Comme nous l’avions déjà noté dans ces colonnes, le conflit entre le Hamas et le Fatah a été instrumentalisé par les mouvements pro-sionistes. C’est avec une excitation à peine dissimulée ou une légère affliction feinte que certains éditorialistes ou analystes traditionnellement liés à Israël ont annoncé une future « guerre civile palestinienne ». Un tel conflit interne anéantirait en effet une grande partie des forces de résistance palestinienne et, quoi qu’il en soit, les détourneraient de la résistance aux forces d’occupation.
Face à la dégradation de la situation, on avait bien vu certains dirigeants arabes, tel le roi Abdallah de Jordanie dans le Jordan Times et l’International Herald Tribune, lancer de très timides appels à l’apaisement, mais rares étaient ceux qui, dans la presse occidentale dominante, semblaient vouloir empêcher une confrontation. Après tout, ne marquait-elle pas l’aboutissement logique de la « guerre interne à l’islam » entre « modérés » et « radicaux » qui fait couler tant d’encre dans les pages opinion ?

Certes, certains jusqu’au-boutiste, comme l’ancien président du Likoud international Zalman Shoval, assurait dans le Jerusalem Post, qu’on ne pouvait pas plus faire confiance à Mahmoud Abbas qu’au Hamas. Mais cette position restait minoritaire.
En coulisse, comme l’a expliqué Jennifer Loewenstein, dans nos colonnes, les États-Unis et Israël donnaient même à Mahmoud Abbas les moyens militaires nécessaires à une confrontation avec le Hamas.

Mais, malheureusement pour Israël, la guerre civile n’a pas eu lieu. Le Hamas et le Fatah se sont entendus sur le « document des prisonniers », un texte reconnaissant Israël comme un fait, mais demandant un retour aux frontières de 1967, réaffirmant le droit au retour des réfugiés et soutenant la lutte armée tant que cet objectif ne serait pas atteint.
Cet accord fut vigoureusement dénoncé par l’ancien fonctionnaire du département d’État, Aaron David Miller dans le Los Angeles Times et par l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères Schlomo Ben-Ami dans l’International Herald Tribune.

Au milieu de ce débat, l’ancien assistant du représentant du Quartet diplomatique James Wolfensohn, Christian Berger, s’inquiétait dans le Daily Star d’une destruction prochaine de l’Autorité palestinienne par Israël. Ce point de vue était alors isolé. L’auteur estimait qu’une telle disparition priverait les Palestiniens de tout prestataire de service public, ruinerait la solution des deux États et n’était donc absolument pas souhaitable.
Il semble que cette anticipation d’une possible disparition des autorités palestiniennes était pourtant plus que judicieuse. En effet, la concorde palestinienne autour du « document des prisonniers » a disparu des gros titres de la presse internationale dominante concernant le Proche-Orient. Elle a laissé place à un événement dramatique mais anecdotique dans une guerre continue de plus de 50 ans : l’enlèvement d’un caporal franco-israélien, Gilad Chavit. Ce fait, monté en épingle par les services de communication militaire, sert aujourd’hui de prétexte à une offensive israélienne d’une violence inouïe contre les Palestiniens à Gaza. Il est probable que cette offensive vise principalement à reprendre ou détruire les stocks d’armes livrés par Israël à Mahmoud Abbas pour mener la guerre civile et dont Tel-Aviv peut craindre, après l’accord sur le document des prisonniers, qu’ils ne servent aux factions palestiniennes réunies à reprendre la résistance. Toutefois, dans les médias israéliens, cette offensive est presque exclusivement présentée sous l’angle officiel d’une réaction à l’enlèvement et le débat ne porte que sur une question : la dissolution de fait de l’Autorité palestinienne.

