Candidats au secrétariat général de l’ONU
Shashi Tharoor, Ban Ki-moon, Surakiart Sathirathai et Vaira Vike-Freiberga.

La réunion ministérielle à huis clos, qui a rassemblé à la fin de la semaine dernière les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU autour de la candidature du futur Secrétaire général appelé à succéder à Kofi Annan n’a débouché sur aucun résultat sensationnel : elle ne constituait, il est vrai, qu’une partie de la procédure complexe de l’élection. Comme l’a déclaré à l’auteur de ces lignes Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères qui a participé à cette réunion, les cinq ministres ont échangé leurs points de vue « sur la situation » et « comparé les approches ». Sergueï Lavrov a lui-même confirmé que l’approche russe - voter pour « le candidat de l’Asie » - demeurait en vigueur.

Le mandat de Kofi Annan arrive à expiration le 31 décembre. Et l’emplacement de son portrait aux côtés des autres anciens secrétaires généraux, sur le mur du couloir auquel donne accès la porte d’entrée du siège de l’ONU, est déjà marqué par un ruban collé sans beaucoup de soin.

Il est devenu clair que la succession de Kofi Annan était problématique lorsque les pays Baltes ont proposé leur candidat en la personne de la présidente de la Lettonie, Vaira Vike-Freiberga, et qu’est apparu ensuite un autre candidat, afghan celui-là. Ceux qui connaissent bien la mécanique interne du fonctionnement de l’ONU disent que la candidature de Madame Vike-Freiberga ne peut être prise au sérieux [1]. Pas seulement parce que la présidente de la Lettonie est directement partie prenante du développement d’un État raciste sur le fond, dont le dossier est entre les mains du Conseil de l’ONU pour les droits de l’homme (près d’un cinquième de la population de la Lettonie est privée du droit à la citoyenneté). Mais surtout parce que les favoris réels de ce scrutin sont déjà bien connus, ce sont des gens qui emporteront l’adhésion de l’Assemblée générale, c’est-à-dire des représentants des 192 États membres de l’ONU. Les nouvelles candidatures, que l’on dit « lancées » par les Etats-Unis, n’ont tout simplement aucune chance.

Selon la procédure en vigueur, le Conseil de sécurité recommande un candidat à l’Assemblée générale qui donne ou non son approbation.

Mais la procédure est bien plus complexe au sein du Conseil de sécurité, qui joue avec des cartes de couleur. Ce jeu deviendra particulièrement intéressant le 28 septembre, lorsque les membres permanents du Conseil de sécurité auront en mains des cartes d’une couleur particulière. Car un candidat ne doit soulever d’objection de la part d’aucune des cinq puissances disposant d’un droit de veto. Or la présidente de la Lettonie est assurée d’au moins un veto, celui de la délégation russe.

Le favori, qui reste pour l’instant le ministre sud coréen des Affaires étrangères, Ban Ki-moon, n’a reçu lors du tour précédent qu’un seul et unique "carton rouge" (de qui ?), les autres prétendants en ayant trois ou plus. En seconde position, on trouve l’Indien Shashi Tharoor, suivi du ministre thaïlandais des Affaires étrangères Surakiart Sathirathai, dont on ignore actuellement le sort pour cause de coup d’État. Loin derrière, arrivent le candidat de la Jordanie et celui du Sri Lanka.

Il y a cinq ans, lors de la réélection de Kofi Annan, le Conseil de sécurité et l’ONU plus généralement étaient tacitement convenus qu’un représentant de l’Asie succèderait au représentant de l’Afrique. Le principe de la « rotation des continents » paraît logique : il est clair que l’ONU ne doit pas se retrouver aux mains des seuls Européens ou des seuls Africains. Autre tradition de longue date : le secrétaire général de l’ONU ne doit pas être le représentant d’une des cinq grandes puissances qui bénéficient déjà d’avantages non négligeables au sein de l’organisation et dans le monde.

Selon certaines sources au sein du ministère russe des Affaires étrangères, la diplomatie russe a décidé d’appuyer le consensus auquel sont déjà parvenus la plupart des membres de l’ONU : pour eux comme pour Moscou, la candidature indienne n’est pas plus mauvaise que la coréenne et la thaïlandaise est tout à fait acceptable. A la seule condition de respecter le principe de la rotation des continents.

