Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d’abord saluer et remercier les journalistes brésiliens, étrangers et français qui ont bien voulu suivre ce voyage. Je voudrais remercier chaleureusement le président Lula pour un accueil exceptionnel, digne des grandes traditions d’hospitalité de son grand et beau pays et aussi de sa propre nature. Je l’ai particulièrement félicité ce matin pour la parade militaire de grande qualité qui nous a été offerte et notamment pour les acrobaties de la patrouille du Brésil. La patrouille du Brésil devait faire ces acrobaties également à Paris, malheureusement cela n’a pas été possible, parce qu’il a une règle très stricte à Paris, on ne peut pas faire d’acrobaties au-dessus de la capitale. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas pu avoir, l’année dernière, la patrouille du Brésil et je suis particulièrement heureux d’avoir pu la voir aujourd’hui. Je ne doute pas que, par la télévision, les Français pourront bénéficier du spectacle que nous avons eu ce matin.

Cette visite répond à celle qu’avait faite le président Lula, en juillet dernier, à Paris. Un certain nombre de raisons l’explique : d’une part, le Brésil est devenu l’un des très grands acteurs du monde d’aujourd’hui. D’autre part, il partage avec nous beaucoup de valeurs et beaucoup d’engagements. Nous avons entre Brésiliens et Français de profondes affinités, depuis longtemps, historiques et qui ne cessent de se développer, comme en témoigne d’ailleurs le très grand succès, l’immense succès qu’a eu l’Année du Brésil en France, l’année dernière, à laquelle d’ailleurs le président Lula avait aussi participé.

Nous avons également examiné les problèmes de la situation internationale. Vous savez, nous avons une vision largement commune en ce qui concerne la politique internationale, axée sur quelques idées simples et fortes : une mondialisation mieux maîtrisée, plus équitable, plus juste et ceci dans le cadre d’un monde multipolaire. Nous avons aussi une ambition commune qui est de participer, notamment, dans les pays les plus pauvres, à la lutte contre la faim, et au financement du développement. Je n’y reviendrai pas nous en avons déjà parlé. S’agissant de la lutte contre la faim, je tiens à rendre en particulier hommage à ce qui a été fait ici par le président Lula, avec ce système qui pourrait servir de modèle à bien des pays dans le monde et qu’il a appelé "bourse famille". Il permet à quelques 12 millions, je crois, de familles de pouvoir manger et vivre de façon à peu près convenable, dans le cadre de la lutte engagée par le président Lula contre la faim et contre la pauvreté.

C’est, à cette échelle, un exemple unique dans le monde contemporain de lutte contre la faim, contre l’extrême pauvreté et de lutte efficace, parce que cela porte sur un très grand nombre de familles. Je voudrais rappeler que j’ai tenu à rendre un hommage particulier à une action de cette importance.

D’autre part, nous avons évoqué les problèmes d’Haïti. Nous partageons la même inquiétude, la même condamnation du fait que la société haïtienne a été maintenue dans une situation honteuse, pendant si longtemps, et qui a besoin de la main du monde pour sortir de ses difficultés. Le Brésil a tendu une main secourable et je ne peux que remercier le Brésil et notamment, les casques bleus brésiliens qui ont fait une action très méritoire, parmi quelques autres, en Haïti.

Cette conception commune du monde a conduit naturellement les Français à soutenir une réforme de l’ONU et, notamment, du Conseil de sécurité, qui est tout à fait nécessaire aujourd’hui, de façon à actualiser ce Conseil de Sécurité. Cette réforme suppose, bien entendu, l’entrée du Brésil en tant que très grande puissance au sein de ce nouveau Conseil de sécurité.

Le Brésil est par ailleurs, nous en avons longuement parlé, un élément clé de la construction régionale dans les Amériques à travers le MERCOSUR. Nous avons évoqué notre réunion de Vienne, je rappelle que c’est à Rio que nous avons décidé de réunir ensemble les pays européens et les pays d’Amérique du Sud, l’Amérique latine. La dernière réunion a eu lieu à Vienne et elle nous a permis de prendre davantage conscience des solidarités nécessaires entre nos deux mondes qui partagent, entre autres choses, une culture commune sur bien des points.

