La première phase de la campagne électorale présidentielle déconcerte. La politique y a cédé la place à une mise en scène de la personnalité des candidats soutenus par les médias. Thierry Meyssan analyse cette dérive qui éloigne la France de la démocratie.
La campagne électorale présidentielle française de 2007 ne ressemble pas aux précédentes. Traditionnellement, les candidats se posent en meneurs d’hommes, énoncent des objectifs politiques, déclinent éventuellement un programme pour les mettre en œuvre, et finalement en appellent au peuple. Cette fois, les deux candidats soutenus par les médias se présentent comme des individus exemplaires qui, par leur courage et leur ténacité, vont restaurer des qualités humaines déclinantes dans la société. Ils ne tracent pas de lignes politiques, mais incarnent un comportement idéal.
Nicolas Sarkozy a le premier opéré cette mutation. Dès 1994, il a lui-même personnalisé à outrance le conflit qui opposait Edouard Balladur (dont il était le porte-parole) à Jacques Chirac. Il a convaincu les médias que tout cela n’était qu’un choc d’ambitions. Pendant une décennie, le personnel politique français a feint de croire à cette fable, cachant à l’opinion publique les mauvais coups échangés entre les deux camps, tandis que surgissaient parfois à la vue des regards d’opaques règlements de comptes, des affaires Elf à Clearstream.
Quoi qu’on en dise, le conflit ne porte pas sur le versement de commissions secrètes pour financer des campagnes politiques, mais sur le choix des politiques à financer. Edouard Balladur et son successeur Nicolas Sarkozy ont fait le choix de l’atlantisme, tandis que Jacques Chirac et son successeur Dominique de Villepin ont fait celui de l’indépendance nationale.
Certes, des épisodes personnels ont émaillé la cassure au sein de la droite. Ils ajoutent du ressentiment au conflit, ils n’en sont nullement la cause. Nicolas Sarkozy a décidé de les faire connaître. On a donc beaucoup écrit sur sa prétendue liaison avec Claude Chirac (fille de Jacques), qui aurait conduit Philippe Habert, le premier mari de celle-ci, au désespoir et à la mort, suscitant en retour la haine de Bernadette (l’épouse de Jacques). C’est possible, mais nous n’en savons rien avec certitude et ces sentiments ne sont pas de nature à cliver la droite et à bouleverser la politique de la France.
M. Sarkozy a construit cette personnalisation en s’intégrant dans le milieu du spectacle et en adoptant les procédés de communication. Il a séduit en 1989 Cécilia, l’épouse de l’animateur vedette de télévision Jacques Martin, l’a encouragée à divorcer et l’a épousée. Avec elle, pendant plus de quinze ans, il a reçu à dîner à la maison tout ce qui compte de stars du show-bizz et d’hommes d’influence dans le pays. Nicolas & Cécilia ont tissé des liens amicaux avec le plus grand nombre de personnes possible dans la classe dirigeante en utilisant la notoriété des artistes qu’ils invitaient à leur table comme des appâts. Puis, ils se sont voluptueusement glissés dans les pages des magazines people.
L’apothéose de ce processus aura été atteint, le 14 janvier 2007, avec la confession intime de Nicolas Sarkozy devant 80 000 militants, dont beaucoup l’écoutaient en pleurs : « J’ai changé (…) J’ai changé parce que l’élection présidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. Parce que cette vérité je vous la dois. Parce que cette vérité je la dois aux Français.
J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur mais je veux le dire parce que c’est la vérité et parce qu’on ne peut pas comprendre la peine de l’autre si on ne l’a pas éprouvée soi-même.
On ne peut pas partager la souffrance de celui qui connaît un échec professionnel ou une déchirure personnelle si on n’a pas souffert soi-même. J’ai connu l’échec, et j’ai dû le surmonter.
On ne peut pas tendre la main à celui qui a perdu tout espoir si l’on n’a jamais douté. Il m’est arrivé de douter. N’est pas courageux celui qui n’a jamais eu peur. Car le courage c’est de surmonter sa peur.
Cette part d’humanité, je l’ai enfouie en moi parce que j’ai longtemps pensé que pour être fort il ne fallait pas montrer ses faiblesses. Aujourd’hui j’ai compris que ce sont les faiblesses, les peines, les échecs qui rendent plus fort. Qu’ils sont les compagnons de celui qui veut aller loin » etc.
