Je suis un Palestinien, né à Nazarath, je suis citoyen israélien et jusqu’à
il y a un mois, j’étais député au parlement israélien.

Mais désormais, par un de ces ironies de l’histoire qui ne manque pas
d’évoquer l’affaire Dreyfus, en France, qui vit un juif français se faire
accuser de déloyauté envers l’État, le gouvernement israélien m’accuse de
collaboration avec l’ennemi durant la guerre calamiteuse livrée par Israël
contre le Liban, en juillet dernier.

Apparemment, la police israélienne me soupçonne d’avoir transmis des
informations à un agent étranger, et d’avoir été payé pour ce faire.

D’après la loi israélienne, quiconque, qu’il s’agisse d’un journaliste ou
d’un de vos amis personnels, peut être qualifié d’"agent étranger" par
l’appareil de l’exécutif israélien.

Ce genre d’accusation peut conduire à l’emprisonnement à vie, voire à la
peine capitale.

Ces allégations sont ridicules. Inutile de préciser que le Hezbollah,
l’ennemi d’Israël au Liban, a réuni, tout seul, comme un grand, bien plus
d’informations concernant Israël qu’un quelconque député arabe à la Knesset
n’aurait pu lui en fournir.

De plus, contrairement à ces gens, au parlement israélien, qui ont été
impliqués dans des violences, je n’ai jamais recouru à la violence, ni
participé à une quelconque guerre. Mes instruments de persuasion, en
revanche, sont simplement les mots, dans mes livres, mes articles et mes
discours.

Ces accusations répandues avec tambour et trompettes, que je rejette et que
je dément catégoriquement, ne sont que le dernier avatar d’une série de
tentatives de me réduire au silence, moi et d’autres impliqués comme moi
dans la lutte des citoyens arabes d’Israël en vue de vivre dans un État de
tous ses citoyens, et non dans un Etat qui
accorde aux juifs des droits et des privilèges qu’il dénie aux non-juifs.

Quand Israël fut créé, en 1948, plus de 700 000 Palestiniens en furent
chassés, ou s’enfuirent, terrorisés. Ma famille se trouvait parmi la
minorité qui échappa à ce sort funeste et demeura dans le pays où nous
vivions depuis très longtemps.

L’État israélien, créé exclusivement pour des juifs, s’ingénia immédiatement
à faire de nous des étrangers dans notre propre pays.

Durant les dix-huit premières années de l’existence d’Israël, bien qu’étant
citoyens israéliens, nous avons été soumis à un régime militaire, et nous
avons été contraints d’exhiber nos papiers d’identité spéciaux lors de nos
moindres déplacements.

Nous avons vu des villes juives israéliennes pousser comme des champignons
sur les ruines de villages palestiniens détruits.

Aujourd’hui, nous représentons un cinquième de la population totale
d’Israël. Oh, certes, nous ne nous abreuvons pas à des fontaines séparées,
ni nous ne sommes contraints de nous asseoir au fond des autobus.

Nous votons, et nous pouvons être élus au Parlement. Mais nous sommes en
butte à une discrimination légale, institutionnelle et informelle, dans tous
les domaines de notre existence.

Plus de vingt textes de loi israéleins privilégient de manière explicite les
juifs par rapport aux non-juifs. Ainsi, la loi dite « du retour » reconnaît
automatiquement la citoyenneté israélienne aux juifs venus d’où que ce soit
dans le monde entier.

Pourtant, les réfugiés palestiniens se voient encore dénier leur droit à
revenir dans le pays qu’ils furent contraints à fuir en 1948.

La loi fondamentale sur la Dignité humaine et les Libertés, ainsi que la
Déclaration des droits d’Israël donnent de l’État la définition d’un État
« juif », et non d’un État de tous ses citoyens. Ainsi, Israël est plus fait
pour des juifs habitant Los Angeles ou Paris que pour ses habitants
indigènes palestiniens.

