Quelle mouche a piqué François Bayrou, secrétaire général de de l’UDF, le parti français de centre-droit, pour présenter sans fioriture la situation catastrophique des médias français ? Voilà que, élection présidentielle oblige, il se met à dire tout haut ce que chaque homme politique pense tout bas... et n’ose dire de peur d’être banni des médias : les groupes de presse, de radio-télévision sont contrôlés par des holdings industrielles qui en sont les principaux actionnaires. Or, ces holdings dépendent de marchés publics et veulent donc courtiser les États, influer sur les politiques publiques et sur les élections.

En premier vient le complexe militaro-industriel. Le groupe Dassault vend aux États les avions Mirage et Rafale. Son patron, le sénateur UMP de l’Essonne Serge Dassault, a racheté plus de 70 titres de presse, dont Le Figaro, pour « diffuser des idées saines » (sic). Le groupe Lagardère détient une partie du consortium européen EADS, le 2ème constructeur mondial d’aéronautique de défense ; simultanément, il est le 3ème éditeur mondial de livres et le 1er éditeur mondial de magazines, il contrôle la principale messagerie française de presse, il possède aussi bien Paris-Match que Marie-Claire, MCM et Europe 1, sans compter près de 20 % du groupe Le Monde.

Puis vient le BTP (Bâtiment et travaux publics). Le groupe Bouygues est le 1er constructeur mondial de routes. Il réalise pour l’État des ouvrages d’art comme le Stade de France ou la grande mosquée de Casablanca. Il possède aussi de nombreuses chaînes de télévision : TF1, LCI, TPS etc. sans compter la branche Bouygues Telecom.
Et la Fininvest, la holding de Silvio Berlusconi qui ne sait coment distinguer ses affaires privées de ses mandats publics, qui a racheté quantité de magazines de Closer à Science et Vie.

Dans ce palmarès, il faut ensuite citer ceux qui ne peuvent vivre en dehors des lambris dorés. Le Groupe PPR n’est pas seulement le n°3 mondial de la vente par correspondance et le le n°3 du luxe, il est aussi avec la FNAC le leader de la distribution des produits culturels et détient aussi bien Le Point que La Recherche. LVMH est le numéro 1 mondial du luxe. Il possède aussi La Tribune et Radio Classique. Le groupe Bollore, qui joue un rôle considérable dans la vie économique des États africains, détient la régie publicitaire Havas comme la chaîne de télévision Direct 8.

Le problème, c’est que malgré tous ces mariages de raison, tout l’argent dépensé, les quotidiens français, les radios et les télés sont en train de décliner à vive allure. Cela est particulièrement sensible pour les journaux et la presse écrite en général. Chaque acteur frappé par ce mal présente les diverses raisons de ce déclin, de cette hémorragie de lecteurs. Ainsi, le quotidien Le Monde y consacre deux pages pleines dans son numéro du 1er septembre 2006, retenant parmi les causes de sa désaffection la concurrence des gratuits et d’Internet. A aucun moment n’est abordée la ligne éditoriale de ce journal, ligne politique qu’il partage avec tous les autres quotidiens parisiens, tous atlantistes, applaudissant les guerres de l’OTAN en Afghanistan, des États-Unis en Irak, d’Israël au Liban, se taisant sur Gaza, ce vaste camp de concentration à ciel ouvert ? (Il est vrai que leurs engagements changent à la mesure des désastres militaires bien réels mais aussi potentiels qui ont lieu et/ou se préparent sur ces différents champs de bataille). C’est la logique des grands groupes industriels d’utiliser leurs relais de presse pour flatter l’État qui les nourrit, ce qu’ils font avec une servile maladresse.

La rédaction du Monde qui perd tant de lecteurs ne devrait pas oublier qu’un mois auparavant, elle a annoncé à la une de son édition du 26 juillet la prise de Bint Jbeil par l’armée israélienne, et publié en page trois le 27 juillet la photo d’un char victorieux avec sa légende : «  des soldats israéliens arborent le drapeau libanais et celui du Hezbollah en revenant de la ville conquise Bint Jbeil, au Liban sud, mardi 25 juillet ». Par contre, les internautes un peu curieux suivaient, en naviguant sur des sites libanais proches du Hezbollah, le déroulement des offensives sur Bint Jbeil (qui ne fut du reste jamais pris) et savaient que les blindés israéliens subissaient une « raclée ». Dans un article un peu mieux ficelé, mais daté du 8 septembre, bien après la bataille, ce même journal rappelait que l’armée israélienne avait perdue plus de cinquante chars Merkava. Tout cela sent la propagande spontanée, idéologique et mal faite… pour un journal de « référence », cela fait ridicule ; c’est même honteux.

La présence insistante de ces orientations atlantistes m’a conduit, depuis un an et demi, à ne plus acheter de quotidiens, changement considérable dans mes habitudes après en avoir lu un, voire deux, pendant des années. Je navigue par contre une heure en moyenne par jour en circulant parmi quelques sites et agences de presse afin d’y lire des interventions et des analyses qui présentent des alternatives à l’ambiance délétère dégagée par les médias dominants français. La diversité des points de vue me convient et la richesse des contenus me donne pour la première fois l’impression d’avoir accès à des informations de premier ordre étayées par des reproductions d’articles originaires du monde entier, ou d’agences de presse. Parmi les sites en langue française (De Defensa, Réseau Voltaire, RIA Novosti, Solidarité et progrès, etc.), on peut trouver des articles remarquables qui par leur qualité, contribuent à l’effondrement des MSM (pour Mainstream medias) grâce à la liberté de ton et l’audace permettant de traiter des sujets restés tabous ailleurs.

Un exemple illustre bien les sources de cette désaffection : il y a un débat mondial portant sur l’interprétation à donner aux événements du 11 septembre 2001 et dont dépend les grands choix de politique internationale. Dès le début, puis pendant des années, ce débat a été mené essentiellement sur Internet et s’est cristallisé autour des livres de Thierry Meyssan, président-fondateur du Réseau Voltaire, (son ouvrage Le Pentagate par exemple). La presse écrite ne peut plus faire l’impasse sur ce débat considérable et de nombreux journaux et magazines essayent d’en parler car selon les derniers sondages, plus de 42 % de la population états-unienne estime que le complot était intérieur. Mais que penser alors des médias dominants qui ont par exemple traîné Thierry Meyssan dans la boue. Il suffit de se rappeler l’hallali sonné contre lui par Le Monde et ses insolents et prétentieux journalistes, pour prendre la mesure du drame de ce journal discrédité ; mais il en est de même pour Libération, Le Point ou Paris-Match

Alors, une question me harcèle : pourquoi la désignation de presse-poubelle ne s’appliquerait-elle pas aussi à ces journaux ?

Ventes des quotidiens nationaux en France en 2005

# Titre Ventes (ex.) Variation/1an Variation/3ans
1 L’Équipe 341 052 - 4% + 6.2 %
2 Le Figaro 325 289 - 1.3% - 5.7 %
3 Le Monde 320 704 - 3% - 11.2 %
4 Aujourd’hui en France 158 465 + 3.5 % + 7.7 %
5 Libération 136 945 - 2.2% - 12.3 %
6 Les Échos 116 457 - 0.3% - 0.9 %
7 La Croix 96 232 + 1.3 % + 5.2 %
8 La Tribune 79 349 - 0.4% - 1.7 %
9 Paris Turf 76 629 - 1.5% - 12 %
10 L’Humanité 51 639 + 5.8 % + 12.4 %
11 France Soir 50 633 - 18.5% - 34.6 %
12 International Herald Tribune 24 858 + 0.4 % - 5.2 %