Question : Michel Barnier bonjour, alors que vous vous apprêtez à partir en Egypte et en Jordanie, je vous remercie d’être en ligne.

Au lendemain de ce Sommet de Bruxelles qui a donc vu les vingt-cinq chefs d’Etat et de gouvernement de l’Europe se mettre d’accord, ils n’y étaient pas parvenus lors du précédent sommet et à l’époque, vous étiez encore Commissaire européen ; je me souviens très bien que vous nous aviez dit, à la même heure, le dimanche matin, que vous pensiez qu’un accord était encore possible.

Les faits vous donnent raison mais Michel Barnier, qu’est-ce qui a rendu possible ce qui ne l’était pas il y a trois mois ?

Michel Barnier : Il a fallu prendre un peu plus de temps, quelques mois, pour travailler ensemble à partir d’un bon travail réalisé, en effet, par la présidence italienne ; il a fallu que la présidence irlandaise, puisque nous avons encore des présidences qui tournent tous les six mois, cela va d’ailleurs changer, fasse un travail de tricotage, intelligent et écoute tout le monde.

Et finalement, avec ces dix nouveaux pays, ce qui est historique, c’est non seulement que nous soyons parvenus à cette Constitution mais que nous y soyons parvenus à vingt-cinq et c’est la première fois, sur un texte fondamental, que les vingt-cinq chefs d’Etat et de gouvernement travaillent ensemble et se mettent d’accord. Donc il y a le temps, l’intelligence de la présidence irlandaise, le travail préalable fait par les Italiens et peut-être aussi l’urgence, permettez-moi de le dire, pour que la maison soit en ordre. Il y a tant de défis à l’intérieur de l’Union, tant d’inquiétudes sociales ou économiques, la question de la sécurité, le terrorisme dans le monde, la globalisation, que je crois que les chefs d’Etat et de gouvernement ont compris qu’il était temps de mettre la maison en ordre et de disposer de cette Constitution qui va permettre à l’Union de fonctionner.

L’Europe de demain, précisément n’aura-t-elle pas plus de difficultés à prendre des décisions avec cette constitution qu’avec celle qu’avec Valéry Giscard d’Estaing, au sein de la Convention européenne, vous aviez imaginée ?

Michel Barnier : Mais nous parlons exactement du même texte. Le travail que la Convention a fait et j’étais aux côtés de M. Giscard d’Estaing, comme membre du praesidium, c’est la base de cette Constitution, 90% du travail que nous avions fait durant la Convention pendant deux ans, avec des parlementaires européens, nationaux, des représentants de la société civile, des gouvernements. Ce travail a été utilisé et on le retrouve presque intégralement y compris dans les parties les plus improbables, comme celles que j’avais rédigées sur la Défense. On le retrouve désormais dans la Constitution.

Il restait 10% de sujets, ouverts et en débat notamment des sujets de mécanique et de pouvoir et très franchement, je le dis avec objectivité, le résultat final dans la nuit de vendredi à samedi, auquel la France et Jacques Chirac en particulier ont contribué, ce résultat est très proche tout de même du travail de la Convention. Ce n’est pas un rafistolage que nous avons fait, il faut bien que ceux qui nous écoutent le comprennent, c’est un vrai nouveau traité de Rome qui restructure, qui consolide l’ensemble des traités élaborés successivement et dans lesquels on se perdait un peu depuis 50 ans.

Sur la Défense, retrouvez-vous ce que vous souhaitiez ?

Michel Barnier : Oui, et encore une fois, c’était un sujet assez improbable car c’était un sujet où l’Europe joue sa dimension politique ; moi j’ai toujours pensé que nous ne pouvions pas en rester à un grand marché et à quelques politiques communes. Il faut que l’Europe ait l’ambition d’être un acteur global dans le monde, je crois que le monde en a besoin, et nous en avons besoin pour nous-mêmes, il fallait simplement avoir cette confiance en nous-mêmes. Au fond, ce que les chefs d’états ont démontré, c’est qu’en se dotant d’une agence de l’Armement, en étant capable de projeter 50 ou 60.000 hommes pour aider à résoudre des crises, en se dotant d’un ministre des Affaires étrangères de l’Europe, l’ambition qui est affirmée dans cette constitution, c’est que l’Europe, au-delà de sa dimension économique et monétaire, veut être aussi un acteur politique global dans le monde.

