Q - Etes-vous venu au Liban parce que Condoleezza Rice ne l’a pas fait ?

R - Pas du tout. Je suis venu au Liban parce que la France a des relations historiques, séculaires, culturelles et de cœur, pour tout vous dire, avec le Liban. En dix jours, cela fait trois fois que je viens parce que le président de la République m’a demandé de tout faire pour trouver un accord politique entre toutes les parties.

Condoleezza Rice travaille à cet accord politique. Elle était hier encore en Israël. Elle est venue ici à Beyrouth. Oui, la diplomatie américaine et la diplomatie française font tout pour trouver un accord politique, seule condition pour un cessez-le-feu durable car c’est ça qui compte.

Q - Vous dites que Condoleezza Rice et les Etats-Unis travaillent à la recherche d’une solution et que la France travaille également à recherche d’une solution. Mais la France et les Etats-Unis ne se parlent pas. Est-ce que c’est une façon pour la France de devenir un contrepoids diplomatique aux Etats-Unis dans la région ?

R - Non, nous parlons de cet endroit du monde avec les Américains très fréquemment. Au Liban, nous avons beaucoup travaillé depuis deux ans pour mettre en place une démocratie - n’oublions jamais que le Liban est une démocratie de la région. Nous avons aussi travaillé pour cette résolution 1559, c’est-à-dire le désarmement des milices au Liban, et en particulier du Hezbollah.

Et puis nous avons une approche commune sur le même objectif : désarmer le Hezbollah. Nous avons condamné le Hezbollah. Nous avons été parmi les premiers à le condamner. Nous avons même dit aussi qu’il y avait une réaction disproportionnée d’Israël sur le Liban. Pourquoi bombarder tout le Liban, toutes les infrastructures, tous les ponts, l’aéroport, toutes les routes, les autoroutes, les centrales électriques, certaines usines alimentaires ? Nous l’avons dit très clairement.

Là où nous avions une petite différence, mais je crois qu’elle s’amenuise aujourd’hui, c’est que nous avons toujours dit que si l’objectif est le même, désarmer le Hezbollah, les moyens, en revanche, sont peut-être différents. Nous ne croyons pas du tout à une solution purement militaire pour désarmer le Hezbollah. D’ailleurs, les Israéliens sont aujourd’hui en difficulté pour atteindre cet objectif. Nous voulons participer, pourquoi pas, à une force multinationale, mais à une condition : qu’elle soit déployée après un accord politique et non pas avant.

Q - Les Etats-Unis et Israël veulent d’abord une force internationale. Comment allez-vous vous mettre d’accord ?

R - Se retrouver dans la même situation qu’en Iraq, ce n’est pas possible. Il faut un accord politique, un cessez-le-feu durable pour pouvoir ensuite déployer une force internationale qui n’aura qu’un seul objectif : permettre à l’armée libanaise de se déployer au Sud Liban.

Nous avons toujours pensé - et c’est l’idée de la France depuis toujours, celle des présidents de la République, Jacques Chirac en particulier, valable pour tous les pays et pour le Liban en particulier, ce pays ami -, qu’il ne faut jamais aller contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un pays en imposant la présence d’une force étrangère, alors qu’il n’y a pas de cessez-le-feu, comme si on voulait dire où est le bien et où est le mal. Ce serait une démarche qui finirait évidemment par tourner très vite très mal, comme nous le voyons dans d’autres pays.

Par conséquent, faisons tout pour trouver un accord politique ; tirons les leçons du passé.

Q - Pensez-vous que l’Europe et les Etats-Unis pourraient avoir des entretiens directement avec l’Iran à ce propos ?

R - Nous pensons tous que l’Iran est un pays qui compte dans la région. Il n’y a pas une seule personne qui pourrait penser le contraire. Nous travaillons beaucoup, avec Condoleezza Rice, en particulier, mais également avec mes homologues russe, chinois, et anglais, en qualité de membres permanents du Conseil de sécurité, sur le dossier nucléaire iranien.

Nous avons décidé, le 12 juillet dernier, à Paris, que nous ferions des propositions pour que l’Iran bénéficie d’une énergie nucléaire civile, pacifique, à des fins non militaires, et également, d’accords politiques et économiques.

Nous demandons à l’Iran de prendre cette main tendue pour que la communauté internationale puisse retrouver la confiance. Si l’Iran ne le fait pas, nous avons décidé d’aller au Conseil de sécurité des Nations unies, sous le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, article 41.

Mais à côté de ce dossier nucléaire, il y a d’autres dossiers dont celui dont nous parlons : le conflit israélo-libanais. Il est évident que l’Iran peut jouer un rôle de stabilisation dans la région et il est donc tout à fait normal que nous puissions avoir, les uns et les autres, des contacts avec toutes les forces politiques de la région.

Q - Est-ce que vous demanderiez aux Etats-Unis de parler directement à l’Iran et à la Syrie ? Est-ce que vous le recommanderiez à votre collègue Condoleezza Rice ?

R - Je ne me permettrais pas de donner un quelconque conseil diplomatique à un autre pays. Je dis simplement qu’il faut éviter une chose dans ce conflit : que ce conflit puisse d’abord déstabiliser le Liban, parce qu’Israël en particulier, la communauté internationale en général, n’ont rien à gagner à la déstabilisation du Liban. Ensuite il ne faut pas que la déstabilisation du Liban s’accompagne d’une déstabilisation de la région. Et ensuite, il ne faut pas que la déstabilisation de la région se transforme en un conflit entre le monde musulman et l’Occident. Ce serait dramatique, ce serait une guerre de civilisations, que la France fera tout pour éviter. La connaissance de l’autre, le respect de l’autre, est une tradition française. Nous l’avons appris. Il est très important de porter cela à la connaissance des opinions publiques. Evitons ce drame.

Q - Au sujet de la force de stabilisation internationale, quel rôle la France voudrait y jouer ? La France est-elle prête à mettre ses soldats en danger ? En d’autres termes, la France est-elle prête à des pertes afin d’établir une présence dans le Sud, qui mènerait à un cessez-le-feu, à un cessez-le-feu durable ?

R - Il faut bien comprendre le calendrier diplomatique français. D’abord la cessation immédiate des violences. Si on avait écouté la France, il n’y aurait pas eu le drame de Cana. Il ne faut pas que cela se répète. J’ai vu hier avec plaisir que, par la voix des Américains, des Anglais, des Français et d’autres au Conseil de sécurité des Nations unies, pour la première fois il est fait référence à une cessation des violences. J’aurais préféré que soit mentionné un cessez-le-feu immédiat. Mais c’est déjà une bonne chose. C’est un premier point positif. Ensuite il faut un accord politique. Cet accord politique, il est nécessaire, après discussion entre le gouvernement libanais et le Hezbollah d’un côté, et de l’autre, entre Israël, le Liban et la communauté internationale. Alors oui, s’il y a un accord politique, il y aura un cessez-le-feu durable. S’il y a un cessez-le-feu durable, la France peut être amenée, en effet, à participer à une force multinationale, à une condition : c’est que cette force multinationale soit placée sous le mandat de l’ONU. Je ne parle pas d’une force onusienne, mais d’une force multinationale placée sous mandat de l’ONU, et en particulier avec un Secrétaire général, Kofi Annan, qui aura le rôle principal. Alors, uniquement à cette condition, pourquoi pas ?

Q - S’il y a une force de stabilisation, placée sous le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, dotée de moyens coercitifs, cela signifiera, entre autres, désarmer le Hezbollah. Cela pourrait amener à un conflit. Cela signifie que les troupes françaises pourraient rentrer en conflit avec les combattants du Hezbollah, à moins que ces derniers n’effectuent volontairement leur désarmement.

R - Permettez-moi de vous rappeler quelle est, à nos yeux, la philosophie de la résolution 1559 ou encore celle des accords de Taëf. Il s’agit de désarmer les milices du Liban et donc le Hezbollah, mais par des moyens politiques. Il nous paraît important de dire que c’est au gouvernement libanais d’assurer et d’assumer ce désarmement. Alors vous allez me dire : pourquoi le Hezbollah, soudainement, voudrait être désarmé ? Parce que le Hezbollah, dans le cadre des accords de Taëf l’a déjà accepté. Il s’agit de passer d’une force armée à une force politique. Le Hezbollah s’est présenté aux élections législatives du Liban, il y a un an. Il dispose de 25 députés. J’ai rencontré tout à l’heure le gouvernement libanais, j’ai rencontré dans ce gouvernement des membres du Hezbollah.

J’ai vu que le gouvernement libanais, il y a trois jours, avait voté à l’unanimité, donc y compris des membres du Hezbollah, le plan en 7 points.

Parmi ces 7 points, figurent les accords de Taëf et donc le désarmement du Hezbollah. Je ressens ainsi une très forte convergence de vues entre le plan français et le plan du gouvernement Siniora. Je vois que nous avons une convergence de vues depuis ce matin. Je vois que des progrès considérables sont réalisés. Il y a encore du travail à faire. Je vois que Condoleeza Rice travaille aussi à cet accord. Elle peut être amenée à parler des conditions politiques dont nous avons parlées, à parler des libérations, de la libération des soldats israéliens. On peut discuter du règlement du problème des prisonniers en Israël. On peut discuter de la question des fermes de Chebaa, parce que les fermes de Chebaa doivent revenir entre temps aux Nations unies, avant de revenir au Liban. Nous avons parlé du déploiement de la force libanaise du Sud. Autant de sujets sur lesquels je crois que nous sommes complémentaires avec les Américains.

Q - Si les parties qui prennent part dans ce conflit, c’est à dire Israël et le Hezbollah, ne sont pas parties prenantes aux accords qui sont présentés comme un plan français, quelle peut être la valeur d’un accord quelconque ?

R - L’accord, la résolution au Conseil de sécurité des Nations unies que nous avons présentée il y a quelques heures, ce plan français, évoque toutes ces conditions qui doivent être acceptées par l’ensemble des parties concernées. Mais quand je dis "toutes les parties", il y a bien évidemment Israël, le Liban en tant que gouvernement libanais, et la communauté internationale. Il y a aussi le gouvernement libanais et le Hezbollah. C’est donc bien toutes les parties, j’insiste sur ce point. C’est ce qui fait, d’ailleurs, la force du plan français. Et nous souhaitons voir enrichir le plan français de toutes les remarques de nos partenaires, y compris les Américains.

Q - N’y a-t-il pas une profonde division entre les Etats-Unis et la France ?

R - Je ne le pense pas. Je pense simplement que la France porte des convictions, comme l’arrêt immédiat des hostilités, pour éviter ce qui s’est passé à Cana. Il y a aussi la volonté très forte que nous avons avec les Américains de désarmer le Hezbollah. Il y a parfois des différends mais je vais vous dire : lorsqu’on a des amis, il faut toujours se parler en toute vérité, en toute transparence. C’est comme cela que je conçois mes relations avec les Américains qui par ailleurs, je le redis, sont des amis très chers.

Q - M. Chirac s’est-il entretenu récemment avec M. Bush ?

R - Il ne me revient pas de dire exactement ce que fait M. Jacques Chirac. Mais ce que je sais, c’est qu’actuellement il s’entretient avec ses partenaires, chefs d’Etats et de gouvernements, très fréquemment. Et je crois que la vision que porte le président de la République, Jacques Chirac, est à la fois courageuse, parce qu’elle témoigne d’un regard d’ensemble de cette région du monde, et en même temps, je pense qu’elle permet d’éviter un choc des civilisations, auquel tout le monde aurait à perdre./.

Source
France (ministère des Affaires étrangères)