Sur le plan bilatéral, nous avons évoqué nos problèmes, qui sont d’ailleurs des problèmes simples. Je rappelle que le Brésil est notre premier partenaire commercial en Amérique latine. Qu’il y a quelques 500 entreprises françaises qui emploient 250.000 personnes au Brésil et que nous nous situons au 4ème rang des investisseurs étrangers au Brésil. Le Brésil est également notre premier partenaire en Amérique latine pour la coopération culturelle, scientifique et technique. Avec ses 74 implantations et ses 30.000 élèves, le réseau des alliances françaises au Brésil est le plus dense et le plus important du monde. La dimension américaine de la France est par ailleurs reconnue par le Brésil : nous avons 700 kilomètres de frontière commune par la Guyane avec le Brésil et nous sommes soutenus par le Brésil pour ce qui concerne la présence en tant qu’observateur dans l’Organisation du traité de coopération de l’Amazonie.

Enfin, nous avons évoqué le pont sur l’Oyapock ; je reconnais que nous avons pris par rapport au Brésil un peu de retard pour la ratification parlementaire, mais ce sera chose faite incessamment. Nous allons pouvoir commencer ce pont sur l’Oyapock rapidement, puisque les études ont été faites, qui va d’un côté de l’autre de la frontière et qui permettra de relier la Guyane française à la région de l’Amapa.

Nous souhaitons continuer à franchir des étapes dans notre partenariat technologique, en particulier plusieurs accords de travail ont été conclus et ont fait l’objet soit de signature, soit d’accords. Dans l’énergie notamment, s’agissant du nucléaire civil, dans l’espace - je parle de travail de groupes de travail : dans l’espace, où notre coopération doit se développer et où la présence de la base de Kourou nous permet de faciliter les échanges dans ce domaine avec le Brésil. Dans le domaine de la défense et de l’aéronautique, en particulier, avec des relations très importantes entre nos deux pays, avec l’innovation et la lutte contre le changement climatique, qui est l’une de nos préoccupations.

Aujourd’hui, de nouveaux accords ont été signés, on les a évoqués tout à l’heure, tout ceci pour vous dire que la relation entre nos deux pays reste une relation véritablement d’amis, excellente et sans problème.

Voilà simplement ce que je voulais dire avant que le président donne la parole à ceux qui souhaiteraient la prendre.

Q - Ma question s’adresse aux deux présidents : vous avez évoqué, Monsieur le Président de la République, le différend qui oppose nos deux pays à l’OMC sur la question des subventions agricoles. Quel contenu mettez-vous dans le "donnant-donnant" dont vous avez parlé, Monsieur Chirac, dans votre interview à "TV GLOBO" ? Qu’êtes-vous prêt à concéder l’un et l’autre pour sortir de l’impasse ? Le Brésil est-il prêt à ouvrir davantage son marché à l’industrie et aux services européens ?

R - Merci de cette question. On a l’habitude de dire que nous avons un différend sur l’OMC. Il y a quelques divergences de vues, je n’appellerais pas vraiment cela un différend. Dans cette affaire, il y a trois parties qui défendent chacune leur intérêt. Il y a l’Europe, il y a les pays émergents - et notamment le Brésil, mais aussi d’autres avec lui -, et puis il y a les Etats-Unis qui, en réalité, détiennent la clé du problème. Cette clé, elle n’est ni en Europe, ni au Brésil, ni chez les pays émergents.