Chez Nicolas Sarkozy tout est émotion et toute émotion est spectacle. Rien ne nous aura été épargné de la fuite romantique de Cécilia avec son amoureux Richard, du désespoir de Nicolas trahi, du réconfort qu’il trouva auprès d’Anne, et enfin, de la réconciliation du couple. Après avoir été le cocu le plus célèbre de France, Nicolas Sarkozy incarne le mari fidèle à la fin du vaudeville. Permettez-moi d’envisager que ses déboires conjugaux aient eux aussi fait partie du plan de communication, comme ceux des stars de cinéma sont planifiés dans les contrats des majors d’Hollywood. L’amoureux de Cécilia n’était-il pas Richard Attias, grand spécialiste de la communication événementielle et président de Public Events Worldwide ? Et l’amie réconfortante n’était-elle pas Anne Fulda, responsable de la rubrique politique au Figaro, qui a fait campagne à longueur de colonnes pour rectifier l’image de M. Sarkozy et la faire passer de traître politique à mari fidèle ?
Arrivée beaucoup plus tardivement sur ce créneau people, Ségolène Royal est en train de faire mieux encore. Elle disposait, il est vrai, de deux atouts supplémentaires : son sexe et son patronyme. Son plan de communication a donc été inspiré par le souvenir de celle qui furent en leur temps les femmes les plus aimées au monde : Jackie Kennedy et lady Diana.
Selon la revue professionnelle Réalités cliniques [1], Mme Royal s’est préparée en subissant une très lourde opération de chirurgie esthétique. Sa mâchoire inférieure, qui était un peu en retrait, a été consolidée. Plus classique, ses dents ont été refaites pour faire disparaître le retrait de ses incisives centrales. Son visage rectifié la rapproche physiquement de ses héroïnes.
Une garde robe lui a été confectionnée en copiant les célèbres tailleurs de Jackie Kennedy et en déclinant l’usage du blanc. Cela marie la touche moderne de la first lady états-unienne et la symbolique de la pureté. La candidate arbore ce type de tenue en toutes circonstances à l’attention des spectateurs-électeurs français, sans tenir compte du contexte. Elle s’est présentée en Chine en doudoune blanche, à la stupéfaction de ses hôtes pour qui le blanc est la couleur du deuil.
Plus subtil, sa gestuelle et ses déplacements scéniques ont été copiés sur ceux de lady Diana. La candidate s’abstient des grands gestes des bras pour saluer la foule dont sont friands les hommes politiques et préfère un discret signe de la main, comme une vraie princesse. Elle s’abstient d’entrer dans les salles de meeting en fendant la cohue avec une armada de gardes du corps et préfère monter seule sur scène par les coulisses, « royale ».
Il se peut que lady Diana ait été une grande politique. Nous n’en savons rien. Car c’est en « écoutant » les gens et non en exprimant ses idées qu’elle devint la femme la plus populaire au monde. Aussi, cette mise en scène est-elle particulièrement appropriée à la « phase d’écoute » par laquelle Mme Royal a choisi de commencer sa campagne, et lui permet-elle de différer les clarifications programmatiques.
La force de lady Diana était d’incarner la continuité monarchique tout en symbolisant l’hostilité envers la famille royale britannique. Celle de Ségolène Royal est d’incarner la continuité des institutions politiques tout en symbolisant le rejet des « éléphants ». C’est grâce à cette image qu’elle s’est emparée de l’investiture socialiste et a écarté ses rivaux, pourtant mieux formés qu’elles à l’exercice du pouvoir.
Lady Diana, triste et courageuse princesse, a affirmé sa personnalité en laissant son chambellan et son valet afficher sa mésentente avec le prince Charles. Permettez-moi là encore d’envisager que les émotions publiques de la candidate Ségolène Royal fassent partie du plan de communication. En effet, sans attendre, son conseiller fiscal Dominique Strauss-Kahn, puis son porte-parole Arnaud Montebourg ont ébruité sa mésentente avec son compagnon, François Hollande. Comme à Westminister, seul le second est sanctionné. Mais au travers de cet épisode, la candidate s’est affirmée comme une femme indépendante.
Je suis un fan de la série Dallas, et plus encore de Dynasty. Je me régale donc en lisant dans Gala et Voici les dernières frasques du couple Sarkozy et les querelles du ménage Royal-Hollande, mais je ne confonds pas ce divertissement avec de la politique, ces stories avec l’avenir de mon pays.
[1] « Le poids du sourire » par Alain Amzalagh, Réalités cliniques et stratégie prothétique, décembre 2006.
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