Thierry Meyssan

Par la volonté de la Fédération de Russie, la sécurité énergétique mondiale sera au centre des débats du G8 à Saint-Petersbourg. On peut y voir, comme le fait la presse atlantiste, une nouvelle manœuvre de Vladimir Poutine pour exploiter au maximum l’avantage que lui donnent les réserves de son pays en pétrole et en gaz. On ne manquera pas alors de parler du « chantage » que le « nouveau tsar » exerce déjà sur ses voisins, comme l’Ukraine, et qu’il souhaiterait étendre à tout le continent européen.

C’est une vision erronée qui masque bien des enjeux.

La consommation mondiale d’énergie ne cesse d’augmenter alors que la production est de plus en plus onéreuse. Les États-Unis, depuis la présidence Carter (doctrine Brzezinski) et singulièrement au cours de la présidence George W. Bush, se sont lancés dans un vaste programme de contrôle militaire des ressources énergétiques mondiales, non seulement du pétrole et du gaz, mais aussi du nucléaire civil. Cette ambition les a conduit à occuper l’Irak et les pousse aujourd’hui à menacer l’Iran, la Syrie, le Soudan et le Venezuela. Ne se limitant pas à la défense de leurs intérêts directs, les États-Unis ont décidé de contrôler l’accès des autres puissances aux sources d’énergie (doctrine Kissinger) et même de brider la consommation et le développement des rivaux émergents que sont l’Union européenne et la Russie (doctrine Wolfowitz).

Dans ces conditions, il est illusoire de prétendre défendre la paix sans trouver de solution à la quête énergétique.

La Russie tient plusieurs atouts en main et entend les utiliser à la fois dans son intérêt propre et dans celui de la communauté internationale. En matière de nucléaire, la Fédération de Russie a mis au point un procédé d’enrichissement de l’uranium qui ne serait utilisable qu’aux fins civiles. On pourrait donc généraliser la production d’énergie par des centrales nucléaires civiles sans craindre la prolifération militaire. Ce procédé étant sous licence russe, Moscou obtiendrait seul les contrats de construction de ces centrales.

En matière de gaz, une source d’énergie appelée à prendre largement le relais du pétrole, la Russie a hissé ses prix au niveau de ceux du marché mondial et cessé de subventionner l’Ukraine et la Géorgie depuis que ces deux États se sont éloignés d’elle. Elle a conclu un accord avec l’Iran pour se diviser le marché mondial et garantir l’approvisionnement des États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai. Dans un rapport secret co-rédigé avec la société française Total, dont nous publions aujourd’hui en exclusivité une analyse réalisée par nos confrères de Ria-Novosti qui en ont eu connaissance, les experts russes proposent de conclure un vaste accord qui garantisse à la fois l’approvisionnement de l’Europe occidentale et le développement de la Fédération de Russie ; une perspective que les États-Unis redoutent depuis quinze ans.

C’est là que le bât blesse. Il semble peu probable que les États-uniens laissent les Européens s’engager dans cette voie qui les éloignerait d’eux. C’est pour couper toute possibilité d’acheminement Est-Ouest que Washington a pris le contrôle de l’Ukraine et isolé la Biélorussie. C’est pour dépasser ce nouveau cordon sanitaire que l’Allemagne a placé l’ancien chancelier Schröder à la tête d’un consortium capable de construire un gazoduc de contournement.

En définitive, l’approvisionnement des États-Unis reste le plus problématique, d’autant que leur consommation par habitant est deux fois plus élevée que celle de l’Union européenne. Leurs installations nucléaires civiles sont insuffisantes. Leur localisation géographique ne leur permet pas de compter massivement sur le gaz asiatique. Face à la résistance armée, ils ne parviennent pas à exploiter les gisements irakiens. Leur besoin énergétique les tourne donc vers les réserves américaines, principalement vénézuéliennes et boliviennes. Pour le moment, ils refusent d’en payer le prix et espèrent encore pouvoir s’en emparer par la force.

En d’autres termes, la prospérité mondiale dépend d’une réorganisation des alliances économiques dans laquelle les États-Unis accepteraient de perdre leur actuelle prééminence. Il leur appartiendra de choisir au sommet du G8 entre leur fantasme de domination mondiale d’une part et leur survie économique pacifique de l’autre.