L’éditorial du principal hebdomadaire de la gauche états-unienne, The Nation, s’émeut des pressions qu’à subi l’architecte britannique Richard Rogers de la part du lobby pro-israélien et des grandes organisations juives aux États-unis, pour avoir offert son soutien à une organisation d’architectes et d’urbanistes palestiniens.

Richard Rogers, ou Lord Rogers of Riverside, comme il faut désormais l’appeler en Grande-Bretagne est l’un des architectes les plus acclamés au monde. Depuis le Centre Pompidou à Paris en 1977, sa carrière a été une succession de triomphes : l’immeuble Lloyds à Londres, le tribunal européen des droits de l’homme à Strasbourg, le Millennium Dome à Greenwich, le nouvel aéroport de Madrid… Rogers est également célèbre pour ses opinion progressistes et son incroyable réseau d’amis, associés et admirateurs. C’est pour cela que, quand il a accepté, en février 2006, de présider à Londres la réunion inaugurale de l’association « Architectes et urbanistes pour la justice en Palestine », personne n’y a prêté attention, surtout pas ici aux États-Unis.

Enfin, du moins jusqu’au mois de mars suivant, quand Rogers a découvert que la moindre association, aussi lointaine soit-elle, avec la cause Palestinienne suffisait à mettre en péril tous ses projets architecturaux à New York. Rogers, qui avait remporté le chantier de la reconversion du centre de conférences Jacob Javits Convention Center ainsi que le renovation urbaine du Lower East Side a du se rendre séance tenante à une réunion du groupe d’investisseurs, l’Empire State Development Corporation au cours de laquelle Sheldon Silver, représentant du conseil de New York exigea que Rogers soit publiquement écarté de tout projet architectural recevant des fonds publics ; Silver menaça également Silvercup Studios, un complexe cinématrographique dans le Queens, en affirmant que s’ils prennaient Rogers comme architecte, ils n’auraient pas de bonus fiscal. Malcolm Hoenlein, vice-président de la Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations (Conférences des présidents des grandes organisations juives américaines), déclara que la sélection de Rogers était « une insulte à la mémoire du Sénateur Javits », notant que feu le sénateur Republican avait toujours été un défenseur inconditionnel d’Israël.

Il n’y a pas d’héros dans ce récit de l’Inquisition Américaine de Rogers. Le fils d’un docteur juif qui avait fui l’Italie fasciste pour Londres aurait pu rappeler à ses inquisiteurs que le président du groupe d’architectes pro-palestinien, Abe Hayeem, est lui même juif israélien. Il aurait pu faire remarquer que les critiques de ce groupe vis-à-vis de la politique israélienne, notamment du mur de séparataion, ne font que reprendre les termes employés par la Cour internationale de justice. Au lieu de cela, Lord Rogers s’est dégonflé plus vite qu’une baudruche de carnaval, abandonnant ses collègues - ainsi que les Palestiniens - et faisant un mea-culpa aussi brutal qu’efficace.

« An American Inquisition », Éditorial, The Nation, États-unis, mai 2006.