Alors, dès lors que le président Chirac qualifie lui-même l’accord d’historique, qu’est-ce qui pourrait bien l’empêcher ou le retenir de soumettre ce projet à référendum ?

Michel Barnier : C’est son choix, et comme ministre, vous me permettrez de dire simplement que le président de la République, comme François Mitterrand à l’époque du Traité de Maastricht, d’ailleurs plusieurs mois après l’adoption du traité, a cette responsabilité, cette prérogative de choisir le moyen de la ratification.

Est-ce que ce sera le peuple, est-ce que ce seront les représentants du peuple, très franchement, laissez le président de la République choisir le moment et le moyen, c’est sa prérogative. Comme citoyen, moi j’ai toujours pensé que le débat en Europe était insuffisant sur l’Europe ; il est, en particulier, insuffisant en France, ce n’est plus de la politique étrangère que nous parlons et donc il faut un débat et comme citoyen, j’ai toujours pensé que le référendum avait une vertu pédagogique et démocratique.

Selon le sondage Harris que publie demain "L’Express", 55 % des Français se disent prêts à voter oui, c’est tentant n’est-ce pas faire un référendum ?

Michel Barnier : Oui, naturellement, c’est une photographie et c’est encourageant ; je pense que, cette constitution, telle que les chefs d’Etat l’ont approuvée, est un très bon texte. C’est un texte historique, c’est le premier traité constitutionnel ; on n’y retrouve pas seulement des problèmes de mécanique ou de système de vote toujours compliqués, on y retrouve les droits des citoyens qui, pour la première fois, ont une valeur constitutionnelle, on y retrouve pour la première fois qui fait quoi, ce que fait l’Union et ce qu’elle ne fait pas, une clarification des compétences. On y retrouve les politiques que nous voulons mener ensemble.

Franchement, c’est d’abord un texte que l’on peut lire, c’est peut-être l’un des premiers textes européens qui est lisible, avec des mots simples, en tout cas dans ses deux premières parties, et je pense que l’on peut, en effet, mener un débat sur ce texte avec les citoyens.

Là on l’entend bien, vous êtes presque déjà comme en campagne.

Michel Barnier : Sur l’Europe, sachez que j’ai toujours ce souci de dialogue et d’explication.

Mais, pour vous, pour que cette Constitution européenne entre en œuvre, faut-il que tous les Etats la ratifient ou pensez-vous que l’unanimité des vingt-cinq pays n’est pas nécessaire ?

Michel Barnier : Mais, ce n’est pas ce que je pense qui est important, c’est le droit. Le droit communautaire exige que les vingt-cinq pays dont les chefs d’Etat et de gouvernement ont signé ce texte vendredi soir, que tous ces pays, unanimement, le ratifient, chacun par la voie qui lui est propre.

En Allemagne, ce sera la voie parlementaire, dans d’autres pays, ce sera le référendum et l’unanimité des Etats est exigée, il faut donc à tout prix que chacun des pays ratifie ce texte.

Les vingt-cinq Etats, donc, sinon il n’y a pas de Constitution européenne ?

Michel Barnier : Sinon, la Constitution ne pourra pas entrer en vigueur. Ce qui d’ailleurs me suggère une idée que j’avais avancée il y a un an et que je crois juste, c’est que, quel que soit le mode de ratification, ce serait formidable que tous ces pays ratifient dans la même période, au même moment, c’est-à-dire qu’il y ait, pour la première fois, sur un texte qui le justifie, un vrai débat européen et non pas vingt-cinq débats juxtaposés.

Là, vous dites quelque chose que ne pense pas par exemple le président de la Convention européenne Valéry Giscard d’Estaing, il estime que si une forte majorité d’Européens adoptait la constitution, les pays qui la refuseraient, qui confirmeraient son refus, ce sont eux qui se mettraient en marge de l’Europe.

Michel Barnier : L’appréciation que porte Valéry Giscard d’Estaing est une appréciation politique, ceux qui ne voudraient pas ratifier ce texte en effet, considéreraient que l’on doit en rester là, avec le Traité de Nice et un fonctionnement essentiellement économique de l’Union. Mais, juridiquement, il y a une obligation, pour que cette constitution entre en vigueur, qu’elle soit, non seulement utile mais utilisable, que chacun des pays la ratifie. Voilà le droit.

