On se souvient que l’élection de George W. Bush à la présidence des États-Unis en l’an 2000 s’avéra frauduleuse.

L’un des moyens systématiques de triche alors mis en place pour lui garantir le pouvoir était l’utilisation des machines à voter. Il s’agissait d’invalider une partie des votes dans des bureaux habituellement démocrates, en s’appuyant sur des « erreurs » des machines. À l’époque, une partie de ces machines était équipée d’un système mécanique de perforation des bulletins dont le mauvais fonctionnement assura la non-élection d’Al Gore. par la suite, l’ex-président Jimmy Carter, co-président de la commission bipartisane sur la réforme des procédés de scrutin, déclara publiquement que les électeurs avaient en réalité choisi Al Gore [1]

Alors que les machines sont présentées comme augmentant la rapidité et la fiabilité des résultats, il s’ensuivit un mois de troubles durant lequel personne ne savait qui était le nouveau président élu. Les candidats opposaient procédures à procédures, l’un afin de faire recompter manuellement les voix, l’autre afin d’empêcher ce recomptage. Le résultat de l’élection fut finalement renvoyé devant la Cour suprême contrôlée par des juges proches de George Bush père – qui désignèrent sans surprise son fils comme 43e président des États-Unis. Grâce à sa systématisation, l’utilisation de machines avait permis la plus grande fraude électorale de l’histoire. [2]

À titre d’exemple, citons le Washington Post du 7 novembre 2000 :
« Une chose très étrange est arrivée à Deborah Tannenbaum, qui représentait le parti démocrate dans le comté de Volusia durant cette nuit d’élection. À 22 h, elle avait appelé le bureau du comté chargé du décompte et on lui avait appris qu’Al Gore devançait George Bush par 83 000 voix contre 62 000. Mais quand elle consulta, une demi-heure plus tard, le site Internet du comté pour une mise à jour de ses chiffres, elle découvrit un résultat surprenant : le score de Gore avait baissé de 16 000 voix. »

L’erreur venait du bureau 216 du comté de Volusia, qui compte 585 inscrits. La machine à voter annonçait que 412 des inscrits étaient venus voter, un pourcentage habituel. Le problème est que la machine annonçait que ces 412 votants avaient exprimé 2 813 voix pour George Bush – ainsi que 16 022 voix négatives à Al Gore.

Aux États-Unis toujours, en novembre 2003, dans le comté de Boome (Indiana), un ordinateur de vote enregistra 144 000 votes alors qu’il n’y avait que 19 000 électeurs. En octobre 2004, dans le Dakota du Nord, les codes-barres lus par les machines à voter censés coder un « oui » et un « non » lors d’un référendum donnaient tous les deux un « non ».

Généralisation de la fraude électorale

Ce système de triche fut rapidement perfectionné par la généralisation des ordinateurs de vote à de nombreux États. À chaque scrutin, les plaintes, recours et demandes d’annulation affluent. Lors des élections parlementaires de mi-mandat, le 7 novembre 2006, l’ONG VotersUnite a recensé plus de 250 incidents à travers le pays. Le Congrès avait pourtant dépensé plus de 3 milliards de dollars pour remettre à jour les équipements, après les problèmes de comptage des voix constatés depuis l’élection présidentielle en 2000.

Un faisceau d’éléments semble, en fait, montrer que la principale utilité des machines à voter est de faciliter la fraude électorale. L’exemple de l’élection du sénateur républicain du Nebraska Charles Hagel est édifiant.

Sa première élection au sénat, en 1996, fit sensation tant elle allait à l’encontre des sondages qui donnaient son adversaire démocrate loin devant. L’explication de cette élection surprise fut apportée bien des années après par la responsable de l’ONG BlackBoxVoting, Bev Harris, qui révéla qu’avant d’être sénateur, Charles Hagel avait été actionnaire, président et directeur du fabricant d’ordinateurs de vote ES&S. Cette société compte environ 60 % des bulletins des États-Unis et constitue l’une des trois marques homologuées en France. Lors de son élection surprise, les bureaux de vote de sa circonscription étaient équipés d’ordinateurs de vote… ES&S.

Devant un exemple aussi flagrant de conflit d’intérêts entachant la légitimité de l’élection, le comité d’éthique du Sénat fut saisi. Dans une décision qui fit scandale, il finit par confirmer M. Hagel – qui avait acquis un rôle politique clef puisqu’il contrôlait potentiellement l’élection de plus de la moitié des élus – dans sa fonction de sénateur et, afin d’éviter la réédition de ce genre de problème… modifia la règle régissant le conflit d’intérêt.

La supériorité des ordinateurs de vote sur les vieilles machines à voter à perforation est incontestablement que la majorité d’entre eux ne permettent pas le recomptage des voix, puisque tout est électronique et qu’il n’y a pas de bulletin. Ce qui évite de longues batailles juridiques.

Une étrange société du nom de VoteHere joua d’ailleurs un rôle prépondérant dans l’installation systématique des ordinateurs de vote aux États-Unis. Malgré sa taille réduite, elle dépensa plus d’argent que les trois fabricants d’ordinateurs de vote réunis, ES&S, Diebold et Sequoia, pour promouvoir le vote électronique. Le fait que Robert Gates, remplaçant de Donald Rumsfeld au poste de secrétaire à la Defense, ait été l’un des directeurs de VoteHere accroît la suspicion légitime contre les ordinateurs de vote.

Rappelons pour mémoire que Robert Gates fut embauché par la CIA lors de son cursus universitaire et devint analyste spécialisé en « soviétologie ». Il navigua entre l’Agence et le Conseil de sécurité nationale jusqu’à devenir, en 1991, directeur de la CIA. Au sein de l’agence, il organisa ou participa à de nombreuses opérations de manipulation de l’opinion publique telles que l’imputation erronée de la tentative d’assassinat de Jean-Paul II au KGB via la « filière bulgare » [3].

Nicolas Sarkozy autorise les ordinateurs de vote en France

En France, le ministère de l’Intérieur – alors dirigé par Nicolas Sarkozy – a autorisé l’utilisation des ordinateurs de vote par l’arrêté du 17 novembre 2003. Les modèles agréés sont le modèle « ESF1 » de la société Nedap-France élection, le modèle « iVotronic » de la société ES&S Datamatique et le modèle « Point & Vote » de la société Indra Sistemas SA.
Ils ont été utilisés à partir de 2004. Lors des élections européennes, une quarantaine de villes les ont utilisées dont Marseille, Nice, Dijon, Rennes et Grenoble. Lors de l’élections présidentielle de 2007, 82 villes ont eu recours aux ordinateurs de vote, ce qui représente 1,5 millions d’électeurs.

Cependant, l’arrivée en France des ordinateurs de vote se base sur une interprétation litigieuse du terme « machines à voter » introduit dans le code électoral en 1969, époque où les ordinateurs n’existaient pas et où ce terme désignait une machine mécanique que les autorités essayaient de mettre en place pour réduire le taux de fraude électorale en Corse. La fiabilité de cette machine dans laquelle aucune électronique n’intervenait était sans commune mesure avec celle des ordinateurs de vote actuels.

De nombreuses études menées par des informaticiens, ou avec leur concours, se sont posées la question de savoir si l’utilisation du vote électronique était neutre ou si elle pouvait introduire des biais contraires aux critères de sincérité, confidentialité, transparence, unicité et anonymat du scrutin. Les études indépendantes se concluent toutes par l’émission de sérieuses réserves.

En septembre 2006, le département informatique de la prestigieuse université de Princeton a, par exemple, rendu publique une étude sur la sécurité des machines à voter. Les chercheurs ont analysé une des machines présente dans les bureaux de vote aux États-Unis, la Diebold AccuVote-TS. Leurs conclusions sont, sur les points principaux, transposables à l’ensemble des ordinateurs de vote présents sur le marché électoral du fait de leurs similitudes de fonctionnement.

D’après le professeur Felten, membre du laboratoire, les défis techniques nécessaires pour rendre fiable le vote électronique sont « très difficiles voire impossibles à relever ». L’étude stipule :
« À la lumière des procédures réelles d’élection, l’analyse de la machine montre qu’elle est vulnérable à de très graves attaques. Par exemple, une personne qui obtient un accès physique ne serait-ce que pendant une minute à la machine ou à sa carte mémoire, peut y installer un programme pirate ; un tel programme peut voler des voix de manière indétectable, modifier les enregistrements, journaux et compteurs de sorte qu’ils soient en accord avec les faux résultats qu’il vient de créer. Une telle personne mal intentionnée peut également créer un programme qui se répand silencieusement et automatiquement durant le cours normal des activités électorales – un virus de vote. Nous avons procédé à des démonstrations de ces attaques dans notre laboratoire. »

Le logiciel pirate peut être installé aussi bien par un employé du fabricant, du vendeur ou loueur, que par le transporteur ou toute personne ayant accès au lieu de stockage des machines ou à ces même machines le jour du vote.

Dans le cas de figure précédent, il est facile de faire en sorte que le programme pirate installé sur la machine vole les voix à l’un des candidats pour les donner à un autre — sans que cela soit détectable ni que l’on puisse ultérieurement recompter les bulletins. Il n’y aurait ainsi aucun moyen de détecter la fraude électorale.

De même, on peut aisément programmer l’ordinateur pour qu’il répartisse les voix au profit d’un parti plutôt que d’un candidat, qu’il truque les votes sur certaines élections seulement, qu’il assure un certain pourcentage final ou, au contraire, qu’il vole un certain pourcentage des voix adverses et ainsi de suite.

« Le décompte des votes se fera correctement, le total des votes exprimés se fera correctement, et les journaux internes de la machine ainsi que ses compteurs seront en accord avec les résultats annoncés — mais les résultats seront frauduleux. »

D’après l’étude, les failles de la machine « sapent la fiabilité et la crédibilité des élections dans lesquelles elle est utilisée. Les chercheurs en informatique se sont toujours montrés sceptiques envers les systèmes de vote de type Direct Recording Electronic (DRE, le type d’ordinateurs de vote présents en France) qui sont essentiellement constitués d’ordinateurs personnels sur lesquels tournent des logiciels conçus pour les élections. L’expérience de toute sorte de systèmes informatiques montre qu’il est extrêmement difficile de garantir la fiabilité et la sécurité de logiciels complexes ou de détecter et diagnostiquer les problèmes quand ils arrivent. Pourtant les DRE reposent fondamentalement sur le fonctionnement correct et sécurisé de logiciels aux programmes complexes. Pour le dire simplement, de nombreux chercheurs en informatique doutent que des ordinateurs de vote sans impression papier simultanée puissent être fiables et sûrs. Et ils s’attendent à ce que les failles de tels systèmes restent indétectables. »

La procédure de vote à l’aide d’un ordinateur dont le résultat est invérifiable, et qui est entièrement contrôlé par une entreprise privée peut être représentée par une analogie : il faut imaginer que le vote se déroule selon la procédure habituelle à l’aide de bulletins papier, mais que le dépouillement des bulletins soit réalisé par une entreprise privée qui emporterait les bulletins, sans que quiconque puisse contrôler ce dépouillement, et qu’il soit impossible d’obtenir les bulletins afin d’effectuer une vérification.

Cela peut être analysé comme une confiscation du contrôle du vote qui échappe alors aux citoyens pour être confié à une entreprise privée.

Opposition de la population

En France, alertée par des associations, des informaticiens et un documentaire vidéo faisant la démonstration d’une fraude, la population est très majoritairement opposée à l’utilisation d’ordinateurs de vote. À titre d’exemple, une pétition demandant le retrait des machines a recueilli en quelques semaines plus de 80 000 signatures.

Le 22 avril 2007, le premier tour de l’élection présidentielle n’a pas été pour rassurer les électeurs : alors que les ordinateurs de votes sont présentés comme rendant plus rapides les élections, de nombreux électeurs ont été contraints de faire de longues queues devant les machines — et certains bureaux ont été amenés à fermer après l’heure légale du fait des difficultés rencontrées ; alors que les ordinateurs de vote sont présentés comme apportant plus de garanties que les urnes transparentes traditionnelles, de nombreuses personnes ont dû se faire aider dans l’expression même du vote — remettant en cause la confidentialité du scrutin. Sans parler des différences constatées entre les voix exprimées par la machine et les émargements…

D’autres problèmes ont été soulevés. Ils concernent les agréments des machines présentes dans les bureaux de vote. Sous la pression d’associations et d’élus de l’opposition, ES&S a dû remplacer dans l’urgence – à trois jours du scrutin – la quasi-totalité de ses machines, manifestement non conformes à l’agrément du ministère de l’Intérieur. Le logiciel installé dans les ordinateurs datait de janvier 2007, date postérieure à l’agrément. Cette différence entre le logiciel autorisé et le logiciel installé laissait la porte ouverte à toutes les interprétations…

Les ordinateurs Nedap (France élection), qui représentent 80 % des machines présentes dans les bureaux de vote, ont quant à eux un autre problème. Ils ne sont pas équipés d’horloge interne, comme en atteste le site Internet de France élection. [4] Or l’arrêté du 17 novembre fixe parmi les exigences de conception des machines qu’elles possèdent une horloge interne.

« Exigence 46 : La machine à voter doit comprendre une horloge interne qui permette de dater les divers événements et comptes-rendus mémorisés au cours d’un scrutin. Les données heure-minute-seconde doivent pouvoir être ajustées par les membres du bureau de vote avant l’ouverture du scrutin. Un dispositif complémentaire, interne à la machine, doit permettre d’enregistrer et de dater tous les événements, qu’il s’agisse d’actions effectuées durant ou hors d’un scrutin, de manière à garder une trace de toutes les interventions sur la machine et d’en vérifier l’imputabilité en cas de contrôle ou de contentieux. »

Là encore, ces ordinateurs de vote ne sont donc pas conformes à l’agrément et ne devraient pas être utilisés lors des élections en France. Ils équipent pourtant 1 500 bureaux de vote dans 70 villes.

Des recours devant le tribunal administratif déposés avant le premier tour de l’élection présidentielle ont tous été déboutés. Interrogé par Le Monde informatique Gilles Guglielmi, professeur de droit public à Paris II, livre son analyse :
« Le tribunal dit : "l’irrégularité existe mais au vu de l’urgence, ce n’est pas suffisamment important pour que je règle le problème à mon niveau". Or, explique Gilles Guglielmi, il faut comprendre : "c’est trop compliqué pour moi, ça dépasse le ressort territorial de Boulogne ou d’Issy, il vaut mieux que ce soit le Conseil d’État qui tranche le problème". De fait, estime le professeur, "il s’agit presque d’une incitation à faire appel. " »

Pour les élections présidentielle et législatives de 2007, 1.5 millions d’électeurs voteront sur un ordinateur. Vu les doutes exprimés par les informaticiens et les problèmes de conformité au code électoral des machines, les partis politiques démocrates, et singulièrement les candidats, s’ils ne veulent pas être suspectés de fraude seraient bien inspirés d’obtenir la suspension de l’utilisation des ordinateurs de vote en France.

[2Démocratie-Business, par Greg Palast, Éditions Timeli, 2006.

[3Voir l’article « L’OTAN : du Gladio aux vols secrets de la CIA », par Ossama Lotfy, Voltaire, 24 avril 2007.

[4« Questions/Réponses », La machine à voter Nedap, alinéa 9, mars 2007, Grégoire REYNS, France Election.