Mais c’est précisément contre ce principe que s’est prononcée la présidente de la Lettonie dans son récent discours à l’ONU. C’est-à-dire qu’elle s’est d’avance désolidarisée de la plupart de ses « électeurs ».

Il faut bien comprendre, ici, que si le Conseil de sécurité recommande un candidat qui convient à ses membres aussi bien permanents que non permanents, mais qui ne convient pas à l’Assemblée générale, il ne sera pas élu ou sera élu a minima. Ce qui est même pire car, en ce cas, la légitimité du Secrétaire général de l’ONU sera faible. Cela sera le signe d’une crise évidente.

C’est précisément contre une nouvelle crise de l’ONU que se prononce Moscou, ses autres considérations étant secondaires. On n’a pas eu besoin de cela pour commencer à critiquer les modalités de l’élection du secrétaire général, qualifiées d’antidémocratiques, d’incarnation de la domination, au sein de l’ONU et par conséquent dans le monde, des cinq États détenteurs du doit de veto. C’est pourquoi l’Inde ainsi que le Canada ont soumis à l’ONU l’idée de créer un comité spécial sur les élections, c’est-à-dire de priver le Conseil de sécurité du doit de jouer aux cartes de couleur.

Lorsque, il y a quelques jours, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a qualifié le Conseil de sécurité d’« organisme de menaces et de pressions », il savait à qui il s’adressait. Nombre des pays, autrefois qualifiés de Tiers Monde si ce n’est de troisième catégorie dans la famille des peuples, sentent aujourd’hui croître leur influence dans l’économie et la politique mondiales. Et toutes les discussions sur la réforme de l’ONU montrent que la plupart des membres de cette organisation jugent parfaitement logique d’élargir le Conseil de sécurité au profit de représentants des nouveaux leaders mondiaux, ainsi que de délégués de l’Afrique, de l’Amérique latine, etc. disposant d’un droit de veto. Le Conseil de sécurité actuel plaira encore moins à beaucoup si on fait échouer maintenant l’élection du candidat qui apparaît comme le plus évident, le candidat asiatique quel qu’il soit.

Pour de nombreux Russes, la candidature de la présidente lettone n’est rien d’autre qu’un acte antirusse injurieux. Mais on peut l’interpréter également comme une tentative tardive de paralyser, si ce n’est de liquider l’ONU d’une manière générale. L’héritage, en quelque sorte, de ces jours passés, lorsque les États-Unis pensaient que l’ONU ne faisait que gêner les guerres en Yougoslavie et en Irak [2].

Les initiés qui connaissent la diplomatie interne de l’ONU avancent une troisième possibilité qui leur semble évidente : les trois candidats asiatiques ont cessé de plaire aux États-Unis qui veulent faire naître une crise pour, ensuite, « lancer » au dernier moment, une candidature encore avancée par personne, comme celle de l’ambassadeur de Singapour aux États-Unis, Chan Heng Chee. Qui, bien qu’il soit indéniablement né en Asie, vit aux États-Unis depuis une dizaine d’années.

Il existe encore une quatrième interprétation : il ne s’agirait pas d’une ruse de Sioux des États-Unis, mais bien au contraire de l’échec de la diplomatie états-unienne. Car créer une situation « États-Unis contre Asie », qui se rajoute à « États-Unis contre monde musulman », sans même parler de « États-Unis contre ONU » est un désastre pour Washington.

On aurait pu dire adieu aux illusions sur la possibilité de choisir un Secrétaire général docile, après l’expérience avec Kofi Annan qui fut considéré, à l’époque, comme « le candidat états-unien ». Il ne devint d’ailleurs le favori du Conseil de sécurité que lorsque ses membres n’eurent pas réussi à se mettre d’accord sur plusieurs candidatures évidentes.

Source
RIA Novosti (Fédération de Russie)

[1« La présidente de la Lettonie réhabilite le nazisme » par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 16 mars 2005.

[2« Qui veut « bouter l’ONU hors des États-Unis » ? » et « Faire imploser l’ONU », Réseau Voltaire, 23 novembre 2004 et 3 février 2005.