Alors qu’il est de bon ton d’alerter l’opinion publique sur le drame du Darfour et de déplorer le manque de réactivité de la communauté internationale, Michèle Alliot-Marie, ministre français de la Défense, fait valoir aux lecteurs de l’International Herald Tribune l’action de son pays dans cette crise. S’appuyant sur le Tchad d’Idriss Déby, la France a déployé un contingent militaire qui a apporté une aide humanitaire considérable en coordination avec les agences de l’ONU et des ONG. Ce fait étant établi, le ministre souligne qu’une solution politique est en cours de négociation, là encore avec l’appui du Tchad. Conclusion implicite : la campagne de presse appelant à une intervention armée du Pentagone n’est pas justifiée par l’intérêt des populations.

La Convention républicaine qui s’est tenue toute la semaine à New York aura été l’occasion pour tous les observateurs de dresser le bilan du président états-unien sortant, George W. Bush. La première remarque est qu’il ne laisse pas indifférent : il a profondément divisé son opinion publique. Une manifestation de protestation a rassemblé environ 500 000 personnes. C’était la plus importante marche politique, depuis une vingtaine d’années à New York. La seconde remarque, c’est que cette opposition ne se reconnaît pas dans le Parti démocrate : aucun leader démocrate d’envergure ne participait à cette manifestation.
En effet, selon John Kerry, le président a souvent posé les bons choix, mais les a mal mis en œuvre. Par exemple, il a insuffisamment préparé l’occupation de l’Irak, exposant excessivement la vie des soldats. Les deux grands partis soutiennent donc une unique politique qu’ils prétendent vouloir poursuivre selon des modalités différentes. La seule véritable alternative est dans la rue ou représentée par le candidat indépendant Ralph Nader. Cette alternative refuse non seulement les guerres de conquête, mais s’interroge -et elle seule- sur l’acte fondateur de ce régime, le 11 septembre. Elle était, jusqu’à ce rassemblement de masse, disqualifiée dans les médias.
C’est dans ce contexte que le New York Times a eu la bonne idée de demander à six anciens conseillers de présidents républicains d’imaginer quel discours ils auraient préparé pour la clôture de la Convention par George W. Bush, s’ils étaient toujours aux affaires. Nous pouvons examiner les « angles » de ces propositions et les comparer avec le discours réel du candidat. Il s’agit d’un pur exercice de style. Ce qui importe, c’est la qualité de la communication et non la pertinence des arguments évoqués.
Le conseiller d’Eisenhower (William Bragg Ewald Jr) assimile le11 septembre et la guerre au terrorisme à la Seconde Guerre mondiale. Il en déduit un discours d’union nationale et un engagement à composer une administration bipartisane. Le conseiller de Ford (Milton Friedman) redoute les déchirements intérieurs comme celui que suscita la guerre du Vietnam et dont Kerry est le symbole. Il suggère donc un appel à la réconciliation. Le président devrait tourner la page irakienne et manifester son intention de servir l’intérêt général en associant les démocrates à la gestion du pays.
Tranchant avec cette école du consensus, le conseiller de Nixon (John Andrews) préconise une toute autre stratégie. Considérant que le candidat démocrate n’a, en définitive, que des critiques de détails à opposer au bilan du président sortant, il rédige un discours d’autosatisfaction brutale : votez républicain, sinon rien. Dans la même lignée, mais beaucoup plus efficace sur le plan de la communication, l’ancien conseiller de Reagan (Peter Robinson) suggère d’aller jusqu’à identifier le Parti républicain à « l’Amérique ». Le président sortant est un héros dans la lutte contre le terrorisme, mais il n’est en cela qu’un Américain ordinaire, car tous les Américains sont des héros anonymes du 11 septembre. Critiquer son bilan serait donc critiquer le peuple américain. A contrario, ce peuple courageux a su garder la foi dans l’épreuve, il leur doit d’être lui aussi fidèle au Dieu des Pères fondateurs. Le conseiller de Bush père (Daniel McGroarty) choisit la même veine, en moins lyrique et en plus pédagogue : dans les moments de crise, il n’y a pas de place pour les états d’âme et les atermoiements à la Kerry. Nous avons eu raison d’agir, et de le faire vite, face à la menace, d’autant que Dieu est avec nous.
Enfin, fidèle à son image retorse, un ancien conseiller de Bush fils (David Frum) imagine de détourner le discours du consensus et de le mixer avec celui de la marginalisation des démocrates pour en faire une étreinte mortelle. Merci donc à tous les Américains qui firent preuves de tant de courage en ces moments difficiles. Y compris à nos adversaires démocrates qui nous ont donné un coup de main. Ne changeons pas une équipe si parfaite, conservons notre unité, élisez-moi et je ne manquerai pas d’offrir un strapontin aux démocrates qui ont un rôle à jouer à leur mesure.
Le vrai discours de George W. Bush a, en fait, été composé bien autrement. Il a été rédigé -en plus long- comme pour la remise d’un Oscar à Hollywood. Merci donc de m’avoir nominé pour ce titre de meilleur politicien. Merci à tous ceux qui ont participé à mon dernier film, les sauveteurs du 11 septembre et les combattants en Irak. Merci à mon agent, Dick Cheney. Et à mon papa aussi. Mon bilan économique et militaire est merveilleux, tandis que mon challenger a déjà eu du mal à jouer en série B. Bien entendu, ma réussite ne serait pas possible sans le travail, du petit personnel que l’on oublie trop souvent de remercier, voire que mon rival dénigre, je parle de nos soldats et de leurs familles. C’est sur eux que je prends exemple et c’est eux que je représente.

Deux intellectuels néo-conservateurs profitent de cette Convention pour redéfinir la « doctrine Bush » dont ils sont les inspirateurs. Dans la revue juive Commentary, puis dans le Wall Street Journal, Norman Podhoretz élève cette doctrine Bush pour la guerre au terrorisme au niveau de ce que fut la doctrine Truman pendant la Guerre froide. Il la résume en quatre idées fortes.
 Le rejet du relativisme moral est en fait l’affirmation d’une dimension eschatologique. Il existe une fin de l’Histoire, à la fois au sens de Fukuyama et dans celui de la Bible, où le Bien incarné par les États-Unis doit triompher. Dans la guerre des civilisations, il ne s’agirait donc pas de détruire les autres, mais de les convertir.
 Combattre certains États, c’est combattre le terrorisme. En effet, le terrorisme n’est pas un acte individuel, il ne se développe qu’avec des soutiens étatiques.
 La défense des Etats-Unis est prioritaire, il faut donc d’abord détruire les menaces en formation avant de s’occuper de régler des conflits comme celui qui oppose Palestiniens et Israéliens. Ce qui montre à contrario que les néo-conservateurs n’ont jamais fait passer les intérêts d’Israël avant ceux des Etats-Unis.
 À la fin, il faudra quand même se débarrasser de Yasser Arafat.
Dans la même optique, Ken Weinstein du Hudson Institute, souligne dans Le Figaro que la doctrine Bush est une forme d’idéalisme. Selon lui, elle n’a rien à voir avec la quête du pétrole ou le choc des civilisations, mais elle tend à remodeler le monde autour du principe de liberté. C’était d’ailleurs le thème de la Convention républicaine. Le problème est que tout ça n’est au fond qu’une affaire de présentation : on ne défend la liberté des peuples en les bombardant, et si Washington veut remodeler le monde, c’est pour pouvoir l’exploiter en le divisant.