Je voudrais rappeler une ou deux choses. D’abord, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je le répète, il est faux de dire que l’Europe est un marché fermé. C’est un marché très largement ouvert. Si je prends seulement la France, je constate que la France importe d’Amérique latine, pas du Brésil, chaque année pour deux milliards et demi de dollars. Et elle exporte en Amérique latine quatre cent millions de dollars. Vous voyez la différence. Donc, on ne peut parler d’une difficulté d’exportation d’Amérique latine vers l’Europe. L’Europe est un marché très ouvert, notamment sur le plan agricole.

Alors d’où vient le problème ? Car il existe. L’Europe a fait toute une série d’avancées. Elle a fait deux réformes successives de la Politique agricole commune, dans le sens de découpler - ce que souhaitaient, et je le comprends, un certain nombre de pays, notamment les pays émergents - les aides avec la production. Elle a diminué sensiblement ses aides. Elle a pris des engagements formels de les diminuer de l’ordre de 45%. J’avais dit 46, mais le ministre des Affaires étrangères du président Lula, qui est un fin technicien m’a fait remarquer que c’était en réalité 40. Enfin, disons de l’ordre de 45% pour les droits de douane.

L’Europe a fait tout ce qu’elle devait et pouvait faire et, honnêtement, ne se sent pas en mesure de faire un pas de plus tant que d’autres choses n’auront pas bougé. Quoi ? Alors, naturellement, il y a le fait que les pays concernés n’ont fait aucun pas significatif en direction de l’Europe, soit sur le plan de l’industrie, soit sur le plan des services. Et qu’on aurait pu attendre quelques avancées dans ce domaine en échange de tout ce qui avait déjà été fait par l’Europe. Mais ce n’est pas cela le fond du problème.

Le fond du problème, c’est que l’intérêt essentiel est celui des Etats-Unis. Les Etats-Unis n’ont absolument pas accepté de bouger sur quoi que ce soit. Ils continuent à avoir les subventions intérieures et le soutien au marché intérieur les plus importants, et de loin, du monde, sans accepter de remettre le moins du monde en cause cette situation. Ils ont un système qui finance très largement, y compris de façon indirecte par l’aide alimentaire, les exportations de biens agricoles américains sans que, là aussi, il n’y ait aucune intention de faire le moindre pas.

Je disais au président Lula que sur l’affaire de l’OMC, tout le génie de nos amis américains a été de faire croire que c’était un problème entre les pays émergents et l’Europe, ce qui n’est absolument pas le cas. S’il n’y avait que les problèmes entre les pays émergents, notamment le Brésil, et l’Europe, il serait réglé sans aucune difficulté et avec des concessions très inférieures à celles que l’Europe a été amenée à faire. Le problème fondamental, c’est la situation des Américains.

Alors je lui ai dit : essayons d’abord de nous liguer pour faire une amicale pression sur les Américains, de façon à ce qu’ils deviennent plus raisonnables en terme de soutien intérieur, c’est-à-dire avec une réforme de leur "farm act" de 2002. Qu’ils deviennent plus raisonnables sur leur soutien, tout à fait excessif, aux exportations. Et à ce moment-là, on réglera nos problèmes internes avec un tout petit effort, de part et d’autre, sans aucune difficulté.

Q - Je voudrais poser une question à Monsieur le Président Chirac. Je voudrais savoir comment l’Union européenne voit les questions de la Bolivie, le cas du gaz en Bolivie et si cela peu changer d’une certaine façon l’attractivité de la région. Est-ce que vous croyez qu’il n’y a plus de risque ?

R - Le président Lula a parlé avec sagesse, je n’ai rien à ajouter. Je n’ai, en particulier, pas de commentaire à faire sur les changements politiques qui sont intervenus dans tel ou tel pays. Moi, j’ai rencontré deux fois déjà, officiellement, le président Morales et j’ai eu le sentiment qu’il était tout à fait décidé à tenir compte de l’ensemble des intérêts en jeu et qu’il était tout à fait sensible aux arguments qui pouvaient être donnés par les différents pays concernés, à commencer, bien entendu, par le Brésil.

