Le 22 mars 2003, dans les premiers jours de l’attaque de l’Irak par la Coalition menée par les États-Unis, deux équipes de journalistes de la chaîne d’information britannique ITN ont été attaqués entre Bassora et la région d’al-Zoubeir. Suite à cette attaque, on a retrouvé un survivant, le caméraman belge Daniel Demoustier, les cadavres du journaliste Terry Lloyd et de son interprète, mais les corps des deux membres de l’autre équipe, Hussein Othman et Frédéric Nérac n’ont pas été retrouvés. Le 25 janvier 2004, une analyse ADN a permis d’identifier des fragments de corps appartenant à Hussein Othman, interprète libanais de la seconde équipe, qu’une famille irakienne avait enterré comme un de ses membres après une confusion d’identité. Le corps de Frédéric Nérac n’a pas été retrouvé. Ce dernier étant Français, la presse française s’est emparée de cette affaire. Echo très relatif cependant comparé à d’autres affaires impliquant des journalistes français. Pour le Quai d’Orsay, Frédéric Nérac est mort, victime de tirs croisés entre l’armée irakienne et les forces états-uniennes et il est déclaré officiellement décédé le 19 octobre 2005. Fabienne Nérac, l’épouse du journaliste continue de mener des recherches pour retrouver la dépouille de son mari.

Mais le 12 octobre 2006, Georges Malbrunot relance l’affaire en affirmant, dans le journal conservateur français, Le Figaro que le Français aurait été assassiné de sang froid par des Baasistes (« Fred Nérac aurait été assassiné en Irak »). Remettant en cause la version délivrée par le Quai d’Orsay, il affirme que le journaliste aurait été capturé par des miliciens baasistes irakien, interrogé puis exécuté dans le cimetière d’al-Zoubeir. M. Malbrunot s’appuie sur le témoignage de « plusieurs diplomates qui ont travaillé sur ce dossier », qui resteront anonymes et dont le témoignage est donc invérifiable. L’auteur s’appuie également sur un rapport d’enquête danois qui confirmerait cette analyse. Étrange rapport puisque Fabienne Nérac affirme que les autorités françaises ne lui en ont pas parlé alors qu’elle est normalement tenue au courant de toutes les avancées de l’enquête. De son côté, l’ambassadeur de France au Koweït, Claude Losguardi, cité par M. Malbrunot conteste l’interprétation du rapport et précise qu’il ne croît pas à la thèse de l’assassinat. Mais ce démenti est bien vite balayé par un « diplomate » toujours aussi anonyme qui affirme au Figaro : « Un ordre politique a probablement été donné pour maintenir l’opacité autour de cette disparition. Il s’agit de ne pas se mettre à dos d’anciens baasistes qui constituent aujourd’hui l’essentiel de la guérilla. ».

Bref, pour résumer, si on en croit M. Malbrunot : Frédéric Nérac a été assassiné par ceux qui composent aujourd’hui la Résistance irakienne, les autorités françaises le savent mais cachent la vérité à sa veuve soit par complicité soit par crainte de cette Résistance. Le tout reposant sur des sources anonymes.

Dans son article, M. Malbrunot ne donne pas la parole au seul survivant de cette équipée, Daniel Demoustier. Celui-ci affirme pourtant que les deux voitures contenant les équipes de journalistes ont été arrêtées par l’armée irakienne et qu’immédiatement après, les voitures irakiennes et celles des journalistes ont été criblées de balle par les forces de la Coalition. Si M. Demoustier n’a pas vu ce qui était arrivé aux occupants de la seconde voiture, il suppose aujourd’hui que ses collègues sont morts dans l’attaque et que les forces états-uniennes ont enlevé les cadavres. Par ailleurs, la télévision britannique ITN a retrouvé un soldat qui a avoué que sa brigade ignorait qu’elle tirait sur des journalistes. Les autorités états-uniennes ont freiné au maximum la révélation d’éléments les impliquant et une autopsie réalisée sur le corps du journaliste d’ITN Terry Lloyd a confirmé qu’il avait été victime de balles états-uniennes et que rien ne permet de penser que les troupes états-uniennes pouvaient se croire en état de légitime défense. Notons que les conclusions de cette autopsie ont été révélées le lendemain de l’article de M. Malbrunot.

Devant ses éléments, les conclusions de M. Malbrunot sont plus que douteuses, elles ont toutefois eu un relatif impact dans la presse française, bien plus en tout cas que les révélations de l’enquête médico-légale sur la mort de M. Lloyd.
Or, ce n’est pas la première fois que Georges Malbrunot est l’auteur de « scoops » bien peu sourcés et aux conclusions aussi fracassantes que douteuses. Toujours dans Le Figaro, M. Malbrunot avait interviewé le 4 août 2006, le général Aoun, chef du Courant patriotique libre libanais, mais très vite le général Aoun avait contesté les propos qui lui étaient imputés et il avait décrit M. Malbrunot comme un agent de désinformation. Dans ses chroniques traitant de l’agression israélienne contre le Liban, Georges Malbrunot s’est employé à présenter le Hezbollah comme le responsable de la guerre et comme un outil de l’Iran. Le 19 août 2006, il publiait dans Le Figaro un article où il accusait le parti d’Hassan Nasrallah d’avoir organisé l’assassinat de Rafic Hariri, sur la foi d’éléments douteux et en rejetant les dernières avancées de l’enquête orientant dans une toute autre direction.

Bien que ces articles démontrent un parti-pris contre les mouvements de résistance arabe accusés de tous les maux, M. Malbrunot jouit d’une aura certaine dans la presse française depuis son enlèvement en Irak en 2004, enlèvement qui est loin d’avoir révélé tous ses secrets.