Juridiquement, mais politiquement ?

Michel Barnier : Politiquement, je suis un homme politique, je suis plutôt volontariste et je n’aime pas faire des scénarios négatifs ; je pense donc que la capacité exige, sur un bon texte, d’emporter la conviction et l’adhésion des peuples ou des parlements dans chacun de nos pays. Juridiquement, si ce texte n’est pas ratifié par tel ou tel pays, il ne pourra pas entrer en vigueur tel qu’il est, alors il faudra penser à d’autres formules.

Il y a un sujet sur lequel les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas réussi à se mettre d’accord, c’est à choisir le prochain président de la Commission européenne. Depuis, il y a un nom qui circule apparemment de plus en plus à Bruxelles et dans d’autres capitales européennes, c’est tout simplement le vôtre, Michel Barnier.

Michel Barnier : Ecoutez, mon nom est en effet cité parmi d’autres, vous me permettrez d’y voir la reconnaissance du travail que j’ai fait avec passion, avec beaucoup d’enthousiasme pendant cinq ans, au sein de la Commission européenne où j’étais chargé, à la fois des questions institutionnelles, nous venons d’en parler, et de cette belle politique que Jacques Delors avait imaginée, c’est-à-dire la politique de solidarité avec les régions de toute l’Europe.

Je vois simplement, dans le fait d’être cité parmi d’autres, cette reconnaissance et j’en suis touché. Maintenant, concernant le choix du président de la Commission européenne, les chefs d’Etat n’étaient pas à deux jours près pour le faire, c’est le leur, ce sont eux qui doivent proposer le nom du président ou de la future présidente de la Commission européenne et ensuite, il faudra un second choix qui est celui du Parlement européen.

Vous me permettrez simplement de dire que ce choix doit être fait par le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, par le Parlement européen en toute sérénité, en toute indépendance.

Mais, vous n’avez pas vraiment répondu à une question qu’au demeurant, je ne vous ai pas vraiment posée, alors je la pose, par exemple, on a dit que le Premier ministre du Luxembourg aurait pu être choisi comme président de la Commission européenne, mais voilà, il a dit qu’il refusait.

Ce matin, l’Europe écoute, vous ne dites pas que vous refusez.

Michel Barnier : Je dis simplement que ce choix appartient, et je souhaite qu’il soit fait dans la plus grande sérénité par les chefs d’Etat et de gouvernement ou le Parlement européen. En ce qui me concerne, je ne suis pas à la recherche d’un autre travail, Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin m’ont confié une mission formidable, celle de défendre l’image, les intérêts, les idées de la France comme je vais le faire tout à l’heure en Egypte et en Jordanie, dans le monde entier et en Europe.

Voilà, je suis à cette tâche et je m’y engage, je m’y suis engagé avec le même enthousiasme et la même passion que lorsque j’ai eu cette chance d’être Commissaire européen pendant les cinq dernières années.

Bon, j’ai l’impression que vous ne m’en direz pas plus.

Je ne vous ai pas demandé comment, à Bruxelles, vous avez pris le propos de Tony Blair lorsqu’il a dit que l’Europe à vingt-cinq ne se fait pas à deux ou à un.

Michel Barnier : Mais, je pense que Tony Blair a raison, nous sommes vingt-cinq, avec des grands pays comme le sien, comme la France, l’Allemagne, la Pologne, l’Espagne ou l’Italie, d’autres qui ont une taille moyenne, d’autres plus petits, je pense en effet que c’est une autre dimension, une autre mentalité que celle du moment où l’Union a été fondée par l’Allemagne, la France et les autres pays du Benelux et de l’Italie. Si Tony Blair visait l’attitude ou le travail du couple franco-allemand, je pense que ce tandem, cette parole franco-allemande est en effet toujours aussi nécessaire qu’auparavant pour toutes sortes de raisons liées à l’Histoire mais aussi à l’urgence d’aujourd’hui et aux défis que nous devons relever. Mais ce travail franco-allemand doit être ouvert et c’est vraiment l’intention du chancelier fédéral et de Jacques Chirac ; par exemple, le dialogue a été ouvert, depuis quelques mois, avec l’Espagne qui participe à ce travail, je pense qu’il doit l’être à d’autres.

Source : ministère français des Affaires étrangères