François Mitterrand était consubstantiellement européen. C’est pourquoi il prit le risque, contre l’avis de ses complices européens Jacques Delors et Helmut Kohl, d’organiser un référendum sur le traité de Maastricht. Il pensait ainsi rendre l’Europe aux citoyens et l’ancrer plus profondément dans le paysage politique national. Il misait aussi sur ce vote pour susciter l’adhésion des Français à la monnaie unique
Ce pari insensé faillit toutefois être perdu car la courbe du « non » ne cessa de progresser dans les sondages tout au long du printemps 1992, pour atteindre le point d’inversion au début de l’été, sous la pression conjuguée des souverainistes et, plus discrète, d’une partie du monde économique qui ne voulaient à aucun prix d’un « euro » susceptible de faire pièce au dollar. Une vague d’affolement parcourut l’Europe des Douze : si la France disait « non », quarante-cinq ans de travail acharné étaient anéantis ! Le président de la République, bien qu’affaibli par la maladie, décida alors de mettre toutes ses forces, celles du gouvernement et du Parti socialiste dans la bataille. Le défi fut finalement relevé. Pourtant, Maastricht n’était pas un traité satisfaisant pour un président socialiste, mais François Mitterrand pensait que ce degré d’intégration européenne était la meilleure garantie de la poursuite de la construction d’une Europe puissance face à la puissance américaine.
Nous nous trouvons aujourd’hui face à une situation analogue, mais plus difficile du fait de l’élargissement et du fossé que s’est creusé entre les citoyens et les institutions européennes. Le traité de Bruxelles est dramatiquement insuffisant, mais il n’est pas plus dangereux pour la France que le Traité de Maastricht. Certes, il eût été préférable de dissocier la matière « constitutionnelle », c’est-à-dire les deux premières parties, de la matière « communautaire », la troisième partie, qui traite des politiques de l’Union. De plus, la procédure de révision à l’unanimité constitue un handicap lourd pour les progressistes qui souhaitaient voir dans ce traité un « Maastricht social ». Toutefois, c’est une avancée très importante pour l’Union européenne par l’institution d’une personnalité juridique pour l’Europe, l’intégration de la Charte des droits fondamentaux, l’accroissement considérable des pouvoirs du Parlement européen, l’extension significative du vote à la majorité qualifiée au Conseil (donc la réduction du droit de veto), notamment. Il est aussi le premier traité de l’Europe à Vingt-Cinq.
La France ne doit pas interrompre brutalement ce processus unique dans l’histoire de l’humanité qu’est la construction européenne. Elle doit se souvenir que rien ne peut être gagné de l’extérieur et que c’est à l’intérieur d’une Europe plus soudée que s’organisera la bataille politique entre progressistes et libéraux.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Le oui, étape vers la construction », par Béatrice Marre, Libération, 30 juin 2004.