C’est ce que demande concrètement l’éditorialiste associé du Jerusalem Post, par ailleurs directeur du programme d’étude des gestions de conflit de l’université Bar-Ilan, Gerald M. Steinberg. Il estime que les derniers développements ont démontré que le retrait de Gaza était une erreur et qu’il faut que les forces armées israéliennes réoccupent non seulement Gaza mais conservent le contrôle de la Cisjordanie. Par conséquent, après avoir servit de légitimation à l’annexion de territoires de Cisjordanie derrière le Mur, le « retrait » de Gaza, ne serait finalement qu’une parenthèse. Notons que ce point de vue n’est malheureusement pas isolé puisque d’après un sondage réalisé par Ha’aretz, 64 % des lecteurs de ce quotidien réputé de gauche sont favorables à une nouvelle occupation directe de Gaza.
Le président du Washington Institute for Near East Policy et ancien conseiller de Bill Clinton pour le Proche-Orient, Dennis Ross, ne va pas aussi loin. Dans le Jerusalem Post, il assure cependant qu’il faut continuer à « affaiblir » le Hamas et qu’il faut rendre l’intégralité du pouvoir à Mahmoud Abbas à la tête d’une milice de 10 000 hommes qui devra pacifier les territoires palestiniens. Bref, il faut mettre en place une milice de collaboration chargée de faire le travail pour Israël dans la lutte contre la résistance. Au passage, l’auteur accuse Damas d’avoir inspiré l’enlèvement du caporal Chavit. En somme pour M. Ross, il faut en revenir au plan initial, avant la signature de l’accord du Hamas et du Fatah.
Rare analyste à traiter du sujet hors de la presse israélienne ou arabe, le professeur Shlomo Avineri développe une analyse similaire dans une tribune diffusée par Project Syndicate et publiée, à l’heure où nous écrivons ces lignes, par les seuls Daily Star et Korea Herald. Il estime que les derniers évènements sont la faute du Hamas qui, comme les Palestiniens depuis 60 ans, refusent tout compromis et attaquent Israël. Le document des prisonniers n’est pas une solution acceptable non plus pour l’auteur puisqu’il légitime la résistance armée. Par conséquent, M. Avineri pose ouvertement la question de l’existence du gouvernement du Hamas et de son maintien.

L’historien pacifiste israélien Ze’ev Sternhell est bien isolé dans la presse israélienne pour condamner l’action du gouvernement Olmert. Il estime qu’elle ne fait que reprendre les grandes lignes de la politique du Likoud, qu’elle ne peut mener qu’au chaos et ne cherche pas la paix. Il voit dans l’action israélienne une politique criminelle qui prétend répondre à des actes terroristes en s’en prenant sciemment à une population civile. Pour lui, les actions d’Olmert ne visent qu’à continuer d’annexer des territoires, ce qui ne peut être une solution si on cherche la stabilité.

La presse des pays arabes développe bien entendu une toute autre approche que la position israélienne dominante.
L’éditorialiste pan-arabe, Patrick Seale, analyse dans une chronique de Gulf News, exceptionnellement reprise dans The Guardian, les motivations des attaques israéliennes. Pour l’auteur, il ne fait aucun doute que l’enlèvement du caporal Chavit n’est qu’un prétexte. Les vraies raisons sont d’ordre militaire (empêcher les Palestiniens de riposter aux attaques israéliennes en les brisant) et politique (empêcher l’application de l’accord trouvé autour du « document des prisonniers »).
Le journaliste palestinien Jaouad Elbechiti, Alquds al-Arabi partage cette manière de voir. Il estime lui aussi que l’enlèvement du soldat est sans rapport avec la violence actuelle. Il s’intéresse cependant davantage aux actions du gouvernement que le Hamas devrait entreprendre selon lui. Il demande à ce dernier de se mettre en grève politique afin de pousser les dirigeants arabes à réagir. On peut s’interroger sur la pertinence de cette proposition quand on observe le souhait de nombreux éditorialistes de la presse dominante d’en finir avec le gouvernement du Hamas. Par ailleurs, il estime que l’enlèvement du caporal israélien est en réalité un acte de guerre classique et que par conséquent, celui-ci doit être traité comme un prisonnier de guerre de l’Autorité palestinienne.

Dans AlarabOnline, Ali Ouhida, correspondant du quotidien auprès de l’Union européenne, se désole de la façon dont Bruxelles réagit, ou plutôt ne réagit pas à la destruction du gouvernement du Hamas par Israël. Pour lui, Javier Solana a fait le travail d’Israël en faisant adopter des positions anti- Hamas aux États européens. Ces positions d’hier privent aujourd’hui l’Union européenne de toute possibilité de critiquer l’action « anti-terroriste » d’Israël. Il se désole par ailleurs que les pays arabes n’aient pas plus réagis que l’Union européenne.