Geert Linnebank, directeur de la rédaction de l’agence de presse britannique Reuters, rappelle dans Libération que, depuis deux ans, l’insécurité des journalistes s’est accrue dans le monde. Fait nouveau, nombre d’entre eux, qui par souci d’objectivité avaient refusé d’être embarqués dans les forces de la Coalition, ont été tués par erreur par les GI’s. L’auteur espère qu’à la suite de discussions approfondies avec les généraux US, les GI’s recevront de nouvelles instructions permettant aux journalistes de travailler à la fois en toute indépendance et en toute sécurité.
M. Linnebank est dans son rôle en défendant ses journalistes et ses collègues, mais il s’accroche à des illusions. Ce n’est en effet pas un hasard si Reuters est l’agence occidentale la plus touchée par cette évolution avec deux journalistes morts et trois grièvement blessés. Depuis trois ans, l’agence a veillé à ne pas reprendre à son compte la rhétorique du Pentagone sur le complot islamique mondial. Dans toutes ses dépêches, elle a évité de qualifier de « terroristes » les auteurs des attentats du 11 septembre pour laisser ouverte l’hypothèse d’un complot intérieur. Dans les faits, le comportement de l’armée états-unienne est limpide : elle élimine (officiellement par erreur, mais de manière systématique) tous les journalistes qui refusent de relayer la version US des évènements. Elle a assassiné méthodiquement les correspondants de presse arabe qui diffusaient des informations indésirables sur les guerres d’Afghanistan et d’Irak, notamment ceux d’Al Jazeera, et elle intimide Reuters qui s’écarte de l’information unique. Il est naïf de penser que cela changera car l’objectivité des médias occidentaux est incompatible avec le projet impérial de Washington.

Alors que les accords du Quincy arrivent à échéance et que l’Arabie saoudite s’apprête à renégocier les concessions accordées aux compagnies pétrolières états-uniennes, la pression de Washington et de Tel Aviv s’accroît sur le royaume. La CIA développe une campagne mondiale de communication selon laquelle les États-Unis auraient eu tort d’attaquer l’Irak car ils auraient dû attaquer l’Arabie saoudite. Le soi-disant réseau Al Qaïda, en réalité le Mossad selon le prince régent Abdallah, multiplie les attentats à Riyad pour déstabiliser la monarchie. L’AIPAC, qui se définit lui-même comme le lobby pro-israélien aux États-Unis, pousse au Congrès depuis novembre 2003 un projet de loi édictant des sanctions contre le royaume, le Saudi Arabia Accountability Act, sur le modèle de l’Iraqi Accountability Act qui servit de fondement juridique à l’attaque de l’Irak. C’est dans cette perspective que Neal M. Sher, ancien directeur exécutif de l’AIPAC, prend prétexte dans le Jerusalem Post du soutien financier apporté par l’Arabie saoudite aux familles palestiniennes dont les maisons sont détruites par Tsahal pour accuser le royaume de soutien aux actions kamikazes du Hamas, et par là au terrorisme international.
De son côté le prince Bandar, ambassadeur saoudien aux États-Unis, s’efforce de convaincre les lecteurs du Washington Post que la renégociation des accords du Quincy ne provoquera pas de hausse significative du prix du pétrole. Pour ce faire, il souligne que son pays module aujourd’hui sa production pour stabiliser les cours mondiaux. Cependant, son argument se heurte à la rumeur répandue par les démocrates selon laquelle l’Arabie saoudite ne chercherait pas à stabiliser les prix durablement, mais uniquement durant la période électorale US pour favoriser l’élection de George W. Bush.

Le député israélien laïque Amnon Rubinstein invente dans le Jerusalem Post une nouvelle démonstration du supposé antisémitisme français. Après une succession d’affaires montées de toutes pièces, il admet qu’il n’y a pas de crimes antisémites en France. Cependant la France serait quand même antisémite, mais par procuration : en effet, elle soutient des États et des intellectuels arabes qui seraient, eux, anti-israéliens donc antisémites. Bref, M. Rubinstein admet et justifie que l’accusation d’antisémitisme ne porte sur rien de réel et vise uniquement à faire pression sur la France pour qu’elle cesse de s’opposer aux violations du droit international par Israël.

Un accord a été signé entre l’Onu et le gouvernement soudanais, le 13 août, pour résoudre la crise du Darfour. Il répond aux exigences du Conseil de sécurité, formulées par la déclaration 1556, pour commencer sous trente jours le désarmement des milices aussi bien que des rebelles et sécuriser les populations. C’est dans ce contexte que la presse internationale publie de nombreuses tribunes de personnalités alertant leurs lecteurs sur un risque de génocide imminent et préconisant une intervention militaire internationale pour l’empêcher. Ainsi, le travailliste britannique David Clark déplore dans le Guardian la passivité du Conseil de sécurité de l’ONU où plusieurs États se sont opposés à ce que la résolution 1556 comprenne des menaces explicites à l’égard du gouvernement de Khartoum. Partant du même constat, le démocrate états-unien Ivo H. Daalder appelle dans l’International Herald Tribune la France et l’Allemagne à déployer des troupes avec le Royaume-Uni, l’Australie et bien sûr les États-Unis. Mais il existe en réalité deux analyses différentes du conflit du Darfour. Selon les Anglo-Saxons (Australie, États-Unis, Royaume-Uni), le gouvernement arabo-musulman de Khartoum s’appuie sur des milices musulmanes qu’il feint de ne pas contrôler pour persécuter les populations noires chrétiennes. Au contraire, selon les Européens continentaux (Allemagne, France, Fédération de Russie), les milices sont bien musulmanes, mais noires, et échappent à l’autorité de Khartoum qui les combat effectivement, et la sollicitude soudaine des Anglo-Saxons pour cette région n’a d’autre but que de faire main basse sur les champs pétrolifères actuellement exploités par la compagnie nationale chinoise. C’est pourquoi le ministre des Affaires étrangères français, Michel Barnier, insiste dans Le Figaro pour que la crise soit résolue par l’Union africaine et non par l’ONU.