Donc, je n’ai pas de commentaire à faire sur ce point. Et je fais confiance aux deux présidents pour trouver une solution harmonieuse à cette petite difficulté. En revanche, je tiens à dire que les entretiens que j’ai eus avec le président Morales m’ont conduits à constater que c’était tout de même un homme qui avait rendu son honneur à un peuple meurtri.

Q - Ma question s’adresse aux deux présidents. Elle porte sur le dossier du nucléaire iranien. La France et le Brésil se prononcent pour une solution diplomatique, pour le multilatéralisme sur ce dossier, mais il semble que cette voie diplomatique commence à s’épuiser. Ce refus répété de l’Iran de renoncer à l’enrichissement d’uranium, est-ce que vous n’avez pas le sentiment que la communauté internationale est entrée dans une impasse sur cette question, une impasse qui serait lourde de menaces. Comment réagissez-vous aussi pour évoquer le contexte régional ici en Amérique latine aux propos du président Hugo Chavez qui a affirmé son soutien au programme nucléaire iranien et a déclaré que l’Iran était confronté à une menace impérialiste de la part des Etats-Unis ?

R - Je crois que le président Lula a encore parlé avec sagesse. Ce n’est pas un problème de contestation du droit pour l’Iran à avoir la technologie nucléaire. C’est un problème de respect d’une décision internationale qui s’impose à tous, à ce titre. Et elle s’impose à tous, non pas pour ennuyer qui que ce soit, simplement parce que les risques sont considérables, aussi bien d’utilisation d’une arme nucléaire avec les conséquences que cela peut comporter, que le risque très important de prolifération que cela implique.

Voilà les raisons pour lesquelles j’approuve tout à fait ce qu’a dit le président Lula.

Q - Le président Lula a évoqué le football, est-ce que vous en avez vraiment parlé entre vous ?

R - Evidemment, on ne peut pas être Brésilien et Français et, actuellement, ne pas avoir au moins un propos affectueux, admiratif pour la coupe du monde. Alors, le sport nous réserve bien des surprises et je ne sais pas ce qui se passera.

Je peux exprimer un vœu, c’est que, compte tenu, c’est vrai, de l’exceptionnelle qualité actuelle de l’équipe du Brésil, je fais un vœu, c’est que la finale soit une finale France-Brésil. Je dois à la vérité de dire que j’ai un peu hésité sur ce sujet. Parce que dans un premier temps, je m’étais dit, tout de même, vis-à-vis de l’Allemagne, ce n’est pas convenable. C’est eux qui nous reçoivent, ce sont nos amis traditionnels. Nous sommes liés par un pacte fort d’amitié au sein de l’Union européenne, et par conséquent, tout de même, France-Allemagne, et puis il y aurait peut-être moins de risque que France-Brésil.

Et puis, finalement, cela n’a pas résisté à la réflexion. Je me suis dis qu’au total, je retiendrai, je crois que c’est le 9 juillet, mes places pour la finale, pour le France-Brésil et que le meilleur gagne !

Q - Pour nous tous, ici, au Brésil, je voudrais vous dire que c’est un thème clé pour la solution à la pauvreté et à l’injustice dans le commerce international. Je demanderai donc au président Chirac quelle est la garantie, que la France, en tant que membre de l’Union européenne, va définitivement présenter une proposition d’ouverture du marché agricole qui soit raisonnable pour nous tous pays en développement ?

R - Je vous ai répondu, chère Madame, tout à l’heure de la façon la plus claire. Je m’en suis longuement expliqué avec le président Lula. Je vous ai dit tout à l’heure quelle était la position de l’Europe, quelle était la position des pays émergents. Au sein des pays émergents, quel était le problème des pays les moins avancés. Et quels étaient enfin les problèmes américains. Et je vous ai dit dans quel cadre nous pouvions trouver un accord sur l’ensemble, pour peu que chacun y mette du sien, et le principal, c’est aux Américains, je vous l’ai dit.

Merci beaucoup./.