Chaque nuit, la ville de Naplouse est secouée par des bruits de guerre, des bruits
qui empêchent le sommeil. On se réveille en sursaut, on ne se sait plus si on a
dormi, pas dormi, ou si on est dans un cauchemar éveillé. Il y a des tirs, des
explosions qui résonnent à proximité, vont plus loin, reviennent en écho. On ne
sait pas ce qui se passe et où cela se passe. On se sent d’abord très inquiet,
puis on ne pense plus. On se résigne et on attend le jour. Les gens vous disent
que c’est comme ça chaque jour de l’année, ici dans le district de Naplouse, que
ce n’est rien de nouveau depuis 2000, que cela fait partie de la panoplie de la
guerre de terreur menée par Israël, qui s’ajoute aux innombrables autres mesures
repressives.

Les soldats pénètrent régulièrement, la nuit, à l’intérieur des petites ruelles
silencieuses de Naplouse ou des villages. Ils enfoncent les portes, lancent des
grenades. Cherchent, maison par maison, des hommes qu’ils qualifient de « wanted
 », de « suspects ». Ils forcent les familles à sortir, fouillent, cassent tout et,
s’ils ne trouvent rien, ils exigent des mères qu’elles appellent par hauts
parleurs leur fils à se rendre. Si le « suspect » ne se rend pas, ils arrêtent
parfois le père, des frères, ou font sauter la maison. Ils s’en vont avant le
jour.

Des tirs ont retentit apres minuit. Mais les plus grands combats ont commence à 4
heures du matin quand une explosion très forte a secoué la cité. Puis des tirs
intenses. Le bruit des tirs a été par deux fois couvert par la voix du muezzin.
Voix qui allait au loin, revenait en écho, retenait notre souffle.

Ce qui s’est passé lors de la rafle de cette nuit n’est pas usuel. Les troupes
israéliennes sont entrées sans faire de bruit, par surprise. Généralement, les
soldats ne trouvent pas de combattants en face d’eux, car les hommes recherchés se
terrent. Ils se savent assiégés et, avec leurs pauvres fusils, à chaque coup
perdants. Mais, ce matin, les hommes aux aguets ont résisté. Les combats ont duré
plusieurs heures. Il y a eu, du côté de l’armée israélienne, un soldat tué et six
autres blessés, dont plusieurs dans un état grave.

Quatre jeunes palestiniens ont ete capturés et embarqués par les soldats. Ils
subissent depuis les interrogatoires du Shen Bet. Les renseignements qu’ils
réussiront a leur extorquer serviront a procéder aux prochaines rafles et actions
punitives.

On s’attend à ce que l’armée revienne d’un moment à l’autre et à ce que la
répression soit d’autant plus dure que le soldat tué est le fils du commandant en
charge de cette région.

Les gens sont à bout. Israël les a humiliés, affamés, privés de tout droit. Ils
vivent ici emprisonnés. Quand les gens se présentent aux check-points - qui sont
des zones militaires où les soldats s’ingénient à faire régner la terreur - ils se
font humilier, arrêter, passer à tabac. Les jeunes - entre 14 et 30 ans - ne
passent pas. Ils doivent emprunter, à leurs risques et périls, des sentiers de
montagne. Une étudiante de l’université de Najah a été arrêtée au check-point il y
a une année et demie et demeure détenue depuis, pour avoir giflé le soldat qui la
fouillait au corps.

Après six années de privations et de massacres, on sent les gens d’autant plus
révoltés et à cran qu’ils subissent maintenant, outre les persécutions d’Israël,
l’étranglement de l’Europe. Une Europe scandaleuse qui punit et affame un peuple
entier, pour avoir voté en faveur du Hamas.

Cela n’a fait que de renforcer leur esprit de résistance. Se rebeller est la seule
chose qui leur reste pour sauvegarder leur dignité bafouée. Pour cela, on les sent
déterminés, prêts à tenir tête au monde entier, jusqu’au moment où celui-ci finira
par se sentir rempli de honte pour avoir commis un pareil crime et comprendra que,
de la part des Palestiniens, revendiquer le respect de leurs droits violés, est
chose légitime.

Reste que ce qui s’est passé cette nuit ne sera pas sans graves conséquences pour
eux. L’armée israélienne va revenir pour les punir encore plus lourdement. Mais
eux vaquent à leurs occupations, font comme si de rien n’était. Ils vous regardent
avec la tranquillité de ceux qui savent qu’ils ont l’humanité de leur côté. C’est
leur force. « It is our life », lâchent-ils calmement quand vous vous inquiétez
pour eux.