Israël reconnaît lui-même être un État d’un groupe religieux particulier.
Quiconque est attaché à la démocratie reconnaîtra immédiatement qu’une
citoyenneté égale ne peut exister, dans ces conditions.

La plupart de nos enfants fréquentent des écoles qui sont non seulement
séparées, mais de statut inférieur aux écoles israéliennes.

D’après des sondages d’opinion récents, les deux tiers des Israéliens juifs
refuseraient d’avoir pour voisin un Arabe, et près de la moitié d’entre eux
n’admettraient pas de Palestiniens chez eux.

J’ai vraisemblablement pris des gens à rebrousse-poil, en Israël. Non
content de m’exprimer sur les sujets évoqués plus haut, j’ai affirmé les
droits du peuple libanais et ceux des Palestiniens de Cisjordanie et de la
bande de Gaza à résister à l’occupation militaire illégale d’Israël. En
effet, je suis incapable de voir dans ceux qui se battent pour la liberté
des ennemis.

Cela peut déranger certains Israéliens juifs, mais ils ne peuvent pas plus
dénier notre histoire et notre identité que nous ne saurions nier les
attaches qui les lient aux juifs dans le monde entier.

Après tout, ce n’est pas nous ; ce sont bien les juifs qui ont immigré dans
ce pays. A des immigrants, on peut demander de renoncer à leur ancienne
identité, en échange d’une citoyenneté égale. Mais nous ne sommes en aucun
cas des immigrés.

Durant mes années de mandat à la Knesset, l’avocat général m’a mis en examen
pour avoir exprimé mes opinions politiques (sans mention d’aucune charge),
il a exercé des pressions pour que mon immunité parlementaire soit révoquée,
et il a cherché (en vain) à invalider la participation de mon parti
politique aux élections.

Tout ça, parce que je pense qu’Israël devrait être un État de tous ses
citoyens, et parce que j’ai pris la parole afin de dénoncer l’occupation
militaire israélienne.

L’an dernier, le ministre Avigdor Lieberman, un immigré de Moldavie, a
déclaré que les citoyens palestiniens d’Israël « n’avaient pas leur place
ici », que nous devons « faire notre baluchon et dégager ».
Après ma rencontre avec un dirigeant du Hamas palestinien, Lieberman en
appela à ma condamnation à mort et à mon exécution.

Les autorités israéliennes essaient de m’intimider. Et pas seulement moi,
mais tous les citoyens palestiniens d’Israël. Mais nous ne nous laisserons
pas intimider. Nous ne baisserons pas la tête devant un esclavage définitif
sur la terre de nos ancêtres, ni nous n’accepterons d’être coupés de nos
voisins du monde arabe.

Les dirigeants de notre communauté se sont réunis, récemment, afin de
publier un projet d’un État exempt de toute discrimination ethnique et
religieuse dans tous les domaines. Si nous nous détournions aujourd’hui de
notre marche vers la liberté, nous livrerions les générations futures à la
discrimination dont nous souffrons depuis plus de soixante ans.

Les États-uniens connaissent, de par leur propre histoire de discrimination
institutionnalisée, les diverses tactiques qui ont été utilisées contre les
dirigeants des droits civiques.

Cela va des mises sur écoute téléphonique, en passant par la surveillance
policière, la diffamation politique et la criminalisation du dissentiment au
moyen d’accusations fallacieuses. Israël persiste à recourir à ces
tactiques, en des temps où le monde ne tolère plus de telles pratiques,
qu’il considère incompatibles avec la démocratie.

Pourquoi, dès lors, le gouvernement états-unien continue-t-il à soutenir
mordicus un pays dont l’identité et les instituions mêmes sont fondées sur
une discrimination ethnique et religieuse qui fait de certains de ses
propres citoyens des victimes ?

Ce texte a été publié par le Los Angeles Times et traduit par
Marcel Charbonnier.