M. LAKHDAR BRAHIMI, Conseiller spécial du Secrétaire général, a informé cet après-midi les membres du Conseil des résultats de la Mission qu’il a menée en Iraq du 4 au 15 avril, une Mission qui s’est déroulée dans un contexte extrêmement préoccupant en matière de sécurité. Un climat général de tension et d’anxiété persiste en raison notamment du siège de Falloujah, de la révolte de l’armée du Mahdi dans le Sud et d’une violence généralisée. Les préoccupations en matière de sécurité demeurent
Evoquant la situation dans la ville de Falloujah, M. Brahimi a expliqué que le 22 avril, les membres de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq, basés à Amman, ont reçu une délégation venant de Falloujah alléguant la mort de plusieurs centaines d’habitants et de plus d’un millier de blessés, des accusations que la Mission n’a pas été en mesure de vérifier. Il ne fait pas de doute cependant que beaucoup de vies ont été perdues, que les civils ont vécu de grandes souffrances et que le risque d’une confrontation sanglante, qui aurait des conséquences dramatiques et de longue durée, est réel.
La situation dans les villes de Najaf et de Karbala, des villes saintes pour des millions de Chiites, est extrêmement précaire et compliquée. Nous joignons notre voix à celles qui demandent le respect du droit et un règlement pacifique de cette crise. Le Conseiller spécial a reconnu que la liberté de mouvement de son équipe a été limitée pour diverses raisons et que sans l’aide de l’Autorité provisoire de la Coalition, elle n’aurait pas pu être possible. En dépit des circonstances, nous avons été en mesure de rencontrer des dirigeants politiques, religieux, des groupes de femmes, des membres du monde universitaire, des intellectuels et des artistes ou encore des hommes d’affaires.
L’une des questions clés est de savoir si même un processus politique crédible peut être viable dans de telles circonstances. Dans ce contexte, la tâche dans laquelle nous sommes actuellement impliqués, à savoir la formation d’une administration qui assumera les responsabilités à la date du 30 juin, fait partie d’un processus plus vaste qui doit être placé dans son contexte : à savoir la guerre et l’occupation et avant cela, un régime brutal, des sanctions et deux guerres dévastatrices. Dans ce contexte, est-il possible d’aller de l’avant, s’est demandé M. Brahimi. Un tel processus est-il viable et crédible ? Un processus politique viable n’est pas la panacée mais contribue de manière significative à la sécurité. L’absence d’un tel gouvernement est un des éléments du problème.
Presque tous les Iraquiens que nous avons rencontrés ont insisté sur la nécessité de mettre un terme à l’occupation au plus tard le 30 juin. Ensuite, les élections prévues pour janvier 2005 constituent l’étape la plus importante et l’équipe électorale des Nations Unies s’est déjà mise à la tâche à Bagdad. La majorité des Iraquiens que nous avons rencontrés sont unanimes pour demander que le gouvernement soit mené par un premier ministre qualifié. Nous suggérons qu’un président assume les fonctions de chef d’Etat et qu’il soit appuyé par deux vice-premiers ministres. De façon générale, il est possible d’envisager de nombreuses combinaisons dans la structure du gouvernement intérimaire, mais le plan que nous suggérons a le mérite de la simplicité, a précisé le Conseiller spécial du Secrétaire général.
Abordant la question des responsabilités et des contraintes pesant sur ce gouvernement intérimaire, M. Brahimi a indiqué que par définition il devait avoir une durée de vie assez courte, puisque son seul objectif sera de procéder à l’administration du pays au jour le jour, et uniquement jusqu’à la prise de fonctions d’un gouvernement démocratiquement élu. Les membres de ce gouvernement devront prendre soin de ne pas donner l’avantage à un quelconque parti ou groupe. Il serait bon que le président intérimaire, les vice-présidents et le premier ministre ne soient pas candidats aux élections. N’étant pas démocratiquement élu, le gouvernement intérimaire devra prendre soin de ne pas prendre d’engagements à long terme, et devra consulter les représentants de tous les pans de la société. A cette fin, M. Brahimi a suggéré la création d’une assemblée consultative ou conseil.
Le gouvernement intérimaire, chargé de s’occuper des affaires courantes, devrait, idéalement, être sélectionné par le peuple iraquien, a indiqué M. Brahimi. L’ONU peut apporter son assistance à cet égard, en identifiant les points de consensus. Les personnalités choisies devront avoir une vue extrêmement claire de la nature des relations entre le gouvernement intérimaire, les ex-puissances occupantes et toute force étrangère demeurant dans le pays après le 30 juin.
La convocation d’une conférence nationale permettrait de forger un consensus national. Cette conférence ne devrait pas être organisée par l’ONU, mais par un comité préparatoire iraquien, comportant un nombre réduit de personnalités iraquiennes distinguées. Ce comité aura besoin d’un à deux mois de consultations, pour organiser une conférence nationale de 1 000 à 1 500 participants, représentant tous les pans de la société iraquienne, toutes les provinces, tous les partis politiques, des représentants syndicaux, les femmes, les organisations de jeunesse, ainsi que des poètes et artistes. « Pendant les trois dernières décennies » a déclaré M. Brahimi, « les Iraquiens ont cessé de communiquer entre eux dans le pays », ajoutant qu’il avait souvent entendu des Iraquiens déclarer qu’ils avaient peur de parler en face de leurs enfants. La conférence aborderait les thèmes de la sécurité, des élections et certains aspects de la loi transitionnelle.
M. Brahimi s’est félicité de la déclaration de l’Ambassadeur Bremer, selon lequel le gouvernement intérimaire ne devrait pas prendre de décision irrévocable pour le gouvernement élu l’année suivante. Enfin, la conférence nommerait un conseil consultatif. Le rôle de la conférence serait donc vaste, et le moindre ne serait pas la réconciliation nationale. Mais il ne saurait être question de reconstituer l’ancien régime ou de rappeler ses dirigeants. « La réconciliation nationale n’est pas un euphémisme pour l’impunité », a déclaré M. Brahimi, mettant en garde contre toute tentation de pardonner les abus commis pas le passé, ou d’abandonner le principe de responsabilité.
M. Brahimi a par ailleurs brossé un tableau des mesures pouvant permettre de renforcer la confiance en Iraq, car les mesures prises par l’Autorité provisoire de la Coalition auront un rôle important dans la période intermédiaire, notamment sur la façon dont est formée la nouvelle armée et sur les droits des détenus. Ainsi que l’a indiqué M. Bremer, l’Autorité provisoire de la Coalition a l’intention de procéder à des mesures pour corriger la « dé-baathification ». Si ces mesures permettaient à des milliers de professeurs de travailler à nouveau et de recevoir leurs retraites, cela constituerait un pas important vers la réconciliation. Autre mesure importante envisagée par l’Autorité provisoire : la dissolution des milices existantes, notamment l’« armée du Mahdi », mais pas seulement. Ce genre de mesures permettrait d’améliorer un peu l’atmosphère qui entoure le processus politique.
Pour l’avenir, a conclu M. Brahimi, les consultations en Iraq devront reprendre dès que possible, dans l’espoir que le processus d’instauration du gouvernement intérimaire pourra être achevé d’ici à la fin du mois de mai 2004. Cela se fera en consultation constante avec le peuple iraquien et avec les voisins de l’Iraq. Malgré les difficultés, cette entreprise pourra être menée à bien, si l’on se tient à des cibles solides mais réalistes, et si nous ne sommes pas seuls, a indiqué M. Brahimi. « Il faudra, en particulier, que le Conseil de sécurité soit uni derrière nous ».
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter