Q - Pourquoi le président de la République a-t-il annoncé le renforcement de la FINUL ?

R - Nous avons dès le départ dit qu’il était nécessaire d’obtenir des garanties sur les missions et les règles d’engagement permettant à cette force de remplir son rôle de façon crédible et efficace. Le président de la République a obtenu de l’ONU ces garanties. La France contribuera donc au renforcement de la FINUL avec deux bataillons supplémentaires, soit environ mille six cents hommes. Nous attendons maintenant que d’autres pays qui disaient attendre notre décision s’organisent pour compléter le dispositif.

Q - La France est-elle revenue sur ses réserves en ce qui concerne sa participation à la FINUL ?

R - La France a beaucoup oeuvré pour imposer le cessez-le-feu et permettre au Liban de retrouver sa souveraineté. Même s’il est fragile, le cessez-le feu existe. L’armée israélienne a commencé son retrait. L’armée libanaise, qui était absente du sud du pays depuis quarante ans, s’y déploie. Il y a donc des progrès. Pour autant, il est évident que les forces libanaises ont besoin du soutien d’une force internationale. C’est le but de la résolution 1701 de l’ONU. Mais il faut du temps pour mettre en place une telle force. La France a été présente dès le début de la crise avec ses moyens maritimes et aériens. Elle a laissé ses moyens sur place pour continuer à assurer ce rôle de soutien humanitaire et de ravitaillement de la FINUL. Nous sommes les seuls à avoir apporté un renfort effectif à la FINUL. Aucun autre pays ne l’a fait. Cet engagement très fort résultait d’une volonté politique et de notre réactivité.

Q - La mission au Liban vous paraît-elle toujours aussi risquée ?

R - C’est une mission à risque. C’est pourquoi ses conditions de mise en oeuvre ne peuvent être floues. Dans quelles conditions cette force sera-t-elle déployée ? Pour quelle mission ? Avec quel mandat ? Avec quel commandement Avec quelles règles d’engagement ? En matière de mandats flous, nous avons de l’expérience... Rappelons-nous la Bosnie ou récemment l’Ituri, au Congo, en juillet 2003. Nous avons dû monter de toutes pièces une opération de l’Union européenne pour dégager les forces de la MONUC encerclées par les rebelles et qui n’avaient aucun moyen d’agir. Nos réserves sont d’ailleurs positives pour l’ONU. A force de voir des résolutions inappliquées faute de mise en oeuvre ferme, la crédibilité des Nations unies a fini par être atteinte. Par ailleurs, si la force doit pouvoir agir, elle doit aussi être acceptée par les habitants du pays dans lequel elle se déploie. Il est important que les militaires ne viennent pas seulement de l’Europe, mais aussi du monde musulman.

Q - Les réticences de la France paraissent légitimes, mais l’impression d’un cafouillage persiste... La presse américaine est par ailleurs très critique...

R - Certains ne sont pas heureux du rôle de leadership exercé par la France à cette occasion. Et notamment de l’insistance que nous avons mise à exiger un cessez-le-feu. Il y a de la mauvaise foi dans ces critiques... La France a exigé dès le début des garanties à l’ONU. Mais, apparemment, certains préféraient que la résolution reste floue. Le problème c’est que les militaires ne travaillent pas dans le flou. Par exemple, on doit savoir ce que l’on a le droit de faire si les forces de l’ONU sont empêchées de se déplacer sur le terrain. Aujourd’hui, dans le cadre des règles habituelles, elles ne peuvent rien faire. Souvent, elles n’ont pas le droit d’utiliser des armes, même non létales, si leur vie n’est pas directement menacée. Moi je dis que ce n’est pas admissible. Quant aux pays qui nous critiquent, certains d’entre eux ont dit leur intention de n’envoyer aucun homme au Liban. D’autres ne font aucun effort pour augmenter leur budget défense, et ne peuvent donc pas jouer de rôle militaire. Tous ces pays ont beau jeu de dire que la France ne fait pas assez ! Ils devraient apprendre à se regarder dans la glace. Je n’ai pas l’intention de laisser critiquer la France. J’estime que nous avons été exemplaires dès le début. Au plan diplomatique comme au plan militaire.

Q - Y a-t-il eu des divergences entre l’armée et le pouvoir ?

R - Entre les militaires et les politiques, non. Entre les militaires et les diplomates, peut-être. Leur métier n’est pas le même. Ils n’agissent pas dans le même environnement. Les diplomates sont à New York, leur but est de mettre au point un texte et le flou aide parfois à trouver un consensus. Les militaires, eux, sont dans la réalité et la réalité sur un champ de bataille, ce n’est pas du flou.

Q - La France a-t-elle les moyens de s’engager dans une nouvelle opération à l’extérieur sans alléger ses dispositifs en Afghanistan, dans les Balkans ou en Côte d’Ivoire ?

R - En plus de nos engagements actuels, nous avons les moyens humains et matériels de conduire encore une grosse opération ou plusieurs petites, grâce aux efforts de redressement de la défense engagés depuis quatre ans. Dans la durée, il y aurait bien sûr des tensions. Mais c’est le cas pour toutes les armées du monde qui sont engagées dans des opérations extérieures.

Q - Ne pensez-vous pas qu’il existe un décalage entre le discours de grande puissance de la France et les moyens qu’elle peut mettre en oeuvre ?

R - Nous voyons le contraire. Que cela fasse rager certains, c’est leur problème. La France a aujourd’hui près de 14.000 hommes déployés à l’extérieur, sur des théâtres d’opérations. Sans compter nos forces prépositionnées. A l’époque de la conscription, avant le redressement conduit depuis quatre ans, cela n’aurait pas été possible. La France est en mesure d’agir aujourd’hui comme une grande puissance alors qu’elle ne le pouvait pas il y a quelques années. Nous avons mis en adéquation notre ambition, conforme à notre histoire et à notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et les moyens financiers et humains nécessaires à l’accomplissement de nos responsabilités. Il serait irresponsable, sauf à accepter le déclin de la France dans ce domaine, de toucher au budget de la défense ou de porter atteinte à l’effort de redressement. Nous vivons dans un monde dangereux. Nous vivons dans un monde où la parole de la France compte./.

Source
France (ministère de la Défense)