ronde s’est ouverte quelques heures seulement après la présentation des rapports. "L’antisémitisme pose-t-il problème en Europe ? Le rapport nous apprend que la réponse est oui", a déclaré le président Cox. Faisant allusion à l’échéance toute proche des élections européennes, il a appelé toutes les forces politiques à "bâtir une coalition fondée sur un engagement politique positif" en ratifiant la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste. "Si, en toute connaissance de cause, vous choisissez de ne rien faire, alors vous devenez vous-même complice", a-t-il ajouté. Enfin, le président Cox a félicité l’Observatoire pour son travail et a rappelé le rôle joué par le Parlement dans sa création en 1997. Et de conclure : "En tant qu’autorité budgétaire, nous devons réfléchir aux ressources qui lui sont allouées pour pouvoir traiter ce cancer qu’est l’antisémitisme".

Selon Mme Beate WINKLER, directrice de l’Observatoire, "la principale question soulevée par ce rapport est : comment l’Europe fera-t-elle face dans le futur au multiculturalisme et à la diversité ?" D’après les conclusions de l’étude, "les incidents à caractère racistes diminuent lorsque les autorités politiques font publiquement savoir que face à la xénophobie, c’est la tolérance zéro". La crise au Proche-Orient, a-t-elle indiqué, a eu une incidence sur la multiplication des actes antisémites. "Mais, il ne nous appartient pas, à nous, de juger des politiques étrangères des États membres. Nous nous occupons des problèmes dans le domaine des droits de l’homme". Au nom du PPE-DE, Mme Charlotte CEDERSCHIÖLD, députée suédoise, a mis en évidence les valeurs de tolérance au cœur de l’intégration européenne. "Pourquoi ces phénomènes se sont-ils développés ? Si nous en savions plus, nous pourrions également nous attaquer à d’autres types de discrimination", a-t-elle dit. Mme Anna TERRÓN I CUSI (PSE, E), pour sa part, a déploré le fait que l’Espagne est peu sensibilisée à la nécessité de combattre l’antisémitisme. Pour M. Olle SCHMIDT (ELDR, S), "Nous ne devons pas prêter l’oreille, ici en Europe, aux échos venus des années 30. Nous pouvons appeler ce phénomène un "nouvel antisémitisme", mais il est aussi vieux que notre histoire". Quant au problème de la diffusion de messages de haine sur l’Internet, il s’est emporté : "L’Internet nous apporte beaucoup de merdes !".

Pour beaucoup de députés, les troubles au Moyen-Orient ont eu des retombées dommageables pour les communautés religieuses en Europe. "La rhétorique antisémite ne peut être tolérée dans les discussions concernant le Moyen-Orient. Mais, si nous critiquons Israël, nous ne devons pas pour autant être accusés d’antisémitisme", a lancé M. Jonas SJÖSTEDT (GUE/NGL, S). M. Daniel COHN-BENDIT (Verts/ALE, F) a évoqué deux formes d’antisémitisme. "La première trouve son origine dans le catholicisme, comme l’illustre le nouveau film de Mel Gibson. La seconde est plus complexe. Je l’appellerai l’antisémitisme de la rue arabe. Il se caractérise par une ’sur-identification’ des Juifs à l’État d’Israël". Pour lui, la seule solution est "que les Palestiniens combattent l’antisémitisme et que les Juifs luttent contre le racisme antimaghrébin". Aux yeux de Mme Ilka SCHROEDER (Verts/ALE, D), le rapport est entaché d’une "erreur principale". Pour elle, la montée de l’antisémitisme tient à "la politique communautaire à l’égard d’Israël" et à "la propagande antisioniste répandue dans l’opinion publique européenne". De l’avis de Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY (Verts/ALE, F), le conflit israélo-palestinien a ses racines en Europe : "Lorsque de jeunes beurs [jeunes d’origine nord-africaine] s’identifient aux Palestiniens, c’est parce que leurs parents ont été, eux aussi, victimes de la colonisation. Nous ne devons pas culpabiliser ces beurs. Ce ne sont pas tous des antisémites".

Les représentants des communautés religieuses ont également exprimé leurs vues. "Ce rapport est un bilan de ce que nous avons vécu ces trois dernières années", a jugé M. Cobi BENATOFF, président du Congrès juif européen. "Ce rapport est le signe évident que les dirigeants européens prennent ce phénomène au sérieux. Mais il nous faut maintenant porter nos efforts dans la rue, les écoles, les églises et les mosquées". Selon M. Amir ZAIDAN, directeur de l’Institut d’études religieuses islamique, "si des musulmans commettent de tels actes, ils en sont aussi victimes". Il a critiqué la définition faite par le rapport des deux groupes d’auteurs d’actes de violence. "Pour les "musulmans", il est fait état de la religion, alors que pour les ’jeunes blancs’ aucun lien n’est fait avec la religion", a-t-il remarqué. L’abbé Bernard XIBAUT, de l’archevêché de Strasbourg, a estimé que la communauté chrétienne occupe une position ambivalente : "D’un côté, le christianisme est aux racines de l’antisémitisme. De l’autre, il est de notre devoir de jeter un pont entre Juifs et musulmans".

En concluant les discussions, M. Jorge Salvador HERNANDEZ MOLLAR (PPE-DE, E), président de la commission des Droits du citoyen du PE, a souligné le besoin de dialogue à l’avenir et a estimé que le conflit israélo-palestinien ne pouvait justifier des actes de violence en Europe.

Source : Parlement européen, Commission des Libertés et des Droits des citoyens, de la Justice et des Affaires intérieures.